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  Les retrouvailles, avant cette journée, étaient tout simplement magnifiques. Nous avons rattrapé le temps perdu sans jamais évoquer cette année sombre. La meute nous avait laissé tranquilles, nous isolant entre frère et sœur. Nous en avions besoin, et ils le comprenaient tous. Maxwell n'avait rien exigé, mais je savais que, tout comme moi, il ressentait ce besoin d'être près l'un de l'autre, mais qu'il me laissait à mes retrouvailles. Il respectait cela, à sa manière.

    En une semaine, j'avais retrouvé une partie de cette joie de vivre éteinte le jour du massacre. J'avais retrouvé Arthur, mon petit frère. Et j'avais aussi appris à mieux connaître Max, les quelques fois où je n'étais pas avec Arthur. Il y avait tant de choses encore à accomplir. Nous devions retrouver la deuxième meute, et la Commission m'avait accordé une semaine. Après, il me faudrait faire ma déposition, un passage obligé.

   Et moi voilà, dans cette petite salle froide. Un verre d'eau dans les mains, fixant une vitre teintée, derrière laquelle je sentais la présence de Maxwell. Son odeur m'apaisait, mais il y avait aussi Bryan, Liam, et d'autres que je ne pouvais identifier.

— Prenez votre temps, mademoiselle. Lorsque vous aurez besoin d'une pause, signalez-le moi. Cette petite caméra, dit l'agent en tapotant l'appareil du doigt, filmera tout pour que vous ne soyez plus contrainte de revenir faire cette déposition. Commencer par le début. N'omettez aucun détail, soyez aussi précise que possible.

   Les flammes reviennent me hanter, leurs lueurs dansantes mêlées aux cris déchirants et aux pleurs désespérés. Tout.

— Je dormais. Je commence, fixant mes doigts qui s'entrelacent nerveusement. C'est ma louve qui m'a alertée. Ma mère est entrée dans ma chambre, le visage blême, m'annonçant que nous étions attaqués. Mon chez-moi brûlait en bas. Nous avons dû sauter par la fenêtre, la chaleur écrasante de l'incendie nous poussant à l'extrême. Toutes les maisons, sans exception, flambaient. Tout le monde hurlait, courait ou se battait. Mon père devait être avec Arthur, m'a dit maman. Ils ont dû se séparer plus tard... Étant donné que j'ai retrouvé mon père plus tard, je- enfin, je raconterai ça après... À l'époque, j'étais en formation, je suis une combattante. Mon alpha avait ordonné à notre meute de se rendre à notre tanière, un refuge connu de personne en dehors des loups blancs. Nous ne pouvions pas nous changer en loups ; certains de nos ennemis n'étaient pas sous forme lupin, et nous aurions été repérés immédiatement. D'autres attaquaient même nos camarades...

Sur le chemin, un loup nous a bloqués, tandis qu'un de ses complices se positionnait derrière nous. Étant une oméga, ma mère n'aurait jamais pu se battre. Heureusement, Duchesse, l'une de mes entraîneuses, est arrivée à notre rescousse. Dans le chaos, j'ai insisté pour que ma mère se mette à l'abri, ce qu'elle a fait, consciente qu'elle risquait de nous retarder. Je prends une longue inspiration, mon cœur battant la chamade.

J'ai laissé le contrôle à ma louve. Elle s'est battue jusqu'à ce que Franck, mon alpha, vienne achever notre adversaire. Il m'a ordonné de partir, mais en tant que louve, je n'ai pas pu contrer cet ordre. Et maintenant, je réalise que j'ai désobéi... Je me suis planquée derrière un arbre... Il n'avait pas utilisé son aura. Pourquoi ne l'avait-il pas fait ? Je murmure pour moi-même. Deux alphas se sont dressés contre lui, et cette fois, avec son aura, il m'a ordonné de ne pas intervenir. Les larmes qui avaient coulé le long de mes joues sont emportées par d'autres, plus nombreuses. Les yeux dans le vide, je cesse tout mouvement, mais pas la parole.

Il était à terre... À terre, alors que tout ce qui l'importait, c'était notre sécurité. Ses yeux m'imploraient de rester en vie, de rejoindre les autres.

Les deux alphas l'ont achevé après que ses dernières pensées se soient tournées vers la meute. Il était fier de nous tous. Ils l'ont achevé, et moi, je me suis tirée, comme une lâche, me dirigeant vers la tanière. J'ai trouvé un petit sur le chemin... Terrifié, il tremblait. Puis, je l'ai vu, ce loup au-dessus de ma mère, la gueule grande ouverte près de son visage. J'ai donné le petit à un autre de mes confrères et je me suis figée, réalisant qu'elle était immobile. C'est là que j'ai compris qu'elle était décédée. La douleur que j'ai ressentie juste avant la mort de mon alpha provenait d'elle. Je me suis mise à couiner, ce qui a attiré l'attention de son meurtrier. Il l'a jeter dans les flammes...

Je me suis jetée sur lui, alors que mon père venait d'arriver, témoin de l'horreur. Il s'est jeté dans les flammes pour la sauver, sachant qu'il était déjà trop tard, puisqu'il était son âme-sœur, il l'avait senti. Mon père a pris feu voix à son tour, et le loup qui a assassiné maman lui a tranché la gorge, ce qui m'a provoqué une énième douleur... Ma voix est empreinte de douleur, ma gorge serrée comme un étau, les larmes ne sont plus une rivière, mais une cascade.

— Vous souhaitez prendre une pause ? Voir Maxwell ?

— Non. Pas de pause.

   Mon interlocuteur se tourne vers la vitre, attendant sûrement que l'alpha dise quelque chose par télépathie. Je ne lui laisse pas le temps de me contredire que je poursuis :

— Je ne savais pas où était mon frère. J'étais épuisé. Chaque membre de la meute perdu m'avait drainée de mes forces, et la douleur était insupportable. Le tortionnaire de mes parents m'a annoncé que j'étais la dernière... Je ne le croyais pas. J'ai tenté de contacter quelqu'un par le lien, mais je n'ai jamais reçu de réponse. Jamais.

Il m'a frappé plusieurs fois, et je me suis rattrapée au mur enflammé, ce qui a provoqué ma brûlure au bras. Celui qui avait tué Franck venait d'arriver, ordonnant à mon agresseur de me laisser en vie. Il voulait me garder, me contrôler, ou plutôt contrôler mon don. Ils ont éteint le feu de mon bras, et j'ai immédiatement demandé à ma louve de ne pas me soigner. Cela a été difficile de la convaincre...

Il s'est approché, et j'ai tenté de lui donner un coup. Pour me punir de cet affront, il m'a griffé la gorge de bas en haut. La douleur de la brûlure et de la griffure était telle que je me suis évanouie. Je presse mes biceps de les mains. Quand je me suis réveillée, j'étais sur son territoire, frigorifié mais... soigné. Enfin, "soignée" est un grand mot.

Durant l'année qui a suivi le génocide, j'ai enduré l'humiliation, la torture, l'esclavage, et j'en passe. Un jour, sans que je comprenne quoi que ce soit, Peter a demandé qu'on m'amène à lui. Il m'a révélé son plan : j'allais m'unir à Maxwell. J'étais sous le choc. Moi, avec le type qui était encore plus psychopathe que Black ? Je me disais que ça allait sûrement être un cauchemar pire que ce que je vivais déjà.

Il m'a ensuite expliqué en détail. Maxwell voulait la plus belle fille de la meute. N'ayant plus ma louve, j'étais un boulet, un poids mort qu'il allait utiliser pour affaiblir la meute avant de les attaquer. Il était certain que Maxwell n'aurait d'autre choix que de m'accepter, sinon il n'y aurait aucune alliance. Si je disais quoi que ce soit, Arthur mourrait. Ils l'avaient gardé comme une assurance pour me faire pression. C'est ce jour-là que j'ai appris qu'il était en vie. Ils l'ont entraîné jusqu'à moi. J'ai essayé de le rejoindre, et lui de même, mais ils nous en ont empêchés. Être si proche, mais si loin, était un véritable supplice, insoutenable. Surtout quand il m'a annoncé que tant que ma mission n'était pas accomplie, Arthur restait avec eux. Je savais que même une fois ma mission accomplie, ils ne l'auraient pas laissé tranquille. Mais Peter a ajouté que si Maxwell apprenait ne serait-ce qu'une petite chose, Arthur mourrait. Je comptais le tuer sur le champ, mais heureusement, ma louve m'a remis les idées en place.

— Prenez une pause. Essaye l'agent. Vous n'êtes pas obligée de tout raconter tout de suit-

— Il m'a expliqué que j'allais être sa nièce, que mes parents étaient morts lors d'une des attaques sur son territoire. Que mon père était son frère. Que je devais porter des lentilles, car nous n'avions pas les mêmes yeux. Que je devais prétendre que j'avais teint mes cheveux. Il m'a informé que Maxwell et Liam allaient arriver dans une heure et que je devais me préparer, que je devais être parfaite. Que je partirais sur le champ avec eux, que j'y resterais trois jours afin que Maxwell détermine s'il me voulait en tant que Luna. Que je devais être irréprochable. C'est alors que je me suis préparé. La suite de l'histoire, vous devez la connaître... Maxwell a déjà dû vous en parler.

— En effet... Je vous remercie pour votre honnêteté et votre temps.

   Je me lève, le corps encore tremblant. En franchissant le seuil de la salle, un bruit soudain attire mon attention : la porte voisine s'ouvre à la volée. À peine ai-je le temps de distinguer l'ombre massive de la brute, que je me retrouve dans ses bras, enveloppée par sa chaleur réconfortante. Ma brute.

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Et si... Nous étions âme-sœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant