Chapitre 5 : Visite

190 22 8
                                    

Salieri fixait la pièce avec incertitude. Debout, à la porte, il n'était pas entré dans cette salle depuis très longtemps. Il lui semblait que la dernière fois datait de ses débuts auprès de l'empereur. Sa vingtaine, l'âge actuel de l'autrichien qui se jouait de lui. Six années étaient passées, et il n'avait jamais plus pénétré ce lieu. Il se demandait maintenant s'il n'aurait pas mieux fait de la condamner définitivement. Mais quelque chose en lui refusait de s'y résoudre. Il soupira et referma la porte avant de la verrouiller. Il voulait oublier mais en était incapable. Serrant la clé dans sa main, le jeune homme retourna dans son bureau pour poursuivre son travail. Il ouvrit un tiroir et il cacha l'objet au fond avant de le repousser dans le meuble. Pendant l'heure suivante, il composa une symphonie, plume en main pour rédiger la partition qui naissait dans son esprit. Ce n'était pas parfait, un simple premier jet de ce qu'il imaginait. Il lui faudrait encore tester les notes sur le piano et ajuster la mélodie avant de parvenir à un résultat satisfaisant. Mais il se sentait étouffé, enfermé ainsi depuis plusieurs jours, aussi se leva-t-il pour aller ouvrir en grand la fenêtre qui donnait sur son jardin. Sa place à la cour lui offrait un salaire bien supérieur à ses besoins, et il avait pu rénover cette maison gigantesque qu'il avait eue à bon prix à son arrivée en ville à cause de son état dégradé. Maintenant, le bâtiment était l'un des plus beaux du quartier riche de Vienne. Une si grande maison, pour un homme si seul. Il sourit, c'était un triste constat.


------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------


Mozart fit la moue. Assis à son bureau, il s'ennuyait. Il jeta un regard par la porte toujours ouverte en direction du bureau de Salieri. Son aîné n'était pas venu au palais depuis déjà une semaine. Il lui manquait. Il ne pouvait pas poursuivre son petit jeu si l'autre était absent. Son maestro essayait-il de le fuir suite à leur dernière entrevue ? C'était fort probable. Avait-il peur de ses envies à ce point ? Agacé par le manque de réponse à ses questions, Wolfgang se leva, décidé à se balader dans le couloir. Si Salieri n'était pas là, peut-être qu'énerver Rosenberg en flânant dans le palais le réconforterait un peu. Une conversation attira son attention, et il s'approcha pour écouter le groupe de bourgeois qui discutaient au détour d'un couloir.
- Ça fait un moment que je n'ai pas vu le maestro Salieri ici, se plaignit une demoiselle avec déception. Savez-vous quand il reviendra au palais ?
- Il paraît qu'il est souffrant, dit un homme en fronçant les sourcils.
- Mais non, protesta son ami, du personnel se rend chaque jour chez lui avec le courrier et les commandes qu'il reçoit ici. S'il était malade, il ne travaillerait pas. Madame, si vous souhaitez le voir pour une production, vous devriez lui écrire.
La femme rougit légèrement, se cachant derrière un éventail.
- Non il ne s'agit pas d'une commande. J'aime juste le croiser et échanger avec lui. Il est très plaisant...
Mozart ricana silencieusement. Si la pauvre savait. Il se sentit alors étrangement fier d'avoir eu le privilège d'avoir un moment intime avec le célèbre compositeur. Toutefois, il désirait plus. Il voulait le faire sien. Les deux hommes eurent un sourire compatissant envers leur compagne.
- Il ne restera pas éternellement enfermé, rassurez-vous. Mais c'est vrai qu'il aime être seul et que c'est un homme assez sombre. Mais il est libre, vous avez donc toutes vos chances pour le séduire.
- Attention mon ami, ne soyez pas si sûr de vous. Les rumeurs disent qu'il repousse toutes les femmes qui l'approchent. C'est un homme occupé et obnubilé par son travail. Ce sera une tâche ardue. J'ai rarement vu quelqu'un qui donnait autant d'importance à son emploi.
Mozart en avait assez entendu. Il savait ce qu'il lui restait à faire. Il retourna à son bureau, et observa la porte du cabinet de son collègue, attendant qu'un serviteur vienne chercher les documents à apporter au musicien. Lorsque ce dernier arriva, Wolfgang enfila sa veste et le suivit discrètement. Les deux hommes sortirent du palais, traversèrent la ville jusqu'au quartier riche de la ville. Le domestique frappa à la porte d'une maison gigantesque et sublime, et il transmit au majordome les papiers qu'il avait récupérés dans le bureau de Salieri. Le compositeur vivait donc ici. L'autrichien attendit que le serviteur soit reparti, et il alla frapper à la porte à son tour. L'homme lui ouvrit, et il parla aussitôt.
- Bonjour, je souhaite voir le maestro Salieri.
- Et qui dois-je annoncer à monsieur ?
- Wolfgang Amadeus Mozart, pour vous servir.
- Attendez un instant, je reviens. Le majordome le laissa quelques minutes à la porte avant de lui ouvrir de nouveau.
- Navré, monsieur ne peut vous recevoir.
Il avait vu juste. Salieri le fuyait. Il sourit à son interlocuteur.
- Je suppose qu'il ne l'a pas dit aussi poliment.
- Puisque vous voulez le savoir, il a dit qu'il était hors de question que vous mettiez les pieds dans cette maison.
- Oui, c'est bien ce que j'imaginais. Tant pis, j'aurais essayé.
La porte se referma, mais l'autrichien ne comptait pas abandonner, et il avait une autre idée en tête. Il contourna la maison, admirant l'architecture de cette dernière avec attention. Le jardin était aussi très grand, et bien entretenu. Tout était à l'image du propriétaire. Droit. Il leva la tête et vit une fenêtre ouverte à plusieurs mètres du sol. C'était haut. Mais ça ne faisait pas peur au jeune homme, qui commença à escalader la façade de la maison en direction de l'ouverture. Il lui fallut plusieurs minutes pour atteindre la fenêtre, et il s'y accrocha avant de perdre l'appui sous ses pieds. Le souffle court, suspendu de façon incertaine, il jeta un regard à l'intérieur. Le bureau de Salieri. Et le musicien était là, assis à la table, et la face contre le meuble, immobile et apparemment dépité de quelque chose. Souriant de malice, il dit alors, malgré sa respiration peu assurée.
- C'est comme ça qu'on travaille, maestro ?

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant