Chapitre 12 : La coupe de trop

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Salieri soupira. Cette soirée était d'un ennui mortel. Invité avec les membres de la cour chez un couple de nobles de Vienne amis de l'empereur, il n'avait pas pu décliner l'offre et s'était donc rendu dans la luxueuse demeure avec les autres bourgeois de la cité. Réputé, les convives lui avaient rapidement demandé de jouer au piano, et il s'était exécuté avant de se servir une première coupe de vin. Assis dans un fauteuil loin des autres personnes, il buvait maintenant en silence, attendant que l'heure défile en enchaînant les verres. Il savait pourtant que l'idée était risquée, mais pour supporter ce brouhaha incessant et les rires des courtisans pour lesquels il n'éprouvait que du mépris, l'alcool était sa seule échappatoire. La porte du salon s'ouvrit alors et il se figea. Mozart venait d'arriver. Ainsi, lui aussi avait été convié. Évidemment, pourquoi était-il surpris, toute la ville n'avait que le nom du prodige aux lèvres. Le blond fit une révérence grandiloquente, comme à son habitude, et Antonio pria pour qu'il ne le remarque pas. Tout le monde s'enthousiasma de la présence de Mozart, et à son tour, il fut prié de jouer. Un grand sourire au visage, le jeune virtuose accéda à la requête commune et il commença à tapoter les touches du piano, montrant toute l'étendue de son talent. Salieri faillit s'étouffer avec sa gorgée quand il reconnut la mélodie. Mozart jouait l'une de ses compositions à lui. Il jouait du Salieri alors que son répertoire personnel devait être immense. Le brun leva les yeux vers le piano, et croisa le regard du plus jeune. Il l'avait donc bel et bien remarqué. L'autrichien termina le morceau, et il s'inclina face aux applaudissements. Il vint ensuite faire face à son aîné, un grand sourire aux lèvres, et celui-ci, vraisemblablement de mauvaise humeur à cause de cette soirée, parla le premier.
- Allez emmerder quelqu'un d'autre Mozart. Je dois déjà vous supporter tous les jours, faites-moi le plaisir de me laisser une soirée.
Blessé et déçu, Mozart repartit sans même faire de commentaire sur sa grossièreté aussi soudaine qu'étonnante, et Salieri se sentit aussitôt coupable. Mais l'autrichien fut vite entraîné dans d'intéressantes conversations avec les convives, et il retrouva sa fougue habituelle très rapidement. Antonio, voyant que son coin tranquille ne l'était plus, se leva en chancelant, l'alcool lui faisant tourner la tête, et il alla s'assoir à la table, près de la carafe de vin. Personne ne vint l'importuner, son aura seule semblait démontrer qu'il n'avait pas envie de compagnie, et rapidement, les invités se rendirent au salon d'à côté pour poursuivre la fête dans une pièce plus grande. De toute façon, comme à chaque fois que les deux musiciens étaient réunis dans le même endroit, le blond éblouissait la foule de sa lumière, et l'autre devenait comme invisible à cause de sa réserve. Le compositeur resta seul, en tête à tête avec sa coupe de nouveau remplie. Il continua à boire pendant un long moment, il ne savait plus, le temps était une notion trop vague dans son état, et il finit par laisser son visage se poser contre son bras placé sur la table. Mais il n'était pas aussi seul qu'il le croyait. Wolfgang gardait un œil sur lui de loin, jetant régulièrement un regard dans la pièce pour vérifier la situation. Wolfgang savait bien qu'aux yeux de la cour, ils n'étaient pas proches, et qu'ils ne se fréquentaient pas plus que nécessaire, à savoir le domaine professionnel. Il savait aussi que le plus vieux n'avait pas voulu le blesser en l'envoyant balader plus tôt, il avait juste suivi l'image qu'il renvoyait au public, accentuée par l'humeur maussade qui l'entourait. Son maestro n'allait pas bien, et sa consommation excessive d'alcool le prouvait. Quand il fut certain qu'on ne lui prêtait plus d'attention, ce qui mit un certain moment vu l'enthousiasme des nobles pour le génie qu'il était, il se glissa dans la salle et s'approcha de la table avant de s'assoir à côté de Salieri, qui releva la tête. Ses yeux brillants perdaient en lucidité, mais il l'avait reconnu.
- Pardon... Pour tout à l'heure....
- C'est oublié.
- C'était méchant...
- C'est pas grave, maestro.
Salieri porta de nouveau la coupe à ses lèvres, et Mozart fronça les sourcils.
- Vous avez assez bu comme ça, vous avez vu votre état ?
L'italien haussa les épaules, les mèches sombres et désordonnées lui tombaient sur le front, cachant presque ses iris.
- Vous n'allez pas bien ? Demanda alors Mozart tout en connaissant déjà la réponse.
- Pour... Pourquoi j'irais pas... bien ?
Il avait de plus en plus de mal à construire ses phrases.
- Et bien, pour boire comme ça, je suppose.
- Ah... Ma vie est fade... A..Alors je bois du vin... C'est... C'est bon le v... le vin...
L'autrichien lui prit le verre des mains, s'attirant une moue déçue de la part de son aîné. Une expression qui aurait pu le faire rire si la situation avait été différente.
- Arrêtez-vous là, maestro. Continuer ainsi vous mettrait en danger. Je vais aller vous chercher un peu d'eau. Ne bougez pas.
Il se leva, emmenant le pichet d'alcool pour plus de sûreté, et il repartit de l'autre côté à la recherche d'une carafe d'eau. Il remplit soigneusement un gobelet vide d'eau avant de retourner auprès de Salieri.
- J'ai trouvé, tenez, ça va vous faire du bi...
Il se figea. Salieri n'était plus là. Il chercha du regard la silhouette du maître de la chapelle dans la pièce, puis dans le salon, parmi les nombreux invités, mais il dut se rendre à l'évidence, il était parti. Wolfgang attrapa sa veste avant de l'enfiler et il se précipita hors de la maison, courant dans la rue à la recherche du compositeur.

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Salieri marcha d'un pas hésitant hors de la demeure. Il ne se rappelait même plus qui habitait là. Il haussa les épaules, ce n'était pas comme s'il en avait quelque chose à faire. L'italien dut mettre toute sa concentration à l'œuvre dans la descente des marches. Il n'y en avait pas beaucoup, mais il trébucha à chacune d'elles. Les joues rougies par le taux d'alcool en lui, il regarda un instant la rue, se demandant par où était son adresse. Puis, il décida de tourner à gauche, se disant que ça devait être par là, dans le coin, peut-être. Il ne marchait pas droit, heureusement, le lieu était désert et il ne croisa personne. Il était donc libre de se prendre les murs ou les panneaux sans en ressentir de honte. Il rigola même légèrement après avoir heurté un portail de plein fouet et lui avoir présenté ses excuses par réflexe. Le jeune homme regarda autour de lui, essayant de savoir où il était. Il n'en avait pas la moindre idée. Il se rendit alors compte que des bruits de pas s'approchaient de lui et il se tint droit pour cacher son état afin de demander à la personne qui marchait dans sa direction où il se situait. Le bruit était pourtant trop rapide. L'inconnu ne marchait pas, il courrait. Antonio fronça les sourcils. Qui pouvait donc courir à cette heure tardive ?
- Maestro !
Il se figea en reconnaissant la voix. Le blond l'avait donc suivi hors de la maison ? Pourquoi ? L'autrichien arriva enfin près de lui, et il reprit son souffle doucement tandis que Salieri le fixait sans comprendre.

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant