Chapitre 10 : Chanteur

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Mozart était dans la bibliothèque du palais, occupé à écouter les conversations des nobles présents dans la pièce. A l'origine, il cherchait dans les archives des informations à propos de celui qui occupait toutes ses pensées, mais par un bienheureux hasard, le sujet de discussion du groupe de bourgeois présents était également le maître de la chapelle. Un homme, bien plus âgé que tout le monde, parlait d'une voix chevrotante.
- Quand je pense que je le connais depuis son enfance, à l'époque, le célèbre Florian Gassmann l'avait pris pour apprenti, il composait et jouait, et le jeune Salieri chantait à ses côtés. Quelle voix sublime. Je trouve dommage qu'il ne nous en fasse plus profiter...
- Peut-être est-ce du au changement qui a lieu à l'adolescence ? Une voix enfantine n'est pas la même que celle d'un homme.
- Balivernes, affirma le vieillard. Il a appris tout ce que Gassmann savait. Je suis persuadé qu'il sait encore chanter avec sublimation. Je crois qu'il ne le fait plus car il s'est beaucoup renfermé depuis le décès de son maître. Il était moins réservé avant, il a du être très affecté par la disparition de celui qui lui a tout enseigné. C'était un garçon souriant et plein de joie vous savez, je sais, c'est surprenant quand on le voit aujourd'hui. Parfois, je regrette de me dire que je vais quitter ce monde sans l'avoir entendu chanter de nouveau.
Une femme demanda alors.
- C'était si beau que ça ?
- Oh, madame, vous ne pouvez imaginer. Un ange n'aurait pas mieux chanté.
Wolfgang essaya alors de voir dans son esprit l'italien en tant que soprano, mais il ne parvient pas à imaginer sa voix, ou son chant. Cela le frustra. Il voulait savoir. Il voulait l'entendre.


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Salieri était penché sur une composition pour le prochain bal de l'empereur quand la porte de son bureau s'ouvrit. Il n'eut pas besoin de lever la tête pour savoir qui entrait ainsi sans frapper.
- Que puis-je faire pour vous Mozart ?
- Vous chanteriez pour moi ?
Il se redressa pour fixer le blond.
- Pardon ?
- J'ai appris que dans votre enfance, vous chantiez. Et apparemment, c'était divin. Je souhaite vous entendre, maestro.
- Je ne chante plus depuis des années.
- Oh, s'il vous plaît ?
- Hors de question.
Un silence prit place, mais Salieri se doutait que l'autrichien cherchait des arguments.
- Et pour accompagner l'une de mes compositions ? Je n'ai pas pu refaire de répétitions pour la suite du second acte de la commande d'opéra de sa majesté, et vous êtes censé veiller à ce que tout se déroule comme prévu et dans les temps. Accompagnez mon piano en chantant cette partie, et je pourrais avancer correctement pour que tout soit prêt pour la première.
Antonio lui jeta un regard scandalisé. Comment osait-il se servir de l'empereur pour lui forcer la main ? Le blond le fixait avec une malicieuse innocence. L'aîné soupira.
- Je n'ai pas vraiment le choix. Donnez-moi votre partition et qu'on en finisse vite.
Wolfgang sauta de joie, et il sortit vite pour aller chercher le papier dans son bureau tandis que Salieri rejoignait la pièce centrale, où il attendit près du piano, un air contrarié au visage. Mozart lui tendit le document, et il lut les paroles en diagonale. Il s'agissait du chant du personnage de Predrillo, transis d'amour pour Blonde, une jeune servante. Il ne put s'empêcher de rougir en comprenant qu'il s'agissait là d'une déclaration romantique de l'homme envers son aimée, et qu'il allait devoir exécuter ça devant l'autrichien. Il était sûr que celui-ci l'avait fait exprès. Le blond le fixait avec un sourire taquin, visiblement très fier de lui.
- Vous êtes prêt, maestro ?
Salieri hocha simplement la tête, et Mozart commença à jouer avec sa dextérité habituelle. Cette fois, l'italien ne devait pas se laisser envahir par ses émotions face à la musique virtuose de son collègue. Il se concentra, suivant les notes, et ouvrit la bouche pour chanter. Mozart faillit en faire une fausse note. Le vieillard avait vu juste, Antonio était digne des meilleurs sopranos de leur ère. Sa voix, grave et posée, était encore plus mélodieuse que toutes celles qu'il avait entendues. Même Aloysia, qui l'avait fait tomber sous son charme en un seul chant, semblait moins brillante face à lui. Il profita de cette harmonie sublime et enchanteresse, jouant avec sa légèreté habituelle, l'esprit concentré sur la voix de son maestro. Salieri n'était définitivement pas n'importe quel musicien. La musique s'arrêta doucement, et le brun se tut enfin, les joues toujours rougies, surtout par l'attention exagérée que lui accordait Mozart.
- Monsieur, vous êtes un don du ciel. Comment pouvez-vous me qualifier de génie alors que vous possédez une voix pareille ?
- Je... Merci... Mais ne me redemandez ce genre d'exercices, je vous prie.
Mozart sourit, il se leva du piano et combla la distance entre eux pour se blottir contre le torse de son maestro, l'empêchant de fuir. Il laissa ses mains parcourir sa poitrine avec douceur avant de venir embrasser son cou tendrement, ce cou qu'il aimait tant, qui l'attirait si fort... Le brun se figea, un soupir non voulu s'échappant de ses lèvres et faisant sourire le cadet.
- J'adorerais vous entendre donner de la voix dans un autre genre de situation, susurra alors l'autrichien avec sensualité.
Il saisit alors la mâchoire de Salieri, avant de laisser ses doigts glisser sur sa bouche, puis sa gorge.
- J'aimerais aussi beaucoup voir ce que vous savez faire d'autre avec tout ceci...
Le visage de Salieri avait viré au cramoisi. Mozart le libéra de son étreinte.
- On se revoit cette après-midi chez vous pour terminer cette partition commune !
Il lui adressa un clin d'œil et partit dans son bureau, laissant son aîné chancelant et atrocement embarrassé.

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant