Chapitre 8 : Insomnies

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Salieri était posté près de la fenêtre de sa chambre, tourmenté par ses pensées. Il repensait sans cesse à Mozart, à ses paroles, à ses gestes, à ses avances. Il n'arrivait pas à retirer de sa tête le visage blond et fier qui le fixait, il ne pouvait qu'entendre sa voix doucereuse, ou son rire taquin, même en son absence. L'autrichien le rendait fou. Le maître de la chapelle impériale enroula ses mains autour de lui même, comme pour se protéger de ses émotions. Il revit celles de Mozart sur son corps et il frémit à ce souvenir. Il voulut contenir son esprit, mais il était trop tard, déjà, il imaginait des scènes intimes, érotiques et inavouables, dignes de l'obscénité du blond excentrique. Le désir le tiraillait, et il ne parvenait plus à contrôler son envie. Il se laissa tomber sur le sol de la chambre en gémissant. Il était seul dans la pièce, et il se consumait lentement. Il n'avait pas le droit de ressentir ça. C'était interdit, c'était mauvais pour lui, mais aussi pour l'autre. Celui-ci s'en fichait, il ne prêtait pas attention aux règles, ni aux conventions. Mais lui était à la cour, lui était le maître de la chapelle impériale. Il était droit, professionnel, distant. Il était imperturbable, et pourtant Wolfgang le perturbait avec une violence aussi grande que celle qu'il muselait en lui depuis des années. Salieri se sentit glisser lentement dans l'ombre. Il en perdait la raison.


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Salieri entra dans la salle de musique à une heure inhabituelle. Il arrivait au palais tous les matins de bonne heure, mais cette fois ci, le soleil était haut dans le ciel quand il se présenta. Il n'avait pas réussi à dormir de la nuit, ne s'assoupissant avec difficulté qu'à l'aurore pour une durée trop courte. Des cernes marquaient ses yeux sombres, et sa coiffure généralement minutieuse était éparpillée sur sa tête avec négligence. Il l'avait l'air exténué, et il l'était. Il toqua à la porte du bureau de Mozart et entendit son cadet lui autoriser l'entrée.
- Et bien, maestro, j'ai cru que vous ne viendriez pl... Oh, vous allez bien ?
- Mmh, merci. Veuillez excuser mon retard imprévu.
Wolfgang désigna la chaise à côté de son fauteuil, et Antonio se laissa presque tomber dessus. Ils commencèrent à travailler, et si le plus âgé n'avait pas été si épuisé, il aurait admiré la façon dont son cadet devenait sérieux et passionné quand il s'agissait de musique. Mais il avait l'esprit distrait, et il répondait de façon évasive à chaque suggestion de l'autrichien. Au bout d'un moment, Mozart posa sa plume.
- Bon, ça suffit.
Salieri jeta sur lui un regard interrogatif.
- Désolé, maestro. Vous n'êtes vraiment pas concentré. Regardez vos notes, vous avez fait deux erreurs sur vos dernières mesures. On ne peut pas continuer comme ça.
- Je...
- Non, ne dites rien. Je ne vous reproche rien, je ne suis pas fâché, ni déçu. Simplement inquiet. Vous n'avez pas l'air bien. Avez-vous vu votre reflet dans le miroir ce matin ?
- Euh... Non...
- On dirait que vous sortez d'un cimetière. Vous êtes complètement à bout, alors ne vous forcez pas à travailler.
Le blond se leva et il saisit le poignet du maître de la chapelle pour l'entraîner avec lui. L'italien se laissa faire, tel un pantin désarticulé. Le plus jeune alla dans le fond de la pièce et s'installa sur l'un des sofas avant de faire basculer le brun sur lui, tous deux en position allongée.
- Mozart, mais qu'est ce que vous faîtes ?
Il semblait perdu. Wolfgang replaça une mèche noire sur son front avec douceur.
- Nous ne reprendrons le travail qu'une fois que vous aurez dormi un moment.
- Je ne suis pas sûr de réussir à dormir plus que cette nuit.
- Cette nuit, je n'étais pas là pour y veiller.
Couché ainsi sur l'autrichien, le compositeur se sentit toutefois bien plus apaisé qu'il ne l'était dans son lit habituellement. Ses yeux papillonnèrent alors. Il était vraiment fatigué. Son cadet lui caressa lentement les cheveux.
- Ne luttez pas, maestro, vous en avez vraiment besoin.
Antonio capitula, il ferma les yeux, et ne se sentit même pas sombrer dans un sommeil profond, bercé par les gestes, l'odeur, et la présence du jeune musicien.

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Mozart était resté immobile durant plusieurs heures, ne voulant pas réveiller l'homme assoupi contre son torse. Alors il l'avait admiré, mémorisant chaque détail de son visage. Ses paupières couvertes d'un maquillage noir, ses longs cils ébènes, sa mâchoire ferme, parfaite, recouverte d'une barbe légère et aussi noire que ses cheveux, coupés courts malgré quelques mèches plus longues et rebelles qui tombaient sur son front, ses lèvres fines, si douces, si tentantes, légèrement entrouvertes pour laisser son souffle s'échapper. Son cou délicat, enserré d'une chemise et d'une broche conventionnelles. Endormi, il laissait tomber son attitude si formelle, et la mesure dont chacun de ses gestes était emprunt. Actuellement, blotti contre son cadet, il semblait si loin de sa prestance habituelle. Il avait l'air chétif, affectueux. Il entrouvrit les yeux, s'éveillant doucement, et posa son attention sur le visage de l'autrichien qui lui souriait doucement. La réalité revint brusquement à lui, et il fit un bond, se reculant jusqu'à l'autre bout du sofa pour s'éloigner du jeune homme.
- Du calme, maestro, tout va bien. Vous avez bien dormi ?
- Je... C'est terriblement embarrassant, murmura l'autre d'une voix rauque encore ensommeillée tout en détournant les yeux.
- Mais non, je vous assure. Ne vous tracassez pas. Vous étiez vraiment épuisé, vous aviez besoin de dormir un peu.
- Combien de temps ?
- Je dirais deux ou trois heures.
- Vous êtes resté immobile pendant tout ce temps ?
- Il le fallait bien, je ne voulais pas risquer de vous réveiller. Mais ne vous en faites pas, j'ai beaucoup aimé vous regarder dormir.
Salieri sentit ses joues le brûler et il enfouit son visage dans ses mains.
- Je suis désolé Mozart. Je dors vraiment mal, et peu, depuis quelques temps. Pourrions-nous reprendre cette composition un autre jour ?
- Aucun problème, maestro, ce n'est pas pressé. Voulez-vous que je vienne chaque soir dans votre lit pour vous aider à vous endormir ?
L'italien se tendit soudainement, et il se leva, se dirigeant vers la porte.
- Je plaisantais ! Ne vous braquez pas, s'il vous plaît.
Mais le plus âgé atteignait déjà la porte et l'ouvrait brusquement. Avant de la refermer, il tourna cependant la tête, le regard brillant.
- Je vous remercie... C'était... hum... très agréable...
Il disparut ensuite.

Mozalieri - Un jeu inavouableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant