Chapitre 37.

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Il n'y avait plus de neige sur les trottoirs mais la nuit était humide et froide. L'oiseau hivernal, au plumage duveteux, avait migré et fui la capitale. Un homme, le pas boitant, s'enfonçait dans les rues aux réverbérations jaunâtres, laissant derrière lui une traînée de nicotine tiède qui s'évanouissait bien vite. Il se répétait l'adresse et l'heure en boucle dans son esprit, réassemblait les chiffres et les lettres, les recombinait en vain, comme pour en décoder le mystère. Il avait vérifié sur Internet et il était sûr d'une chose : il n'y avait absolument rien, là où il se rendait. Mais il n'avait pas peur des causes perdues. Elles ponctuaient son existence, le faisaient et le défaisaient à leur gré.

Finalement il s'arrêta dans une rue déserte, face à la grille de fer abaissé d'un vieux restaurant occupant le rez-de-chaussée d'un immeuble à deux étages. Il avait l'air de venir du siècle passé. Ça ne sentait pas très bon. Il plissa le nez en observant la gouttière rouillée et les quelques mauvaises herbes inespérées qui faisaient honneur aux craquelures du bitume. Le silence l'angoissait. Il vérifia encore l'adresse mais pas de doute, il y était. Il se dit qu'il avait toujours sa fin de clope à fumer de toute façon, pour patienter. Et qu'au pire des cas, il s'en reprendrait une. Il s'accroupit confortablement sur le bord du trottoir, coinçant la cigarette entre ses lèvres gercées et retira son bonnet pour plaquer ses cheveux en arrière, de ses gros doigts calleux.

Quelques minutes plus tard, une porte dérobée s'ouvrit en grinçant derrière lui, appartenant au vieux restaurant fermé. Namjoon jeta un coup d'œil par dessus son épaule pour apercevoir une vieille femme fluette qui venait de sortir, tirant un énorme sac poubelle derrière elle. Il soupira, se massant la tempe. Il était tard, très tard, dans la nuit. Cette heure où rien qu'un grain de poussière peut faire sursauter. Cette heure où il ne regarde plus sa montre parce que ça n'a plus de sens. Cette heure où les chats maigres fouinent dans les ordures et décanillent dans un râle hargneux au moindre passant. Le petit rond incandescent se rapprochait dangereusement de sa bouche alors qu'il tirait une taffe. Le malaise l'emplissait. Il était impatient que quelqu'un arrive pour lui.

Il se sentit observé et remarqua qu'il n'avait pas entendu la porte grincer de nouveau pour se refermer. Aussi discrètement qu'il le put, il regarda de nouveau en direction de la façade décatie et se figea. La vieille femme était plantée à quelques mètres de lui, les poings sur les hanches. Il frissonna. À une heure pareille, même l'ombre d'une vieille dame ferait peur. Il se racla la gorge, mal à l'aise de ce long échange de regards et se releva, trouvant sa posture vulgaire. Il décida de se courber poliment devant son aînée. À son grand étonnement, la petite femme siffla d'admiration :

- Et bah, il a pas menti, le chéri... Kim Namjoon, je suppose ?

Abasourdi par le comportement de la vieillarde, le grand homme regarda autour de lui, pas certain qu'on s'adressait bien à lui. Il se trouvait pourtant seul. Finalement, il hocha la tête avec hésitation. Cette soirée s'annonçait plus étrange que prévue. Elle tapa vulgairement sa langue dans sa joue avant d'ajouter sobrement :

- Suis-moi.

Honnêtement, c'était la grand-mère la plus effrayante que Namjoon n'avait jamais rencontré. Mais comme il voulait vraiment voir Jimin, qu'il l'imaginait sans problème pouvoir être surnommé "le chéri", et qu'il commençait vraiment à être gelé, il écrasa rapidement la cigarette sur le bitume et la suivit sans un mot, marchant en direction du triangle de lumière accueillante qui s'échappait de cette porte entrouverte.

La pièce exigüe dans laquelle ils pénétrèrent n'était éclairée que par la pièce attenante, une cuisine semi-ouverte. Des plats devaient encore mijotés car la fumée se diffusait lentement dans la salle de restaurant, par-dessus le comptoir et de la buée gouttait sur les vitres, dissimulées de leurs stores métalliques. Ça sentait le lait caillé et la pâte de piment :

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant