Chapitre 29.

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Il était rare de voir Min Yoongi trempé par la sueur. Pourtant il l'était toujours lorsqu'il descendait de scène. Il était là, perdu, étourdi par les hurlements de la musique, au fond d'un canapé en cuir matelassé. Il flottait dans ses habits larges, profitant de la brise provoquée par les passages incessants des gens, pour se sécher un peu. Il faisait tourner son verre à moitié vide sur la table basse devant lui depuis déjà de très longues heures, ayant bu sans conviction le verre qu'on lui avait offert après sa prestation. L'adrénaline était redescendue depuis quelques temps. Il était redevenu quelqu'un de maussade après son moment de gloire sur scène. C'était un peu la même chose que l'alcool, cette redescente brutale à soi-même et à sa fatigue du quotidien qu'il se traînait. Parfois on l'alpaguait en lui frappant l'épaule, heureux de le féliciter. Plus la tape était forte, plus c'était sincère. Les gens aimaient son travail et sa peau marquait facilement. Par conséquent, il n'était pas rare que son bras maigre violace le lendemain d'un concert.

Il fixait les visages souriants. Les lèvres bougeaient, il hochait la tête avec un air sympathique pour satisfaire son vis-à-vis et qu'il reparte au plus vite.

Il avait du mal à suivre, Yoongi... Sur scène, il sentait une sorte de frisson le parcourir, une aura qui le dépassait, prenait possession de son corps frigide et, tout à coup, ses pieds frappaient la scène avec assurance et grand fracas. Il n'avait plus le temps de ressentir la peur des autres, la peur de vivre, la peur d'être soi. C'était même l'inverse. Il sautait dans le vide avec l'assurance de savoir voler. Il ne se reconnaissait pas vraiment sur scène. D'un coup, les regards sur lui devenaient vitaux, encourageants, grisants. Le son vibrait en lui, tapait ses tympans jusqu'à les faire siffler et quelque chose prenait vie, jaillissait. Les bruits assourdissants étaient une incantation et une force inconnue se glissait infailliblement sous sa peau. C'était immanquable. Une transe. Il se chargeait pour quelques heures. Une drogue dure.

Mais Yoongi n'avait pas tant de mal à retourner à sa personnalité silencieuse et introvertie pour la simple et bonne raison qu'il n'y avait que dans cet état qu'il pouvait reprendre le cours de ses idées tumultueuses et pencher des notes sur le papier. Quelque part, il aimait sa dualité d'artiste. C'était la transition entre les deux qui le mettait mal à l'aise car les gens ne savaient jamais à quelle facette de Yoongi ils s'adressaient une fois qu'il sortait de scène. Cela créait des quiproquos dont Yoongi se serait bien passé.

La salle était bondée. Quelques personnes vinrent prendre place à ses côtés. Mal à l'aise, il se contentait de lever son verre en souriant, faisant mine de les suivre et attendait. Il ne participait pas aux conversations et aux grands éclats de rire. Il enfilait toujours ses boules quies en soirée. Il était plutôt pragmatique sur ce point : ses oreilles étaient de vrais outils de travail, elles étaient de grande qualité, par chance, et il n'avait pas l'intention de les abîmer sous prétexte de se sociabiliser.

Il aperçut la longue silhouette de Namjoon fendre la foule. Sans doute le seul à se confondre en excuses pour essayer de se faire un chemin au milieu des gens qui s'amusaient et perdaient un peu l'esprit. Il s'arrêta pour discuter avec des amis musiciens. Yoongi l'observa rire, Namjoon et ses fossettes où courraient des ombres rapides sous les néons colorés, son air aimable, son t-shirt collant de transpiration, son jean défoncé, ses gestes trop brusques, son air étrange d'intello rock'n'roll... Il se sentait petit, lui, au fond du canapé, dans le silence de ses boules quies. Et il fallait que son colocataire arrive jusqu'à lui, l'air heureux, jubilant presque de le retrouver. Yoongi soupira, contraint de retirer les boules de ses oreilles quand l'ancien soldat se laissa tomber à ses côtés. Ils étaient déphasés :

- Ça va, mec ? Demanda Namjoon en rejetant ses mèches humides en arrière.

Yoongi hocha la tête, malheureux de ne pas trouver la trace d'un moindre petit bonheur à se mettre sous la dent. Il fouillait dans l'instant présent avec exaspération :

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant