Chapitre 1.

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Le gros monsieur était avachi dans son fauteuil. Il venait de reposer ses énormes dossiers pastels qui s'empilaient sans fin... Pastel, comme l'univers de son idole, Park Jimin. La lumière électrique jaunâtre des lampadaires filtrait entre les stores en papiers. Il était près de 22h. Il se serait bien allumé une clope mais il y avait des foutus détecteurs de fumée dans son bureau. Il se dit que sa femme allait encore gueuler qu'il arrivait toujours quand tout le monde était déjà couché. Il en avait marre d'expliquer que c'était comme ça dans le monde du divertissement et qu'il devait attendre que Jimin finisse ses entraînements s'il voulait lui parler. Putain, mais 22h quoi... C'est pas possible, il ne va jamais terminer ? Il eut un rire amusé. Ils l'avaient bien dressé. C'était devenu un accro du travail. Il se souvenait encore du prépubère qui était arrivé le jour des auditions. Il avait un style vestimentaire à faire gerber. Heureusement que la compagnie ne le laissait pas s'habiller seul. Il pouvait les remercier, il l'avait bien arrangé quand même. Le Park Jimin de l'époque n'avait rien d'exceptionnel physiquement. Même un peu moche. En tout cas bien trop moche pour monter sur une scène sans qu'on ne lui jette des tomates pourries. Mais une voix agréable, des mouvements de danse maîtrisés... Et puis cette rage... De la fibre artistique au fond d'un regard timide et enfantin... Il s'était présenté comme un danseur passionné. Il s'était présenté ainsi, en insistant sur le mot « passion ». Du potentiel en somme. Mais un discours de merde, songea le directeur Oh. Mais bon, ils avaient pris Jimin pour voir s'il avait quelque chose dans le ventre, à l'essai, comme ça, pour voir... Et puis son innocence naturelle collait bien au personnage public qu'ils avaient voulu créer. À vrai dire, le directeur n'avait pas beaucoup misé sur sa réussite pendant qu'il était trainee mais il s'était révélé plus tenace qu'à première vue. Il y avait eu beaucoup d'enfants pour ce poste et finalement, après des années d'entraînements, Jimin avait été « élu ». C'était bien le mot.

A partir de ce moment-là, on avait retiré le chasuble avec son numéro d'immatriculation et on lui en avait enfilé un autre avec son nom. « PARK JIMIN » en gros, sur le ventre. L'adolescent en avait été ému. Le directeur avait hoché la tête. Pour la première fois il l'avait appelé par son prénom. L'enfant avait souri de plus belle, euphorique à l'idée d'être déjà devenu un petit quelqu'un. L'homme n'avait pourtant pas cherché à retenir ses traits, il avait simplement murmuré à l'oreille de son collègue : « Refaites lui un visage potable qu'il ressemble à une idole rapidement. ».

L'homme essuya sa main moite sur sa chemise et son regard se posa sur les photos de Jimin sur scène, un trophée dans la main. En quelques années, avec un travail d'esclave de la part de toute l'équipe, ils l'avaient porté vers la gloire. Le concept mignon, love et rose bonbon que le label lui avait donné avait bien marché, il avait fait de l'argent. Il était devenu la plus grosse source de revenu de l'entreprise même. Ça avait été une période d'opulence. Le jeune était passé sur tous les plateaux télé, ils avaient dû en faire couler de l'encre pour produire ses scripts. Le gamin était un chanteur appliqué, un putain de danseur mais un comédien de merde. À chaque plateau télévision, il avait l'air d'un abruti et le directeur était gêné rien qu'en le regardant réciter les réponses que les chargés de communication lui avait fourni... Mais finalement... Son air un poil débile avait renforcé son côté innocent et ça avait marché contre tout attente. Il recevait même quelques appels de plateaux télé qui demandaient Jimin en particulier parce qu'il semblait bête et que ça amusait l'audience.

Il hocha la tête en se souvenant de cette époque épuisante. Personne ne semblait vraiment dormir. Le public était avide, il fallait produire du contenu, encore, encore et encore avec une frénésie qu'ils n'avaient osé espérer. D'un seul coup, il fallait servir le jeune homme à toutes ses jeunes personnes derrière leur écran comme s'il fut leur petit-ami, leur meilleur ami... Certaines étaient exigeantes, derrière leur enthousiasme, salvateur pour les comptes de l'entreprise.

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant