Chapitre 17.

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Namjoon avait une dernière livraison avant de quitter le boulot. Qui pouvait bien commander des pizzas si tard dans la soirée ? Des gens aux vies décalées, comme lui et Yoongi, songea-t-il. Ou alors... On était samedi soir. Une pizza vers 23h, c'était forcément une soirée film entre amoureux pour ceux qui commandaient. Il pouvait se figurer leurs rires, leurs doigts entrelacés.

Namjoon rentrerait seul dans le petit appartement, avec ses publicités à gratter qu'il piquait sur le comptoir quand ses collègues avaient le dos tourné. Il les donnerait à Yoongi qui regarderait la télévision, amorphe. Ils trinqueraient avec une bière ou un thé et ils iraient se coucher ou composeraient jusqu'à l'aurore. Y avait-il seulement un évènement sur sa route pour le sortir de ce cycle monotone ? L'amour ? L'amour était-il prévu dans le scénario ?

Il jeta sa charlotte dans la poubelle des petits WC et se recoiffa comme il put dans le miroir sale. Il essaya de dompter ses cheveux châtains en les plaquant en arrière, bavant sur ses doigts dodus pour fixer le tout. Il tourna la tête des deux côtés pour s'assurer que c'était symétrique. Satisfait, il se redressa, bomba le torse, tirant sur sa veste en jeans. Par quel miracle avait-il enfilé un t-shirt noir aujourd'hui ? Détacher ses vêtements de sauce tomate étaient devenu une routine pour Namjoon. Mais, au moins, sur les tissus noirs, on ne le voyait pas. Il se recula un peu pour se jauger. Heureusement, sa carrure épaisse rattrapait le tout. Merde, il n'était pas si mal... Il avait plu à quelques types mais très peu. Une seule main devait suffire à compter ses conquêtes. Namjoon était timide, coincé. Il n'osait pas faire le premier pas sans l'aide de l'alcool et l'adrénaline de la scène. Autrement dit, mise à part des histoires de sexe, il n'avait jamais fait de véritable rencontre. La seule connexion qu'il avait tissé avec ces gens se résumait sans doute à des mots crus : une fellation, une sodomie et puis ciao.

Au fond de lui, il était fantasque, il avait un vrai charme, sa folie à lui... Mais tout ça était caché sous des années de névrose familiale. Pour sûr, un psychanalyste se serait amusé avec lui. Sans doute lui faudrait-il des années de thérapie pour qu'il s'ouvre sur ce qu'il ressentait. Il se racla la gorge sans quitter des yeux son reflet et s'entraîna à sourire. Il alla même jusqu'à ajouter un clin d'œil pour voir l'effet que ça faisait :

- Bon merde, Namjoon, tu fais quoi là !? Tu t'es endormi sur le trône ou quoi !?

Le grand rappeur sursauta et se jeta sur le robinet pour allumer l'eau, pris de court :

- Non non ! Je sortais là, je me lave les mains !!

Yoongi n'avait pas éteint son moteur, son vieux rococo garé à la va vite, en équilibre sur le trottoir qui faisait face à la pizzeria. Il fumait par la fenêtre baissée de sa portière malgré le froid et lisait attentivement quelque chose sur l'écran de son téléphone portable. Il releva la tête, comme ayant senti le regard de son colocataire sur lui et lui adressa un petit sourire. La lumière du téléphone lui faisait les dents bleues. Il vit que Namjoon était déprimé rien qu'à sa façon de regarder un peu partout en s'approchant du véhicule, ses doigts tapotant nerveusement sur le couvercle en carton de la pizza. Il rit intérieurement. Militaire, mon cul. Il était un être sensible aux humeurs volatiles. Il avait besoin d'amour, ce grand dadais malheureux. Et ça tombait à merveille. Ils se tapèrent dans la main en guise de salutation :

- Hey, mec qu'est-ce que tu fais là ? Tu passais dans le coin ? J'ai encore une livraison, je rentre après.

Le conducteur sourit, sans répondre et l'invita simplement à prendre place à l'arrière de la vieille bagnole :

- Allez monte donc. Je te conduis.

Surpris, Namjoon regarda derrière lui pour vérifier que ses collègues ne le voyaient pas, puis il contourna rapidement le véhicule :

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant