Chapitre 26.

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Jungkook avait eu une journée atrocement vide. Pas qu'il avait chaumé, loin de là. Mais il avait juste enchaîné les actions sans vie. Peut-être qu'il se sentait un peu seul. Peut-être. Peut-être aussi qu'il avait besoin d'oublier les cris, le bruit de son vase qui explose sur le sol, la poignée de porte qui s'agite sans relâche... Non, pas oublier... L'oubli était un mensonge. Juste ne plus y penser du tout... Réduire à néant cette nuit de démence.

Jungkook avait besoin de vivre violemment. Troquer une violence par une autre. La sienne. Il avait pris ce réflexe. Il l'avait bouffée à la petite cuillère, la folie du monde. Il avait bu à même son mamelon glacé. Une gorgée de sang. Comment aurait-il pu être doux comme un agneau ? Il agitait ses poings, cognant à l'aveugle, sans relâche, dans sa noirceur, attendant le prochain monstre. C'était épuisant mais c'était ainsi.

Il allumait des clopes à tout bout de champ, à peine dissimulé, cherchant à se faire prendre, renvoyer, déglinguer, rejeter, punir, insulter. Mais Seokjin ne lui disait presque plus rien. Il était fatigué, Seokjin, de courir derrière le mioche... Il le laissait tout faire. Il priait seulement pour que la nicotine le détende un peu.

Il craqua ses doigts en s'étirant. Il fallait qu'il trouve une nouvelle connerie. Il était tard, son manager le cherchait pour le raccompagner chez lui. Il sourit devant les appels manqués qui s'entassaient sur son répondeur. C'était toujours un moyen de ressentir quelque chose que de faire du mal à Seokjin : de l'excitation quand il jouait à cache-cache avec l'adulte, de la colère quand il se faisait vertement engueuler, du pouvoir quand il remettait l'aîné à sa place et enfin, de la honte, quand il voyait la fatigue de vivre dans les yeux sombres de son manager. Jungkook avait des raisons d'en vouloir à vie à Seokjin. Il se demandait même parfois pourquoi il y avait de l'amour au milieu de la rage qu'il portait à l'adulte. Et pourtant, sans son manager, Jungkook serait perdu.

C'était le contexte parfait pour échapper à son contrôle, ce soir. Un peu d'action. Il sortit des douches et se mit à errer dans les couloirs, sa veste nonchalamment jetée sur son épaule, l'air désagréablement satisfait de lui-même. Il croisa un professeur de chant :

- Ah, Jungkook, Seokjin te cherchait ! Il voulait que vous rentriez.

- Oui, je sais merci, coupa l'adolescent. Je vais le retrouver là justement, mentit-il.

- Ah... Très bien, bonne soirée, répondit l'homme avant de reprendre sa marche.

Jungkook le salua en souriant, sadique. Il sentit une euphorie le gagner. Il allait faire une connerie. Il se perdit dans le dédale de couloirs et d'escaliers avant de le trouver : Kim Taehyung. Son joujou.

Taehyung n'était pas seul, il jouait sur un clavier, perché sur un tabouret rond, aux côtés de son professeur de piano. Ils riaient alors que les doigts du chanteur courraient à tout allure sur le clavier avec un air taquin. Il avait un beau sourire, Taehyung, ça lui déformait les joues.

La jeune idole poussa la porte du studio, accueilli par les notes joyeuses de l'air de piano. Son aîné riait tellement fort, alors que le pianiste l'encourageait à augmenter sa rythmique folle, défiant l'agilité de ses longs doigts, que Jungkook ne put contenir un petit sourire. Il s'appuya contre la chambranle pour profiter de la scène, croisant les bras sur son torse. Taehyung commençait à manquer des notes alors que le métronome s'excitait davantage et il grimaçait, son visage déridé par ce moment de folie. Il avait l'air heureux. Mais pas heureux pour dire qu'il était heureux. Kim Taehyung avait l'air heureux parce que la musique transpirait par ses pores de peau et qu'il n'aurait pu être que là sur Terre. Il blaguait avec un morceau de piano. Il disait "je t'aime" dans une chanson. Sa musique, c'était tout lui. Lui, ses bouclettes parfaites, ses chaussures en cuir délicat, ses vestons chinés, ses gilets tricotés de laine d'alpaga, ses bérets démodés, ses lunettes d'intellectuel... Il était convenu, élégant, confiant mais cela semblait s'accorder parfaitement à sa voix profonde, sa mélancolie, ses métaphores d'amoureux. Il faisait fi de la laideur du monde. Il semblait aussi immaculé qu'un enfant, sans doute plus émerveillé de vivre que Jungkook. À côté, l'adolescent se trouvait terni. N'avait-il jamais ri comme riait Taehyung, ces dernières années ? Il l'enviait. Taehyung était reconnu et apprécié pour lui-même. Sans doute parce qu'il était resté fidèle à qui il était, à cause de son fichu caractère et son égo surdimensionné. En tout cas, Jungkook le voyait ainsi.

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant