Chapitre 43

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C'était peut-être étrange à dire mais... L'addiction lui manquait. Il songeait souvent à la souffrance ces jours-ci. À la façon dont se sentir un peu mourir l'avait soulagé un temps. C'était toujours une délivrance éphémère bien-sûr mais comment raisonner un assoiffé dans le désert devant la plus petite goutte d'eau ? Un instant de répit, ça pouvait déjà sembler beaucoup. Le cerveau fonctionne comme ça, vous savez : instinct de survie.

Qu'est-ce qui fait que l'on peut regretter la pire période de notre vie ? C'est la question dont Yoongi connaît le mieux la réponse : la sensation de vide. Et encore, ressentir que l'on est vide, c'est déjà ressentir quelque chose. Parfois, Yoongi ne ressent rien. En dehors de la musique, il se sent seul. Bien-sûr, il n'aime pas particulièrement les relations humaines car il n'a jamais été très naturel et à l'aise avec autrui. Mais il faut avouer que le regard des autres, aussi sournois qu'ils puissent se faire parfois, donne un sens à votre vie. Totalement isolé, bon courage pour trouver une indication dans ce brouhaha.

Quelquefois, comme la nuit dernière, Yoongi s'allonge sur son lit et il réfléchit de façon pragmatique à la question suivante : « Est-ce que la vie a un sens ? » Il ne pense pas que ce soit une question nécessairement triste. Il trouve que c'est plutôt légitime à partir du moment où l'on respire. La réponse positive, bien-sûr, est nécessairement absurde. Il n'y aucun sens, de toute évidence, à vivre. La preuve en est que, depuis toujours, les gens meurent et que ça n'empêche pas l'Univers de poursuivre son expansion. Pas le moins du monde. Il n'a pas tremblé d'un millimètre à votre disparition. L'Univers fait sa vie, avec ou sans nous.

Ne pas se poser la question du tout serait tout simplement étrange, connaissant l'égo impressionnant de l'Homme, qui part généralement du postulat que sa vie devrait avoir un sens, et ce, même face à l'Univers qui s'étire.

Finalement, la réponse la plus sensée est de s'avouer que ça n'a pas de sens. Et là, bien-sûr, deux options s'offrent à vous. Partir du postulat que ça n'a sans doute pas de sens mais qu'on s'amuse quand même bien et qu'on ignore en quoi la mort serait plus intéressante : alors qu'on continue. La dernière option est de miser sur le fait que la mort est plus accueillante.

La problématique de Yoongi, ce matin-là, était qu'il hésitait sur la stratégie à adopter. Penser à la vie et à la mort n'était pas si alarmant chez le compositeur. C'était une banalité pour lui et sa petite pochette noire, calée sous son aisselle, alors qu'il poussait la porte de la compagnie.

Pour résumer, il crève d'ennui. Il crève de quelqu'un qui le chope par le col et lui postillonne dessus que maintenant, oui maintenant, on a besoin de lui ! Qu'il arrête un peu de passer ses nuits à songer à l'Univers qui s'étend, sans se faire de bile pour personne, comme ça. Comment diable quelque chose d'infini peut-il encore grandir, d'ailleurs ? Ça donne des insomnies au musicien. Aucun cerveau ne peut concevoir une telle chose. Sauf celui de Namjoon peut-être : « Yoongi, c'est simple. Imagine-toi un quadrillage qui s'étend à perte de vue. Comme un filet de pêche gigantesque qui aurait enrobé la Terre. C'est bon, tu l'as ? Maintenant, j'attrape ce filet et je tire dessus. La distance entre les mailles du filet à tes pieds s'écarte de plus en plus. Pourtant, tu n'en vois pas la fin. Tu vois, l'infini qui s'expand, c'est comme ça. ». Yoongi soupira. Pourquoi donc devrait-il envier un vulgaire filet de pêche ?

– Hé, ça baigne ?

Yoongi sursauta et releva la tête. De toute sa carrière dans cette boîte, c'était la première fois que quelqu'un relevait sa présence. Jung Hoseok, son petit veston de cuir, son écharpe et sa casquette, jouait avec son trousseau de clés de sa main libre. Pourtant – et cela étonna Yoongi qu'il le remarque – il avait les traits tirés de nervosité, ce qui traçait comme un masque aigre sur son visage habituellement jovial. Yoongi aurait pu hocher la tête et simplement continuer sa route mais son expression le surprit tellement qu'il s'arrêta en plein milieu du hall. Le chorégraphe l'imita et le fixa. Le musicien eut un instant d'hésitation, le cœur battant, et Hoseok profita de son instant de faiblesse pour offrir :

– Pause clope ?

Et il poussa la porte qui menait au parking. Yoongi se sentit un peu obligé de le suivre.


Finalement, ils restèrent plantés dans le froid dans un recoin du parking. Il faisait particulièrement froid ce matin et Yoongi fumait, puisque c'était ce qu'Hoseok avait suggéré, mais c'était douloureux. Ses doigts étaient pétrifiés et rougis. Ça n'avait pas beaucoup de sens que d'être ici, ce n'était pas plaisant pour un sous et en plus, ils ne se disaient rien. Yoongi ne comprenait pas ce qu'ils foutaient là. Le danseur, habituellement si à l'aise, semblait embarrassé. Il tendit nonchalamment sa main, recouverte d'une mitaine, vers le compositeur :

– Tu m'en offres une ?

Yoongi haussa un sourcil :

– Je croyais que tu ne fumais plus.

Hoseok haussa les épaules. Lui et Eunjung venaient de se disputer dans la voiture pour venir à l'entreprise. Elle avait eu le poste, haut la main. Et depuis quelques jours, ça n'arrêtait plus entre eux. Mais Hoseok ne cessait pas de penser à tous ces papiers...

Yoongi céda une cigarette au chorégraphe sans poser plus de questions. Ce n'étaient pas ses affaires, après tout :

– Des fois, cette entreprise me dégoûte vraiment, lâcha soudainement Hoseok.

Yoongi, qui jusqu'à là fixait le lointain, retira la clope de ses lèvres pour regarder son collègue dans les yeux, intéressé. Ils s'observèrent quelques instants, comme si les deux cherchaient à savoir jusqu'où ils pouvaient parler. Leur crainte de s'exprimer sur certains sujets prouvait que le problème était réel. Hoseok détourna le regard pour se balancer un peu sur place, relâchant sa nervosité, avant de poursuivre :

– Tu sais comment ça marche, le système des idoles...

Yoongi était légèrement interloqué. Il était huit heures du matin et il ne s'était pas attendu à être tout à coup pris à partie pour assister à un discours révolutionnaire. Il ne répondit pas. Hoseok n'en avait pas fini, de toute façon :

– On se sert des rêves des gosses et de leur ignorance juvénile pour une course à la performance. Ils n'ont aucune idée de ce qui se joue vraiment. Et c'est eux-mêmes qui payent leur bourreau pour se faire taper dessus.

Yoongi hocha la tête. Il savait tout ça mais il ne comprenait où l'autre voulait en venir :

– Les rêves, ça coûte cher... De quoi ruiner des vies. Ça représente beaucoup d'argent. Je me demande s'il n'y en a pas qui finissent leur vie avec le regret d'avoir réalisé leur rêve. C'est absurde comme pensée, n'est-ce-pas ? Parce que c'est injuste.

Son ton était monté au fur et à mesure de ses mots et le silence qui s'ensuivit fut assourdissant. Le compositeur détourna légèrement les yeux. « Injuste »... Le dernier mot résonnait dans son esprit alors que le froid semblait brûler sa peau. Lentement, il fléchit les jambes pour s'accroupir. Le chorégraphe l'observa écraser son mégot sur le trottoir humide, tout doucement, avec une grande application. Son corps formait comme une boule. Il voulait lui parler de Jimin, de ce qu'il avait découvert mais il ne pouvait pas. Hoseok était réduit au silence, à présent. Il espérait que l'autre comprenne. Dans sa bizarrerie, il est facile de déceler en Min Yoongi une grande sensibilité. Les gens détruits sont souvent des gens qui comprennent mieux que les autres. Les gens qui se sentent vides ne sont pas vides. C'est le contraire. Hoseok se demanda ce qui emplissait Min Yoongi en cet instant...



Il pensait à l'Univers.



Yoongi pensait à l'Univers en expansion. Peut-être que l'Univers est l'Univers: impressionnant, tout puissant... Peut-être que son expansion est la seule chose qui devrait rationnellement importer. Mais finalement, ce matin, Yoongi trouve qu'il y a d'autres choses qui le concerne plus que de comprendre comment l'infini peut encore grandir.

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant