Chapitre 32.

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On était dimanche soir. Namjoon ne travaillait pas. Il astiquait comme un forçat les plaques de cuisson. Avec lui, dimanche, c'était lecture et ménage. Comme Yoongi rechignait à s'y coller et que, de toute façon, il ne savait rien faire d'autre que de la musique, c'était Namjoon qui tenait l'endroit aussi propre qu'il le pouvait. Yoongi faisait la vaisselle, en contrepartie, les peu de fois où ils ne mangeaient pas dans des cartons à pizza. Namjoon n'étant pas particulièrement adroit, cela avait donné lieu à de sacrées catastrophes. Mais ça n'avait pas été suffisant pour convaincre son colocataire de lui prêter main forte.

Mais ces temps-ci, il aimait plutôt ce rituel du dimanche, il avait sérieusement besoin de s'activer. Il n'arrivait plus à se concentrer sur la lecture. Habituellement, les dimanches, il se levait assez tôt, faisait ses exercices de sport avant de se plonger dans une longue et interminable lecture, calé au fond de son fauteuil. Malgré son attitude amorphe et casanière, le rappeur avait conservé certains aspects de sa vie d'avant : se lever tôt, entretenir son corps autant que son esprit, s'habiller correctement, se coiffer, se raser de près, garder une chambre rangée et aérée... Bien-sûr, ils faisaient pas mal d'entorses avec Yoongi. Mais tout de même, il avait une certaine tenue qu'il respectait.

Souvent, il commençait par descendre dans la rue pour s'acheter un journal papier. Il lisait tout, absolument tout, des rubriques économiques aux petites annonces coquines, comme pour échauffer ses yeux au long marathon auquel ils allaient s'adonner. Puis, il revenait de sa chambre avec une pile de bouquins et un bloc-notes, ravi, et se mettait à lire, lire, lire, encore et encore. Namjoon tenait cette boulimie de lecture de son enfance compliquée. C'était le seul endroit de repos pour son esprit. Le seul endroit où il avait le droit d'être Kim Namjoon plutôt que le stéréotype du mâle que son père fantasmait pour lui. Il aimait les livres. Ils étaient les hauts remparts d'une cité interdite.

Extérieurement, il était de marbre. Yoongi avait presque l'impression qu'il s'ennuyait à lire autant mais ce n'était guère le cas. Intérieurement, il se prenait à rêver de qui il aurait voulu être. Tout le monde lisait ainsi bien-sûr. Mais pour lui, c'était presque un plaisir coupable. Comme si, chercher désespérément ses larmes entre les lignes le rendait vulnérable, sali...

Son père le lui avait dit en riant : « Les intellos... Que des tapettes, Nam ! Inutiles à la Société... ».

C'était vrai. Les livres lui avaient appris à ressentir des choses qu'il n'aurait jamais dû ressentir, du moins, à mettre des saveurs, des frissons sur les sensations qu'il refoulait. Il apprenait à battre dans d'autres poitrines, des rythmiques nouvelles... Et pour lui, comme pour son père, ce genre d'apprentissage était néfaste. Il ne faisait que le fragiliser.

Oui, tout ça était vrai. Fragile, il l'était peut-être. Mais, il ne pouvait pas envier à son père sa phobie de tout et de tout le monde. Son père était un sale con, incapable de comprendre les autres parce qu'il refusait de lui-même s'accorder la moindre attention. Il était idiot, il avait rendu malheureux son seul fils, il l'avait perdu parce qu'il était terrifié de seulement l'aimer. Il avait même eu peur de l'amour qu'il portait à son enfant. Il ne comprenait rien, surtout pas qui il était. Il était incapable de vivre quoique ce soit de sincère. Il avait coulé son malaise existentiel dans des moules inintéressants pétris de stéréotypes destructeurs. Qui était-il au-delà de ça ? Sans doute pas grand chose. Ça, c'était l'existence pathétique de son père. Alors Namjoon, il avait peut-être encore un peu honte de cultiver sa sensibilité mais, lui, il essayait un minimum d'être présent dans sa propre vie. Son père avait été strictement absent de la sienne.

Mais, le problème actuel de Namjoon, c'était qu'il n'arrivait plus à se laisser porter par les écritures de ses auteurs favoris. Il n'arrivait plus à grand-chose, mis à part s'avachir avec Yoongi devant la télévision et se regarder en boucle Jimin, tout sourire, qui sautait partout comme un cabri, avec une énergie folle pour un si petit corps. Namjoon comprenait mieux d'où lui venait son endurance, au lit.

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant