Chapitre 42.

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 Jimin s'était réveillé avec un message de Namjoon sur son téléphone qui lui disait qu'il viendrait sans doute passer la soirée à l'appartement. Il avait mis du temps à taper « Ok ». Il avait fixé le mot avant de verrouiller son téléphone et de contempler la pluie battant contre le carreau de sa chambre. Les matins étaient pluvieux ces derniers jours. Cette météo le fascinait de manière malsaine. Jimin sentait qu'il aurait pu se complaire de mieux en mieux dans la morosité. La solitude l'attirait de manière morbide, ces derniers jours. Le vide. C'était le vide. Le vide de tout. Son vide. Celui dans son ventre. Il se sentait parfois tomber à la renverse dans le gouffre qui creusait son âme. Jimin n'était pas stupide, contrairement à ce qui se disait. S'il avait sciemment ignoré la dureté de ces dernières années, il n'en était pas pour autant aveugle. S'il y avait une personne qui savait ce que cette existence avait représenté de sacrifices, c'était bien lui. Mieux que tous ceux qui pouvaient faire de beaux discours sur le sens de la vie auquel il aurait dû adhérer. Mais ce que Jimin savait mieux encore, c'était pourquoi il n'avait aucune chance de s'en sortir, s'il s'arrêtait maintenant.

Lorsqu'il se leva enfin, il remarqua que son corps était atrocement engourdi, comme si son propre squelette lui hurlait de rester immobile. Mais continuer à avancer était la seule voie vers son salut. Affronter les matins pluvieux, abandonné à lui-même, était suicidaire, en sa condition.

Sa cheville était particulièrement douloureuse et, lorsqu'il s'habilla, il passa son attelle par la même occasion. Il s'obligea à prendre dix minutes de son temps pour s'étirer. Hoseok aimait qu'il arrive les muscles déjà en éveil. Ils gagnaient du temps. Il bougea lentement dans le silence mortifère qu'il se refusait d'entendre. Il s'efforça de penser à la journée qui se dessinait, au rendez-vous médical, à la réunion en fin d'après-midi.

Finalement, il se rendit dans la cuisine pour préparer ses flocons d'avoine, l'esprit alourdi par le manque de sommeil. Il remarqua qu'il avait la bouche pâteuse et asséchée. Il s'empara d'un verre à eau sur le bord de l'évier qui devait dater de la veille. Par automatisme, il le porta à ses lèvres et le vida d'une traite pour pouvoir se resservir. Il se pétrifia en reconnaissant avec stupéfaction le goût traître et glacé du soju. Sous l'effet de la surprise, il avala sans pouvoir recracher et sentit la brûlure, légère mais humiliante, de l'alcool de riz couler en lui. Il jura en boucle qu'il n'avait pas voulu, qu'il n'avait pas bu volontairement. À qui adressait-il donc ses excuses muettes ? Les mains tremblantes, il tenta désespérément d'ouvrir le robinet pour rincer au plus vite la sensation de honte. Jimin avait honte. Il but l'eau. Le liquide s'immisça dans son œsophage longuement. Il ferma les yeux. Jimin n'avait pas envie de se souvenir. De rien. Jimin n'avait pas envie d'incarner sa personne. Cette personne qui a mal. Lorsqu'il se redressa enfin, la quantité anormale de liquide avait gonflé son estomac jusqu'à en être douloureux. Il eut un instant le tournis et porta sa main à sa bouche. Il crut qu'il allait vomir. Des renvois l'agitèrent. Il attendit quelques minutes sans oser bouger. À travers ses paupières closes, l'eau percola. Même lui ne le vit pas. Fontaine au chagrin intarissable, à la pâleur inhumaine et à la beauté chirurgicale.

Il entendit son téléphone résonner dans la pièce voisine. Ils arrivaient. Ils venaient le chercher pour l'emmener au travail. Un soulagement l'envahit aussitôt. Fini les pensées. Fini l'alcool. Il sembla se reprendre et avala son petit déjeuner rapidement, avant d'attraper toutes ses affaires. Il répondit « Ok » à Namjoon et demanda à la femme de chambre s'il était possible qu'elle passe avant ce soir dans la volée.




Quand Hoseok pénètre dans le gymnase, Jimin et la troupe bavarde avec animation tout en se tordant dans tous les sens. La pièce est à dimensions imposantes et le haut plafond fait résonner les voix. Hoseok sonde la pièce d'un regard autoritaire. Pour le moment, il ne dit pas bonjour, même lorsqu'il croise le regard amical d'un collègue. Le chorégraphe est comme ça quand il veut que ça file droit. Il fait glisser la bandoulière de son gros sac sur le sol, à côté de la sono. Dans une pochette, les dossiers pour chaque tableau sur lesquels ils travaillent depuis des mois. Tout est explicité. Aucune zone d'ombre, aucun espace pour l'imprévu ne doit subsister. Chaque seconde importe pour coordonner la musique, les mouvements, le décor, les artifices. On sait exactement l'accessoire que portera le dernier danseur, tout au fond, côté jardin, à une heure et cinquante-quatre minutes du concert : sa taille, sa forme, sa masse, le reflet que fera le projecteur dessus.

MoonChildOù les histoires vivent. Découvrez maintenant