Chapitre 9 : des vices ...

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          Nous nous retrouvâmes alors seuls dans la pièce. Que devait-on faire ? Aucune idée. Nous nous regardions tous dans le blanc des yeux, attendant que l'un de nous esquisse un mouvement. Maintenant que j'avais du temps, je pouvais scruter avec plus d'attention les personnes présentes. Nous étions une quarantaine, composée d'adolescents de tous horizon. Je reconnus sans effort la sœur de Medo, qui elle aussi, avait les pointes de sa chevelure bleue.

Un garçon s'approcha de la porte que Miss Lazerkoff venait d'emprunter afin de sortir. Il découvrit qu'elle était bloquée, et alors il tenta d'utiliser le pavé tactile sur le mur d'à côté pour la déverrouiller. Il échoua bien évidemment : la majorité des jeunes présents ici avait vécu dans une grande pauvreté, et tous ces dispositifs futuristes nous étaient parfaitement inconnus. Tandis qu'il commençait à donner des coups dans la porte avec son épaule, entraîné par les cris des autres adolescents, une forte voix tonna dans la salle. Le jeune homme à qui elle appartenait monta sur une table, et je reconnus avec surprise Adam. Je ne m'étais pas du tout imaginé le retrouver, mais il était plutôt logique qu'il ait été sélectionné puisqu'il était le frère d'une des recrues.

« Ce qu'on fait est ridicule. Je ne sais pas pourquoi on est enfermé ici, mais on n'arrivera à rien en essayant de défoncer une porte inviolable à coups d'épaule ».

Cela avait quelque chose de rassurant de connaître quelqu'un parmi tout ce groupe, d'autant plus quelqu'un que j'appréciais. Les doux souvenirs de la soirée d'adieux aux recrues me revinrent en mémoire, et une chaleur embauma mon cœur. Forte d'une assurance que je ne me connaissais pas, et poussée par la confiance que je vouais à Davis, je complétais ses paroles tout en restant à ma place.

« Il a raison. Si nous sommes enfermés ici, c'est que nous devons en sortir par nous-même. C'est certainement un test. Pour observer nos capacités, voir comme on travaille ensemble ... Je ne sais pas pour vous, mais moi j'ai envie de le réussir ce test, alors je propose que nous nous mettions tous à réfléchir à un moyen de sortir. Sur ce mur, il y a un conduit d'aération, peut-être que quelqu'un peut y passer et voir où il conduit ? ».

Adam me regarda droit dans les yeux, et un petit sourire apparut sur ses lèvres. Sourire que je lui retournai. A cet instant, son regard dans le mien, je me sentais rassurée pour la première fois depuis que j'avais mis les pieds à Solaris. Soudain, une petite fille âgée d'à peine quatorze ans se manifesta. Elle nous expliqua qu'elle pensait pouvoir entrer dans le conduit. Les choses s'enchaînèrent très vite : un garçon baraqué donna un grand coup dans la plaque qui bouchait la conduite afin d'ensuite pouvoir la retirer, tandis que deux autres garçons portèrent la fillette pour qu'elle atteigne le passage. Elle s'y engouffra rapidement, et je regrettais de ne pas avoir pris le temps de lui demander son nom, ni de lui avoir souhaité bonne chance.

Parfois, je me demandais quand est-ce que le monde était parti en bordel. Ou plutôt, je me demandais quand est-ce qu'on avait commencé à accepter que ce bordel fût normal. On venait d'envoyer une fillette de 14 ans dans un conduit d'aération pour qu'elle trouve quelque chose afin qu'une quarantaine d'adolescents sortent d'une pièce dans laquelle ils sont enfermés, tout ça dans le but que ces mêmes adolescents suivent une formation qui leur permettra d'aller dans l'espace. Wow. Drôle d'histoire.

Dans le brouhaha, je crus comprendre que cette petite s'appelait Chiara. Je ne sais pas pourquoi mais j'avais envie de prendre soin d'elle. Peut-être était-ce du fait de son jeune âge ? Ce qui est sûr, c'est que je regrettai que Chiara n'ait pas la chance de vivre une enfance normale.

Alors que j'étais perdu dans mes pensées, un mouvement brusque sur le côté m'en extirpa. C'était Adam, qui avait fini par se donner la peine de descendre de la table et venait vers moi. Un sourire se plaça sur mes lèvres. Sans un mot, il me prit dans ses bras et me serra fort. Ce n'était pas un témoignage d'affection : c'était un geste prouvant que nous avions besoin l'un de l'autre pour cette mission. Il allait ouvrir la bouche au moment où Chiara cria qu'il y avait une issue débouchant sur une autre salle.

Dans une décision collégiale, les recrues se placèrent en ligne afin de monter chacun leur tour dans le conduit. Nous nous rendîmes vite compte que les plus baraqués d'entre nous ne pourraient pas entrer à l'intérieur. Adam ne pourrait pas passer.

« Je refuse d'être bloqué à l'arrière par certains éléments non essentiels. Ceux qui peuvent rentrer dans le conduit, on y va ; le reste, démerdez-vous. » déclara une jeune fille au fond de la salle que je peinais à voir. Son intervention suscita des cris d'approbation, très vite contrés par ceux de mécontentements prononcés par les recrues qui ne pouvaient s'introduire dans le passage.

« Hors de question. » tranchai-je sans même penser à mes mots. « Si vous êtes capable d'abandonner vos alliés à la première difficulté, alors soit, mais nous sommes censés être une équipe. Une équipe qui doit aller dans l'espace ensemble. Je ne préfère même pas imaginer le genre de coéquipier que vous serez. Que chacun fasse son choix, moi je reste ici et j'essaie de trouver une meilleure solution ». Adam me regarda avec reconnaissance, et ce fut le cas pour une bonne partie de ceux qui étaient dans la même situation problématique que lui.

La fille qui venait de parler me regarda avec mépris. Très vite, deux groupes se formèrent entre ceux prêts à partir et ceux qui restaient sans la salle. Je ne pouvais nier le fait que notre groupe était bien moins nombreux.

Le temps que nous cherchions un autre moyen, tous les membres de l'autre groupe s'étaient enfuis par le conduit. Un garçon du nom de Simon se manifesta, expliquant qu'il était plutôt doué en informatique, et que si on lui trouvait ce dont il avait besoin, il pourrait peut-être essayer d'ouvrir la serrure numérique de la porte. Il ajouta néanmoins qu'il ne connaissait pas du tout ce genre de technologie et qu'il ne garantissait aucun résultat. Il nous donna une liste d'objets précis, et le groupe de quinze que nous étions se mit à en chercher les éléments.

Une fois le tout réuni, Simon se mit au travail. Il y passa un long moment, peut-être une heure ou deux, pendant lesquelles personne ne parlait. D'un coup la porte s'ouvrit : son cri de joie trouva une réponse dans les nôtres. Nous sortîmes en courant et fûmes accueillis par Miss Lazerkoff. Nous retrouvâmes l'autre partie des recrues. Ceux-ci arboraient un air victorieux, comme si le fait qu'ils s'en soient sortis avant nous, les rendaient supérieurs à nous. Notre tutrice mit fin à ce duel de regard en prenant la parole :

« Comme vous l'aviez deviné, cette mise en scène était bien un test. Ce dernier avait comme but général de démontrer votre capacité à travailler ensemble. Vous allez être envoyés dans un milieu inconnu. Dans ce lieu, il n'y a pas de place à l'hostilité, à l'individualisme ni aux basses guéguerres. Les vingt-cinq premières recrues sont arrivées dans cette salle il y a plus d'une heure. C'est effectivement un très bon temps. Mais c'était inutile : vous avez eu beau arriver bien avant, vous avez perdu presque la moitié de votre effectif en quelques heures. Vous êtes rapide, mais terriblement inefficace. »

Ses paroles étaient dures, sa voix tranchante, et le silence régnant démontrait bien la peur que cette femme insinuait en chacun d'entre nous.

« Le test avait aussi un autre but, bien plus pratique. Afin de rendre votre formation la plus efficace possible, l'effectif va dans un premier temps être divisé en huit groupes de cinq. Comme vous n'êtes plus quarante, mais trente-neuf, il y aura sept groupes de cinq et un de quatre. Parmi ces groupes, il sera désigné un élève leader, qui devra assurer la cohésion dans son groupe et le respect des règles. Nous avons pu les désigner grâce à l'observation de vos réactions et actions pendant l'épreuve. Les leaders seront donc : Adam Davis, Chiara Sheppe, Addison Moore et Zara Roseburry, ... »  

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