Je retourne le papier dans tous les sens pour trouver une indication sur son expéditeur, mais ne trouve rien. Par réflexe, je regarde autour de moi, essayant de remarquer s'il y a quelque chose d'étrange. Mais rien. Tout est douloureusement calme et sans bruit.
Malgré les risques, mon instinct me dicte de faire des recherches sur cette Laurel Keenwale, mais je ne dois pas les faire au sein de la base à Solaris. Si une personne a voulu me communiquer ce nom dans la plus grande discrétion, je ne prendrais pas le risque de l'ébruiter et de chercher des informations ici. Je ne sais pas où j'ai foutu les pieds, mais c'est quelque chose de gros. Quelque chose qui craint.
Ne voulant pas mettre les garçons en danger, je fais le choix de ne pas les mettre au courant. Pour l'instant du moins. Et ne faisant confiance à personne d'autre, je fais le choix de garder tout pour moi. Pour ne pas éveiller les soupçons, je range le papier dans ma poche et me met en route vers l'extérieur, là où j'ai promis de rejoindre mon équipe.
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Après deux heures à discuter avec Milton, Isaac, Broggs et Eliott, nous nous dirigeons vers les dortoirs. En chemin, je leurs dis que j'ai quelque chose à faire avant de rentrer. Ils me laissent partir sans me poser plus de questions, sachant probablement que je ne leur répondrai pas. J'aime la capacité qu'ils ont à me faire confiance, même s'ils ne savent pas ce que je fais. Ils pensent certainement que je le fais pour de bonnes raisons, et je pense, ou du moins j'espère, que c'est le cas.
Me mettant en chemin vers le grillage de la base, je tente d'y trouver une faille. Sur ce coup-là, je ne suis vraiment pas sûre de moi. Si je trouve un moyen de sortir, c'est un miracle. Après quelques minutes de recherche, je peux désormais attester que les miracles existent : il y a bien une issue, via une tôle mal fixée. Visiblement, le Gouvernement a les moyens pour construire une fusée supersonique mais pas pour construire un grillage décent.
Je me contorsionne comme je peux pour passer et réussis finalement à me retrouver de l'autre côté du mur. Solaris s'ouvre devant moi, dans toute sa richesse. Sortir de la ville est bien plus simple que d'y rentrer, visiblement. Je pars en courant, consciente que le temps m'est compté. Le temps est compté pour chacun d'entre nous.
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Après trente minutes de trajet sur une moto que j'ai, comme qui dirait, empruntée, je suis enfin dans les banlieues. Plus précisément à Graycott, quartier très pauvre connu pour contenir un réseau dense de la Résistance, tout en étant à proximité de Solaris. C'est pour cette raison précise que j'y suis. Ici, tout le monde est de loin ou des près lié à la Résistance, alors trouver quelqu'un capable de me fournir des informations paraît probable.
Je m'assois sur un banc, dans la partie animée du quartier, et observe ceux qui sont susceptibles de m'aider. Une vieille femme tenant par la main une fillette aux couettes blondes ; un trentenaire saoule, criant des choses incompréhensibles ; une jeune d'une vingtaine d'année, capuche sur la tête et démarche rapide. C'est elle. Je bondis de ma place. Mon mouvement brusque, ajouté à ma tenue caractéristique de Solaris, l'effraie et je me mets à courir après elle.
Heureusement pour moi, ma préparation physique semble porter ses fruits puisque je la rattrape sans trop d'efforts. Je l'attrape par le bras et lui murmure :
« -Je ne suis pas ton ennemi. J'ai besoin d'informations. C'est primordial. Panem et Circenses. »
Panem et Circenses, littéralement « du pain et des jeux de cirque ». Pour gagner l'approbation du peuple, les empereurs romains distribuaient du pain pendant les jeux du cirque. Citation de Juvénal, il critiquait la sournoiserie du pouvoir. Aujourd'hui, c'est un code pour les membres actifs et dignes de confiance de la Résistance, qui signifie plus ou moins « Je suis des vôtres et je suis fiable ».
Comment je connais ce mot de passe ? Kyle était un membre du réseau. Il m'est arrivé de l'aider pour certaines opérations simples comme des transferts de matériaux ou des repérages de cibles. J'étais donc dans l'obligation d'être informée. Mais ça n'avait jamais été plus loin : je répudiais les actions violentes et m'assurais que chaque petite mission que j'avais eu à remplir était sans aucune brutalité. Je soutenais les idées que véhiculaient à l'origine la Résistance, mais non, je ne soutenais plus du tout ce qu'elle était devenue.
« Ok. Mais on va changer tes fringues d'abord. Elles craignent. » répondit finalement cette jeune fille.
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Quinze minutes plus tard et de nouveaux vêtements, la fille me promène dans Graycott jusqu'à arriver dans un vieux hangar miteux. A l'intérieur, je découvre une dizaine de personnes et quelques ordinateurs. Forcément, ce n'est pas une grande base. Même avec le code, ils ne doivent pas prendre de risques. Un homme quarantenaire, aux cheveux grisonnants et portant de grosses lunettes rondes, s'approche de moi. Il n'a pas du tout l'apparence d'un « rebelle ». C'est sûrement cela sa force.
« - Que veux-tu ?
- J'ai besoin d'information sur une personne dont je connais uniquement le nom.
- Pourquoi ?
- Vous n'avez pas besoin de le savoir.
- Très bien. Ce que vous faites est probablement inutile pour nous et revêt d'un caractère personnel, alors nous allons vous aider, mais nous demandons quelque chose en retour.
- Quoi donc ?
- Un service. Demandable à n'importe quel moment et pour n'importe quelle action. Vous étiez à Solaris, proche du Gouvernement, alors vous pouvez être un atout. »
Il ne me faut pas plus de quelques secondes pour me décider. La Résistance est le seul moyen pour moi de trouver les informations que je recherche. Et jamais je ne pourrais aller plus loin que Graycott pour trouver de l'aide.
« Marché conclu. Je veux toutes les informations que vous pourrez trouver sur Laurel Keenwale. ».
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Un petit dossier en main, je retourne en vitesse vers Solaris. Je lirai le tout plus tard, quand je serai de retour à la base. Je ne suis pas trop en retard : seulement une heure trente est passée depuis que je suis partie. Avec un peu de chance, personne ne remarquera mon absence.
J'arrive à pénétrer Solaris dans grande difficulté en montrant mon badge qui indique que je suis une recrue et en prétextant que j'étais partie pour une évaluation en banlieue. Le garde, un jeune garçon apeuré, me croit sur parole. Tant mieux.
J'accède à la base, me dirige directement vers les dortoirs et sors le dossier. Je commence à le lire avec attention.
Laurel Keenwale. 35 ans. Mariée et mère de deux filles. Adjointe au Bureau de la Finance de Solaris. Connue pour ses excès de colère et son attitude implacable mais également pour son travail d'une grande qualité. Amie de Zacharias Palo. Impliquée dans une vaste affaire de corruption qui, selon certains témoignages, l'a rendue riche. De nombreux transferts bancaires remarqués les semaines derrières, de son compte vers un autre intraçable. Portée disparue depuis trois jours. De même pour son mari et ses enfants. Les informations la concernant sont classées TOP SECRET. Après un piratage, nous y avons eu accès : elles ont en réalité été supprimées il y a trois jours. Même chose pour le reste de sa famille. Les Keenwale ont tout bonnement été effacés de la surface terrestre.
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2095
Science Fiction2095 sur Terre. Ou du moins ce qu'il en reste. Le changement climatique et ses conséquences ont placé la planète au bord du précipice, celle-ci prête à tomber vers un vide duquel elle ne sortira plus jamais. Selon les estimations scientifiq...