Chapitre 10 : ... et des vertus

25 1 0
                                    

                Sans même nous laisser le temps de répliquer, Miss Lazerkoff nous tourna le dos et nous fit signe de la suivre. Nous passâmes dans un dédale de couloirs, de portes et de salles tous aussi blancs à chaque fois. La froideur de cet endroit, qui me rappelait à chaque minute dans quoi je m'étais embarquée, me rendait vraiment anxieuse. Ce qui m'angoissait également, c'était d'avoir été nommée leader. Quel mauvais choix avait-il fait ! J'étais de loin la plus incapable de gérer un groupe. J'aimais la solitude, fuyais les responsabilités et les choix difficiles. J'étais et je voulais rester un électron libre, affranchi des chaînes que m'imposait la mission, et ce poste de « leader ». Mais visiblement, je n'avais pas le choix, et ce qui s'était passé avec le garçon il y a quelques heures m'avait enlevé toute témérité. Nous ne savions pas ce qui lui était advenu : notre tutrice n'avait pas l'intention d'aborder le sujet, et aucune des recrues ne s'y risquaient.

En chemin, Miss Lazerkoff nous donna la composition de chaque groupe. Pour cela non plus, nous n'avions pas notre mot à dire.

Nous arrivâmes dans un dortoir. L'obscurité de cette salle contrastait avec le blanc immaculé que revêtait chacune des pièces dans lesquels nous étions passées. Une lumière artificielle éclairait un petit espace contenant cinq lits, sur lesquels reposaient un simple oreiller et une fine couverture.

La première équipe, celle de Chiara, s'y installa. Nous continuâmes notre route, découvrant par la même occasion sept pièces similaires à celle décrite. Lorsque l'équipe d'Adam prit place dans leur « quartier », le jeune homme me jeta un rapide coup d'œil en guise d'au revoir. Le dernier dortoir était celui de mon équipe. J'étais la seule fille.

Alors que je m'asseyais sur un des lits, testant son confort -qui n'était objectivement pas à son paroxysme-, un garçon très mince et assez grand prit la parole :

« Bon, puisque personne n'a l'air de vouloir faire le premier pas, je vais commencer. Je m'appelle Eliott et je suis le cousin de Flynn, un gars qui appartenait à l'Elite. C'est pour ça que je suis ici. J'espère qu'on arrivera tous à s'entendre plus ou moins. Voilà. ».

Un autre garçon, métisse aux yeux assez clairs, se manifesta à son tour. Il s'appelait Milton et disait être un athlète. Il est vrai que sa carrure coïncidait avec ses dires. Les deux autres membres, Broggs et Isaac, prirent la parole. Ils étaient amis depuis leur plus jeune âge, tout comme leurs défuntes sœurs l'eurent été. Je regardais mes pieds, et me rendis compte que le silence régnait. Lorsque je relevai la tête, je voyais tous les regards posés sur moi. C'est ainsi que je compris que c'était à mon tour de parler. Dans un élan rapide, je me levais maladroitement. Je n'aimais pas faire ce genre de chose. C'était trop ... formel ?

« Salut, euh ... Je suis Zara. Zara Roseburry. ».

Voyant qu'ils me regardaient, je compris qu'ils attendaient de moi que j'étoffe un peu ma présentation.

« Je suis ... bah je suis ... là. Je suis contente d'être ici ». Non c'est faux je mens, pensais-je. Des rires se déclenchèrent de la bouche de mes nouveaux colocataires sans que je ne comprenne pourquoi. Je fronçai les sourcils, et restai muette.

« Non, j'ai pas parlé à voix haute quand même ? » dis-je.

« Je crois bien » répliqua Milton en riant discrètement, tandis que Broggs et Isaac s'esclaffaient franchement. Eliott resta discret, mais je pus discerner un léger sourire sur le coin de ses lèvres. Leur bonne humeur était communicative, et je me surpris à sourire moi-même.

Après ce moment léger, Broggs rebondit sur mes paroles :

« Pour être honnête, je n'ai pas du tout envie d'être là non plus. Je pense que je peux parler au nom d'Isaac en disant que lui aussi veut filer. »

Isaac hocha la tête, pour valider ce que son ami disait. Broggs allait reprendre mais je l'interrompis en me levant d'un coup. Surpris, il ne dit rien et tous me suivirent du regard. Je m'approchais d'un évier qui trônait sur le mur au fond de notre petit dortoir, et en allumait le robinet. Je me tournais vers le reste de mon groupe et levais mon pouce pour leur signaler que j'avais fait ce que je voulais faire.

« Le bruit de l'eau, c'est pour couvrir nos discussions. Au cas où il y aurait des micros où je sais pas quoi. Je veux pas paraître parano, mais je fais confiance à personne ici et je préfère rester sur mes gardes. D'autant plus avec ce qui s'est passé avec le garçon tout à l'heure. »

J'étais peut-être carrément en plein délire mais je m'en foutais. Le temps m'avait appris à être méfiante de tout, pour tout et avec tous, peut-être à tort parfois. Ce que je savais, c'était que même si je ne connaissais pas mes colocataires depuis longtemps, je refusais qu'ils leur arrivent un malheur parce qu'ils n'avaient pas été assez prudents.

Les garçons hochèrent la tête, visiblement d'accord avec moi. Mon attitude jeta un peu un froid, car nous rappelant ô combien nous étions dans une situation pourrie. C'est donc moi qui poursuivis la discussion. Je validai d'abord les paroles de Boggs d'il y a quelques minutes et enchainais en demandant à chacun les domaines dans lesquels ils étaient fort. Peut-être que ceux-ci nous permettraient de réussir la formation, et encore mieux de quitter cet endroit. Parce que oui, au fur-et-à-mesure de la discussion, je compris vite qu'Eliott, Milton, Broggs et Isaac avaient le même objectif que moi : se barrer de Solaris et revenir à notre quotidien, attendant l'inévitable.

Peut-être que notre attitude surprenait. C'est vrai que nous avions la chance de pouvoir être sauvé. Mais pour moi, cela ne représentait pas une chance, au contraire. Les garçons et moi avions vécu depuis tout jeune avec l'idée que nous allions mourir. D'autant plus avec le Test de l'année dernière auquel aucun d'entre nous n'avait été sélectionné, nous avions admis que nous allions mourir parce que nous n'étions pas assez dignes pour survivre. Pas assez intelligent, pas assez fort ni courageux. Inutile à la préservation de l'espèce humaine.

Les nouvelles recrues n'étaient pas les courageux sélectionnés de l'Elite. Nous n'étions pas des héros, loin de là. La façon dont nous avions géré l'épreuve improvisée d'il y a quelques heures nous le prouvait bien. C'était pour ça, que je refusais cette mission. Même si pour l'instant je n'en avais pas la possibilité, je voulais retourner à Snake's Canyon. Et manifestement, cinq cerveaux valent mieux qu'un pour trouver une solution afin de s'enfuir d'une ville gouvernementale ultra-surveillée.   

2095Où les histoires vivent. Découvrez maintenant