Chapitre 17 : Memento Mori

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           Après cette annonce, des cris rageurs fusent dans la salle. Chacun exprime son avis mais l'unanimité penche en faveur de la révolte et du dégoût à l'encontre des Rebelles. Comment leurs reprocher ? L'arme chimique, c'est vraiment hard. Selon les informations provisoires, des Gardes gouvernementaux ont découvert une base opérationnelle de résistance à Greycott et s'y sont introduits pour en arrêter les membres. Ils sont en réalité tombés dans un piège : lorsqu'ils sont entrés à l'intérieur, le système d'aération a relâché un gaz neurotoxique. Les auteurs de ce crime n'auraient pas pris en compte la diffusion du gaz dans l'air, ni la force du vent et encore moins la ville de dix mille habitants au-loin. La substance chimique mortelle aurait tué les représentants de l'ordre, avant de se répandre dans les habitations voisines. Le bilan est pour l'instant fixé à 20 morts, mais il devrait augmenter de manière exponentielle dans les heures à venir.

Nos yeux fixés sur l'écran quémandent de plus amples informations tandis que le silence nous envahit. Les minutes passent, le nombre de morts augmentent. 10 minutes, 30 morts. 15 minutes, 44 morts. 22 minutes, 53 morts. Aucun bruit ne vient interrompre le mutisme morbide qui règne.

C'est dans ce même mutisme que nous nous dirigeons vers la salle de cantine. Alors que nous avions pris l'habitude de prendre nos repas dans le brouhaha des discussions, des rires, des cris, des disputes et des larmes, nous mangeons ce soir dans un calme malaisant, le calme de la mort. Aucun son n'ose franchir les lèvres de ceux présents. Certaines recrues sont originaires de Greycott et craignent d'apprendre la décès de leurs proches. 

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Allongée sur mon lit dans le noir, je ne parviens pas à m'endormir comme la nuit dernière. Les pensées qui inondent mon esprit m'embrouillent et m'empêchent de fermer les yeux. Même si les images des médias semblent bien réelles, un part de moi refuse d'y croire. J'ai rencontré les membres de la cellule résistante de Greycott et ils m'avaient l'air d'être tout sauf des tueurs d'innocents. La Résistance regroupe des personnes intelligentes qui jamais n'auraient pu faire une erreur conduisant à la mort de milliers de personnes. Je l'avais vu dans leurs yeux : ils étaient déterminés, prêts à tuer des représentants de l'état si nécessaire, mais incapables d'exécuter des personnes lambdas.

Me relevant en position assise, le drap posé sur mon corps glisse et tombe par terre. Je me mets debout, m'habille et m'attache les cheveux. Sortant en catimini du dortoir, je prends garde de ne réveiller personne. Je marche doucement dans les allées de la base et me dirige vers le trou dans le grillage que j'avais utilisé pour sortir de Solaris la dernière fois. Déplaçant précautionneusement les fils barbelés pour me frayer un passage, un bruit dans mon dos me fait me retourner par réflexe. Ne remarquant rien d'étrange, je me faufile et sors vers le checkpoint d'entrée de Solaris. Je prétexte être en pleine mission d'entraînement donnée par le Gouvernement pour quitter facilement l'endroit. Je monte sur la moto utilisée la dernière fois, que j'avais pris le soin de cacher au cas où elle me servirait.

Je roule à toute allure vers Greycott. Dès l'entrée de la banlieue, les caméras de télévision couvrent tout le paysage. Je me cogne dans un journaliste, et en profite pour lui voler sa carte de journaliste sans qu'il ne le remarque. Je trouve par terre un morceau de tissu arraché : je le secoue pour en enlever la poussière et l'enroule autour de mon visage pour cacher mes traits. Des gardes ne laissent passer que des personnes agrées vers le périmètre. Je leurs montre la carte de journaliste volé au préalable, sur lequel ne figure pas de photo et seulement un nom. C'est pour cette raison qu'ils me laissent passer sans encombre. J'arrive vers les caméras, réajuste le foulard pour être sûr qu'on ne distingue pas mon visage et vais vers un « collègue » pour lui demander un rapport.

« Le bilan est à environ 3500 morts pour l'instant, mais il continue d'augmenter rapidement. Là-bas» dit-il pointant du doigt un zone éloignée, d'où sortent des personnes en courant, en boitant ou même en rampant, les visages et les corps couverts de tissus humides. « Ce sont les rescapés de l'attaque. Ils sont directement conduits vers des hôpitaux militaires installés récemment. Nous, on ne peut pas pénétrer plus loin puisque la zone n'est pas décontaminée. On attend d'autres informations sur les auteurs de l'attaque. Tout ce qu'on sait sur eux, c'est qu'ils ont disparu de la circulation. ».

Mes pieds s'actionnent d'eux même tandis que j'hoche la tête précipitamment en guise de remerciements envers le journaliste. Je slalome entre les gens, me fait bousculer et bouscule pour enfin atteindre les victimes de l'attaque. La vision est digne d'une scène d'horreur : la douleur ancrée sur les visages, la souffrance imprégnée dans les corps et l'affliction imprimée dans leurs pauvres âmes. Les mots ne franchissent pas mes lèvres tandis que j'observe, impuissante, les événements. Mes yeux bloquent sur le corps d'une jeune femme, en train d'être soignée, que je pense connaître : une anatomie fine, encapuchée et le regard porté vers le sol. C'est la fille qui m'a aidée à trouver des informations sur Laurel Keenwale ! Sans plus attendre, je me dirige à grandes enjambées vers elle. Celle-ci m'observe puis semble finalement me reconnaître. Elle se lève brusquement, m'attrape par le poignet et nous marchons pendant plusieurs longues minutes pour trouver un coin à l'abri des regards.

La noirceur de la nuit m'empêche de distinguer quoi que ce soit. Seuls les bruits liés à la tragédie plus loin nous empêche d'être complétement plongé dans la tranquillité du lieu. La jeune fille bondit sur moi :

« -Qu'est que tu fais là ? Tu veux mourir ! S'ils se rendent compte que tu nous as aidés, tu vas être arrêté et exécuté pour terrorisme intérieur ! Es tu complétement inconsciente ? » chuchote-t-elle, la colère dans sa voix transperçant malgré son ton calme.

Dit comme cela, je paraissais vraiment stupide. Mais je n'avais pas réfléchi et maintenant que j'étais là, je comptais bien avoir des réponses.

« Comment avez-vous pu faire ça ? » répondis-je, tout en prenant soin d'éviter la question rhétorique précédente. « - Je croyais que vous aviez des limites !

- Nous sommes des résistants, pas des criminels et encore moins des meurtriers. Ils nous font porter le chapeau pour leurs propres actes inhumains.

- Qu'avez-vous fait ?! Et qui ça « ils » ?

- C'est le Gouvernement qui a libéré le neurotoxique, je le jure ! Pourquoi aurai-je pris le risque de libérer un gaz toxique alors que j'ai grandi à Greycott ?! Ils n'ont même pas trouvé notre base opérationnelle ! »

Ses yeux brillants me faisaient douter bien plus que de raison. Son argument était plus que valable. Et malheureusement, je connaissais le Gouvernement sans pitié, capable d'atrocités telles que celle-ci.

« Ils ont fait ça pour qu'on soit haï. Lorsqu'on mène une lutte comme la nôtre, l'opinion publique est la flamme qui permet de déclencher le brasier de la révolution. Sans soutien, sans légitimité de la population, nous ne sommes rien. Et le Gouvernement a fini par le comprendre : ils sont maintenant prêts à tuer sauvagement leurs citoyens pour manipuler la masse restante. »

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