Chapitre 8 : Remous

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Les minutes passèrent et le choc de l'annonce laissa place à la colère, puis à l'angoisse. Le monde était déjà dans un piètre état, alors les Etats-Unis sans réel Gouvernement allaient probablement le jeter dans un précipice duquel jamais personne ne pourrait plus le sortir. Et ça, tout le monde le savait. Je le savais et j'en étais angoissée. Je pensais à tous ces pauvres gens vivant dans de dangereuses villes, et qui allaient être frappés par encore plus d'insécurité.

Sur ce même écran, on voyait déjà la panique gagnée les habitants. Tandis que certains commençaient à s'enfermer, à se barricader, à ériger des sortes de murailles devant chez eux, d'autres pillaient, se battaient et déclenchaient des incendies. Je crois qu'on pouvait dire que c'était la guerre civile. Mais mes réflexions furent interrompues par des talons claquant sur le sol, et une dame à la démarche fière apparue devant nous. Son chignon haut, ses sourcils tracés, son expression neutre renforçaient la condescendance et le dédain qu'elle émanait. Son habit d'un style classique, une jupe crayon et un chemisier blanc, s'opposait à sa chevelure rouge vif.

On peut facilement deviner qui est une personne - son caractère, ses principes, ses désirs – à la façon dont elle interagit avec le monde. C'est ce qui m'avait poussé depuis que j'étais jeune à aiguiser mon sens de l'observation. Pour cette dame, il ne fallait pas être un génie pour comprendre qu'elle était sans pitié et prête à tout pour accomplir son but, y compris envoyer des jeunes -pour la seconde fois- vers un mort très probable. Elle scruta la salle, et sa façon de nous regarder montrait clairement qu'elle se sentait bien supérieure à nous. Alors que le silence régnait depuis que Cruella était entrée, elle le brisa et d'une voix assurée déclara :

« Mon nom est Miss Lazerkoff. Je suis ici pour superviser votre formation qui durera 6 mois »

Des chuchotements vinrent couper son monologue. Six mois pour partir en exploration spatiale ? L'Elite avait eu un an, et pourtant ...

« ASSEZ ! On se tait quand je parle. 6 mois, pas un jour de plus. Soyons bien clair : cette mission est une obligation. Aucun d'entre vous ne devra, et ne pourra se désister. Nous sommes convaincus qu'en tant que membre de la famille des Elites, vous possédez dans la majorité les mêmes caractéristiques qu'eux, et c'est donc pourquoi nous vous avons choisi. Le temps n'est plus à l'organisation du Test. Nous sommes en 2096, et le temps est à la survie. Par tous les moyens. Pendant six mois, vous apprendrez tout ce que vous devez savoir et être capable de faire pour survivre en terrain hostile. Cela passe par des cours théoriques mais aussi des exercices pratiques. Les cours du matin seront dédiés à une préparation physique intensive, tandis que ceux de l'après-midi se composeront d'ateliers portant sur des thèmes précis et variants tous les mois. La médiocrité ne sera pas tolérée, et nous attendons de vous que l'excellence devienne la norme. Je serais votre tutrice. Chacun de vos comportements, de vos échecs, de vos incartades me sera rapporté et durement puni. Des questions ? »

Le ton agressif de sa dernière phrase désincita chacun a exprimé une interrogation, ou pire une contestation. Alors qu'elle allait reprendre, une voix grave tonna dans la salle. Ce mec était un suicidaire. Tous les regards se tournèrent vers lui. Ma petite taille m'empêchait de voir à quoi il ressemblait.

« Personne ici n'y croit. Des « Elites » ont été entrainées pendant un an et elles sont mortes à la minute où elles ont commencé la mission. Je ne risquerai pas ma vie, ou du moins ce qui en reste, pour une cause perdue. Je ne pense pas être le seul à penser cela. ».

Ce mec était vraiment cinglé. Mais il était courageux. Et dans un sens, il avait exprimé tout haut la pensée générale. De plus, lui, comme moi, n'avait aucune envie de participer à cette mascarade. Je venais peut-être de me trouver un allié, ou tout du moins quelqu'un qui avait tout autant envie de se barrer que moi. Le jeune homme avait parlé d'une voix calme, contrastant avec la colère qu'on pouvait voir augmenter chez Miss Lazerkoff. Visiblement, elle n'avait pas l'habitude d'être contredite. Le ton de sa voix monta d'un cran lorsqu'elle répondit violemment : 

« Vous ! Suivez-moi ! ».

Alors que le jeune homme restait statique, des gardes se rapprochèrent de lui pour le pousser vers celle qui venait de parler. C'est ainsi que je pus voir son visage. La terreur émanait de tous ses pores tandis qu'il essayait de se débattre. Tous ceux présents regardaient la scène, soit stoïques, soit choqués. Mais personne ne bougeait. Personne ne réagissait. Pourquoi ? Parce qu'on avait peur.

La peur, le seul sentiment universel. Tout être vivant la ressent : l'antilope se faisant poursuivre par le lion a peur de périr, et ce même lion a peur de mourir de faim. Ainsi va le monde.

Darwin disait que les espèces qui survivent ne sont pas les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais c'est celles qui s'adaptent le mieux aux changements. Effectivement, notre monde avait changé : il était devenu plus dangereux, plus individualiste, plus sombre. Et ceux qui avaient survécu avaient conséquemment suivi le même chemin.

La survie sur Terre en 2096 nous avait peut-être rendus encore plus égoïste que nous l'étions déjà auparavant. Ce qui est sûr, c'est que nous avions appris à nos dépens que pour subsister, il fallait faire profil bas. Les vantards étaient morts ou allaient mourir. Les naïfs, les bons samaritains et les faibles allaient suivre.

Je m'en voulais de ne pas être intervenu, j'en voulais aux autres également, j'en voulais à ce soi-disant Gouvernement. J'en voulais à tout le monde et à personne à la fois. Tout le monde, parce que c'était notre faute si nous en étions là aujourd'hui. Et personne, parce que si on désigne tout le monde coupable, alors personne ne l'est vraiment entièrement.

Je sentais la colère pulser dans mes artères, puis dans mes veines, d'abord comme un ruisseau puis comme un torrent. Je fermai les points, tremblantes, et essayer en vain de ne rien laisser transparaître. Pendant ce temps, Miss Lazerkoff sortait de la pièce, le jeune garçon la suivant trainé par des gardes tout en hurlant.

Pour m'enfuir, j'allais devoir jouer le parfait petit soldat. Laisser la colère me motiver, sans me noyer dedans.

La colère, voilà tout ce qui me restait ici-bas.

2095Où les histoires vivent. Découvrez maintenant