Chapitre 4 : Le Cycle de la Vie

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L'Entraînement est très dur, si bien que je ne peux voir Sofia qu'une seule fois par mois. Ma rancœur à son égard a peu à peu diminué, et je peux aujourd'hui dire je ne lui en veux plus. Le CESH leur apprend les essentiels de la survie : de la suture de blessure à la création de circuits imprimés en cas de défaillance des systèmes de communication. Malgré tout, la vie suit son cours : on pourrait même ne pas croire qu'un projet d'un telle envergure se prépare. Je continue de marcher vers le lycée, je continuais de rejoindre Kyle tous les matins, je continue de courir avec lui parce que nous sommes en retard. La vie n'est pas si différente que ça, après tout.

Kyle est un garçon maigrichon avec des petits yeux marrons surmontés de grosse lunettes noirs. Mais c'est également un adolescent très intelligent, voué, j'en suis sûre, à faire de grandes choses. 

Notre école de banlieue n'a pas échappé à la pauvreté environnante et à la criminalité. Malgré les efforts de certains professeurs, l'établissement peine à obtenir une réputation digne de ce nom. La plupart des élèves ici n'ont pas la motivation de travailler, et d'autres ne se donnent même pas la peine de venir. Ils jugent inutiles de se déplacer alors qu'ils périront certainement dans cinq ans avec la planète entière. 

Comment leurs reprocher ?

Pour ma part, je garde espoir. Ma sœur est douée, et si tous ceux qui partent le sont autant qu'elle, ils arriveront à nous sauver.

La sonnerie interrompt mes réflexions et nous indique qu'il est l'heure de se diriger vers les salles de classe.

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La journée passe assez vite, et je retourne chez moi rapidement. En marchant dans la rue, je contemple une affiche représentant le monde dans les années 2020. Les gens y étaient heureux : ils grandissaient, tombaient amoureux, se mariaient, avaient des enfants, travaillaient, vieillissaient ensemble... La vie avait l'air si insouciante, si parfaite. On avait appelé cette période «La Belle Époque». Les écrivains racontent que c'était un moment où les gens pouvaient encore sauver la planète, encore tous nous éviter le destin terrible qui nous attend aujourd'hui. 

J'étais partagée entre la douceur que nous apportaient les souvenirs de cette période, et la colère que me procuraient la nonchalance des être-humains face au déclin de la planète. 

Je continue ma route et croise en chemin Oléïla, une bonne amie. Elle s'était retrouvé enceinte lorsqu'elle avait 16 ans. Elle avait décidé de le garder, quand bien même son petit-ami de l'époque l'avait quitté lorsqu'il avait appris. Aujourd'hui, elle arbore les rues en poussant fièrement sa poussette, devant les moqueries des filles de son âge, les remarques déplacées des garçons et les regards méprisants des adultes. Assez petite, Oléïla porte des cheveux bruns ondulés courts et a des yeux noisette. Elle ne se sépare jamais de son collier noir ras-du-cou, ce qui lui donne un coté assez rock. 

Arrivée devant chez moi, je l'invite à entrer et à s'asseoir, puis je prends sa fille, Cassiopée, dans mes bras. Elle est tellement mignonne. Même si ce n'est pas la première fois que je porte cette petite, je la maintenais toujours du bout des doigts : j'avais tout le temps peur de lui faire mal, de trop la serrer ... À chaque fois, Oléïla riait de mes réactions.

Je n'y peux rien : je trouve les bébés fascinants. A cet âge,  ils ont autant de chances de découvrir le secret de l'immortalité que de devenir un dangereux terroriste. Tout dépend de l'éducation qu'on leurs donne, de l'amour qu'on leurs porte, du temps qu'on leurs consacre ou encore de l'environnement dans lequel ils  grandissent. 

Nous discutons quelques heures, échangeant sur des banalités. Du genre solitaire, je n'ai pas beaucoup d'amis, mais je considère que Oléïla en fait parti. Avoir une amie pour bavarder et ainsi ne pas devenir fou en raison de la fin proche du monde telle que nous le connaissons est un luxe, et je compte bien en profiter.  

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Les mois passèrent peu à peu. Ma mère tomba gravement malade. A Snake's Canyon, il n'y avait pas de médecin du fait de la dangerosité du coin. Lorsque nous avions été voir un médecin près de Nuyropolice, ils nous avaient annoncés que nous ne pouvions rien faire. 

Aujourd'hui, bien qu'on puisse penser que grâce aux avancés technologiques de notre époque, la plupart des maladies possèdent des traitements, ce n'était pas la réalité. Enfin, en quelque sorte. Les traitements coûtent tous affreusement chers et ils ne sont produits qu'en très petite quantité. Les gens payent des fortunes pour leurs traitements et nous, nous n'en avons clairement pas les moyens.

Je vis l'état de ma mère se décliner et en même temps mon impuissance grandir un peu plus chaque jour. Lors d'une mâtiné ensoleillée du mois de mai, alors que les roses avaient enfin éclos et que je lui en avais fait un bouquet, elle nous quitta. La maladie l'avait emporté dans une douceur surprenante, pendant son sommeil, alors que celle-ci avait été virulente depuis des mois. Lorsque je l'avais trouvé, je croyais qu'elle dormait, mais j'ai compris lorsque je m'approchai d'elle en lui tendant le bouquet. À ma grande surprise, je n'étais pas triste. Bien sûr elle me manquait déjà atrocement, mais la sérénité qu'exprimaient ses yeux fermés, que dégageaient ses mains croisées sur son ventre avait suffi à m'apaiser. Sofia, étant revenue quelques jours pour l'enterrement, n'avait pas vu cette image. Elle pleura à chaude larmes, longtemps, et elle me demanda pourquoi je ne pleurais pas moi aussi. Seulement, je ne parvins pas à lui expliquer. Elle ne pouvait pas comprendre, et elle ne le pourra jamais. Maman ne souffrait plus.

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