Nous continuâmes de parler quelque peu, avant de nous rendre compte qu'il était plus de vingt heures. Isaac avait faim et ne se gênait pas pour le signaler. Mais je n'étais pas en reste : j'étais passée par toutes les émotions aujourd'hui, et j'avais vraiment besoin d'un bon plat pour me remettre sur pieds.
Nous sortîmes du dortoir, tous plus ou moins joyeux. Du moins, c'était le cas de Isaac, puisque son estomac allait être écouté, mais aussi celui de Broggs. Milton voulait quant à lui sortir de la pièce exigüe qu'était notre chambre commune, alors il affichait également une mine satisfaite. Eliott, fidèle à l'attitude qu'il avait adoptée lors de notre conversation, et que je pensais être sa façon de se comporter d'habitude, était silencieux.
Nous marchâmes sans bruit, nous perdant une fois de plus dans ce dédale de couloirs blancs et arrivâmes enfin dans une très grande salle dans laquelle étaient disposées une dizaine de tables et des chaises. La majorité des recrues y étaient déjà présentes, et pourtant il n'y avait aucun bruit.
Je fus la première à entrer dans la salle, suivie de près par les autres membres de mon équipe. Les têtes des jeunes, précédemment plongées dans leurs assiettes, se relevèrent et leurs regards nous percutèrent. Autrefois, ces regards insistants m'auraient intimidé, mais je devais me montrer forte et surtout impénétrable. Personne ici ne devait pouvoir lire mes émotions ni mes pensées car elles étaient trop ... subversives ? Quoi qu'il en soit, je ne peinais pas à me peindre d'un masque froid, dur et insensible car j'y étais habituée.
Nous fûmes servis par une dame de cantine, qui ressemblait curieusement à celle de mon lycée. La nourriture était tellement équilibrée qu'elle en avait peu de goût. A moins peut-être que c'était moi qui n'avais plus de papilles gustatives à force de m'enfiler pizzas sur pizzas ? Je ne saurais répondre à la question.
Peu de temps après m'être installée, Adam me remarqua et courut presque vers moi. J'aimais bien Adam, mais son enthousiasme si prononcé me repoussait quelque peu. J'avais du mal à exprimer mes sentiments, alors j'avais peut-être du mal en conséquence à côtoyer les gens qui en avaient la capacité, et en usait parfois trop ? C'était une autre question à laquelle je n'avais pas de réponse.
Lors du bal d'adieux aux Elites, j'avais passé une très bonne soirée aux côtés d'Adam. Son côté avenant et jovial ne me repoussait pas, au contraire. Mais depuis, mon monde avait changé. Ma mère, puis Kyle et ensuite Sofia étaient morts. Et pour chacun d'entre eux, une petite partie de moi était morte aussi. Le creux omniprésent dans ma poitrine venait probablement de là.
Le bruit d'un plateau claquant contre le bois d'une table me réveilla. Je relevai la tête pour découvrir Adam qui s'installait avec nous, son groupe le talonnant. Il était composé de trois filles et de deux garçons, dont lui. Une chevelure bleue retint mon attention : c'était encore une fois la sœur de Medo que je croisais. Voyant que je la fixais, elle émit un léger froncement de sourcils et mima avec ses lèvres un « Quoi ? ». Je secouai la tête, pour lui signifier que ce n'était rien, et continuais mon repas. Un silence dérangeant régnait toujours et je voulais m'en extirper. C'est pour cette raison qu'en quelques minutes, mon assiette fut engloutie. Je me levai dans la foulée, me dirigeai directement vers le dortoir et tombai dans mon lit.
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Nous fûmes réveillés aux aurores par une alarme stridente. Milton, se levant furieusement, frappa l'objet d'où provenait le son d'un grand coup. Celui-ci s'écrasa par terre. L'air penaud qu'il affichait en comprenant la bêtise qu'il avait commise déclencha un rire franc de ma part. Broggs et Isaac suivirent mon regard et furent pris d'un fou rire aussi. Même Eliott, d'habitude si inexpressif, émit un rictus amusé.
« C'est pas grave » dis-je amusée « On réglera le problème plus tard ».
En nous levant, nous découvrîmes au bord de notre lit un nouvel ensemble à revêtir. Il était composé d'un pantalon blanc et d'un haut à longue manche également blanc. Le col était pourvu d'une fine lanière bleue, la couleur de notre équipe. J'avais en plus un brassard bleu pour signifier que j'étais la leader du groupe. Après m'être lavé dans les douches communes, je m'habillai et attachai mes cheveux en un chignon bas. J'agrippai un sac à dos en cuir souple brun qui était fourni avec la tenue. J'étais prête en premier et dans un élan de gentillesse, j'attendis les garçons. Ils ne tardèrent pas, sauf Isaac et Broggs qui visiblement prenaient soin de leur apparence. Lorsqu'ils vinrent vers nous, ils revêtaient tous les deux un sourire charmeur.
« La première impression est la plus importante » dit Isaac dans un sourire.
Amusés, nous sortîmes et suivîmes d'autres groupes, qui manifestement savaient où nous devions aller. Miss Lazerkoff apparut d'un coup et nous demanda de la suivre. Elle portait toujours la même tenue qu'elle eût revêtu lors de notre première rencontre.
Tout en marchant, nous découvrîmes plus amplement le bâtiment dans lequel nous étions arrivés. Je n'avais pas pris la peine de correctement l'observer hier et je fus surprise de ne pas m'être rendu compte à quel point il était spectaculaire. La salle immense dans laquelle nous avancions était presque entièrement vide, hormis des statuts de style antique qui en parsemaient les ailes. Le plafond ne se présentait qu'à plusieurs mètres de hauteur : il était entièrement vitré, et les rayons du soleil qui transperçait réchauffer, au sens littéral comme au sens figuré, la pièce.
Le bruit des talons de Miss Lazerkoff qui claquaient de manière rapide sur le sol résonnait, tandis que les recrues et moi tentions de nous faire le plus discret possible, certainement intimidées. Ma vue allait dans tous les sens, essayant d'imprégner dans mon cerveau chaque image que mes yeux transmettaient.
Nous arrivâmes à la fin de notre périple lorsque nous rencontrâmes un homme tout de noir vêtu, contrastant ainsi avec les couleurs de l'endroit. On pouvait deviner un tatouage, qui commençait du bas de son cou et devait probablement s'étendre jusqu'à son torse. Là encore, ce dessin encré le dissociait du paysage. Mais c'était surtout son expression imperméable qui captivait mon attention. Ses yeux parcouraient la foule, et ils rencontrèrent les miens. Je tressaillis, tout simplement. Je remis rapidement mon masque impassible lorsqu'il fit quelques pas en avant. D'une voix rocailleuse, il ouvrit la bouche :
« On m'appelle Ashton. Je suis en charge de votre préparation physique. Suivez-moi. »
Ok, visiblement, il ne s'encombrait pas avec des banalités. Pendant qu'il marchait, il reprit la parole :
« Pour commencer, aujourd'hui vous allez faire une visite médicale. C'est pour cette raison que vous portez cette tenue. Demain, quand l'entrainement commencera, vous portez une tenue de sport qui vous sera fournie. Cet entrainement sera intense, mais il est nécessaire et primordial pour votre survie sur Mars, et en conséquence pour la survie de l'humanité. »
Puis il se retourna, nous regardant tous intensément. Il ajouta, d'un ton grave, des mots qui rentrèrent dans mon esprit, me galvanisant comme jamais auparavant :
« Nous n'échouerons pas. »
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2095
Ciencia Ficción2095 sur Terre. Ou du moins ce qu'il en reste. Le changement climatique et ses conséquences ont placé la planète au bord du précipice, celle-ci prête à tomber vers un vide duquel elle ne sortira plus jamais. Selon les estimations scientifiq...