Chapitre 14 : PHOENIX

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And still I'll rise.

Incroyable. Il faut croire que bien que notre opération fût brouillonne, elle était néanmoins efficace.

Autour de moi, Milton, Isaac et Broggs éclatent de joie. Je crois même avoir vu un petit sourire fendre les lèvres de Eliott. Mais ce court moment d'euphorie est bien vite coupé par la voix criarde de Miss Lazerkoff, nous demandant de nous modérer.

Nous sortons vite de la salle et une fois dehors, les garçons laissent une nouvelle fois apparaître leur excitation. Même si je reste discrète, je suis assez fière de notre équipe.

« Les gars, on doit absolument marquer ce moment de notre vie » s'exalte Isaac. 

« On pourrait se faire tatouer ? » surenchérit Broggs. Evidemment, ses bras étaient déjà noirs de l'encre de multiples tatouages, alors il ne voyait pas de problème à en posséder un supplémentaire.

Milton acquiesça, lui aussi ayant déjà quelques tatouages sur le torse. Eliott également ne semblait pas contre l'idée. Leurs quatre visages se tournèrent vers moi, soucieux d'avoir ma réponse.

Je n'avais jamais eu l'intention de me tatouer, craignant d'avoir un motif ineffaçable gravé sur ma peau pour toujours. De plus, je ne connaissais pas mes coéquipiers depuis longtemps et ils pourraient se révéler être des psychopathes. Mais j'étais contraint, avec le futur qui nous était destiné, de vivre au jour le jour, et surtout, sans regret. Ces types étaient peut-être des psychopathes, mais ils étaient mes amis. Un lien fort nous reliait : maintenant ils étaient mes partenaires, mes amis, et dans quelques mois, ils seraient les gardiens de ma vie, tout comme je le serai de la leur.

« C'est d'accord. » répondis-je à leur question silencieuse.

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Quelques heures plus tard et un passage en ville obligatoire (accepté par nos instructeurs du fait de notre bonne performance à l'évaluation), nous avions désormais une marque commune, gravée dans nos chairs pour le restant de nos jours : un phœnix en plein envol, laissant dans sa fuite les cendres de sa mort, et aussi celles de sa renaissance.

Nous l'avions tous fait à un endroit différent : Isaac dans le derrière de son cou ; Broggs, à l'inverse, à l'avant de son cou ; Eliott sur son biceps gauche et Milton sur son avant-bras. Le mien courait de mon poignet vers le côté de ma main droite.

Plus qu'un tatouage, c'était un symbole. Nous étions tous les cinq, à notre façon, un phœnix. Brûlés au plus profond de notre âme par la douleur, par la solitude, par la peur, par la disgrâce. Oh que oui, nous avions été cendres. Mais tout comme cet oiseau céleste, étions-nous capables de renaître ?

Je n'en avais aucune idée.

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Les deux semaines de préparation intense et le test résultant nous ayant beaucoup éprouvés, les recrues avaient enfin eu le droit à une journée de récupération. Pour la première fois depuis que nous étions à Solaris, le réveil était fixé, non pas à six heures, mais à huit heures. Une vraie grasse matinée !

Habillée d'un ensemble noir et de rangers, nos tatouages apparents, nous avançons désormais vers la cantine. Une fois à l'intérieur, nous entrons en groupe et les regards se tournent vers nous. Les conversations bruyantes deviennent chuchotements et les expressions faciales deviennent tantôt admiratives, tantôt jalouses, tantôt coléreuses. Même Ashton nous regarde, inexpressif.

Je n'y prête pas plus longtemps attention, m'installe avec ma nourriture à une table avec les garçons et nous discutons. De tout. De rien. Ironiquement, nous parlons comme de simples adolescents. Comme le devrait chaque adolescent. Milton explique qu'il déteste Lazerkoff, sentiment que nous partageons. Isaac surenchère en disant qu'il ne supporte pas l'air arrogant d'Ashton tandis que Broggs confie trouver Victoria je cite : « bonne mais sacrément conne ». Ah, les mecs ... Mais plus sérieusement, nous sommes des vraies commères, et j'adore ça. La légèreté du moment me fait du bien, et j'ai l'intuition que ce sentiment est partagé par les garçons.

Les informations diffusées sur l'écran de la cantine nous interpellent : les titres des chaînes télévisées parlent des opérations de soulèvement commis par des réseaux qui se proclament de la Résistance. Ceux-ci sont apparus depuis la désastreuse Conférence, comme un mouvement de protestation face au refus de coopération des pays pour lutter contre la mort de notre planète. D'abord pacifique, le mouvement s'était radicalisé, donnant lieu à des actions de plus en plus violentes. Visiblement, ils devenaient de plus au plus dangereux pour le Gouvernement, au point d'être traqué dans toutes les rues du pays. Les Résistants, ou les rebelles (cela dépend du point de vue qu'on prend) s'étaient fermement opposés à la sélection de l'Elite, puis à l'Opération Araignée, les déclarant iniques pour le reste de la population exclue de ce système.

Je n'ai jamais su quoi penser d'eux. Ma vie avait été rythmée par les victoires et les échecs de la Résistance. Dans un sens, je comprenais et j'étais même d'accord sur la thèse de l'injustice : chaque jour, je me demandais ce que je faisais là, et me répétais que certains avaient bien plus leur place ici que moi. De la même façon, j'aurais souhaité que les Etats unissent leurs forces afin de trouver une solution à cette crise planétaire. Mais de l'autre, la violence de leurs actions avait terni selon moi, leur message. Prôner la coopération internationale tout en tuant des dizaines de personnes (employés du Gouvernement certes mais tout de même ...) dans un attentat à la bombe paraissaient quelque peu paradoxal. La violence était-elle inévitable ?

Eliott émit le souhait de sortir de table, pour nous retrouver entre nous dans la cour intérieure. Je crois qu'il supportait mal les endroits bondés de monde, et la cantine en était un parfait exemple. Nous nous levons donc, le crissement des pieds de nos chaises se diffusant dans la salle, stoppant le brouhaha ambiant et déclenchant toute une salve de regard sur nous.

Ayant besoin de me rafraichir, je quitte les garçons quelques minutes, leur promettant de les rejoindre. Je marche vers les dortoirs dans le calme, sans bruit. Ce moment de solitude, si rare, m'apaise et me permets de me vider l'esprit. En quelques minutes, je suis douchée, me rhabille et vais chercher un pull pour sortir dehors. Mais en l'enfilant, quelque chose me gêne dans la manche gauche. Je cherche à le retirer, et sors un petit papier rectangulaire, sur lequel on discerne des écritures mais il n'est pas signé. Le dépliant, les deux mots inscrits dessus me plongent dans l'incompréhension :

Laurel Keenwale. 

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