Chapitre 13

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Le bruit assourdissant des vagues frappant les rochers comble le silence étouffant qui me harcèle. J'ai toujours aimé l'océan. C'est comme lorsque je regard les étoiles, je me sens toute petite. Insignifiante. Seule. Parfois c'est apaisant. Et parfois c'est angoissant. Je ressens ça aussi avec Tom quelques fois. Enfin... je ressentais ça. Mais observer les vagues et l'étendue d'eau à l'horizon c'est quand même bien différent d'observer les étoiles. Parce que, les étoiles offrent un silence vertigineux. Alors que les vagues ne cessent d'offrir un brouhaha constant, à la fois hypnotisant et oppressant. Ce qui est dingue c'est que, avec les étoiles comme avec l'océan, lorsqu'on est constamment confronté à eux, on finit par oublier leurs existences. Parce qu'ils sont tellement présent, tout le temps, qu'on n'y prête même plus attention, vous voyez de quoi je parle ? Il n'y a que lorsqu'on pose les yeux dessus à nouveau qu'on se rappel qu'ils sont bien là. Et pourtant les étoiles brillent toute l'année, les vagues frappent la terre en continu. Mais on les oublie. Et lorsqu'on prend le temps de les observer, juste quelques secondes, on se rend compte que finalement, l'un comme l'autre, ils sont tout bonnement magnifique. Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau sur cette planète qu'un ciel étoilé ou qu'un océan qui se déchaine. Mais ça ne nous empêche pas de les oublier. Et je ressens exactement la même chose. Je ne cesse de m'oublier, de devenir invisible, cachée dans l'ombre de l'homme que j'aime. Et si moi-même je m'oublie, comment les autres pourraient encore me prêter de l'attention ? 
- Pourquoi tu m'as appelé ? 
Je délaisse l'océan des yeux pour les poser sur Emily qui croque dans son sandwich en levant la tête de son téléphone avec un regard froncé. 
- T'es sérieuse ? 
Elle se force à mâcher plus vite et ses yeux bleus prennent cette tournure mi-surprise mi-agacée que j'ai du mal à supporter. Je préfère nettement regarder les vagues sous mes pieds à la place. 
- Ça fait deux heures que t'es là, t'as pas dit un seul putain de mots, même lorsque je t'ai demandé comment tu allais, et la première chose que tu me sors c'est ça ? Pourquoi je t'ai appelé ? Tu te fou de ma gueule ou quoi là ? 
Je savais qu'elle serait énervée. Elle l'est souvent avec moi. Mais ça ne m'a pas empêché de venir pour autant. 
- Non mais sérieux, Elena. 
Lorsqu'elle prononce mon prénom en entier ça ne sent pas bon du tout. Un peu comme ma mère quoi. 
- Quand est-ce que tu va te décider à me dire pourquoi t'es là ? 
Je lui jette un bref coup d'oeil, sentant déjà la boule de chagrin recommencer à bloquer ma gorge en espérant m'étouffer une bonne fois pour toute. Et c'est trop dur de la regarder. C'est trop dur en sachant que si elle ne m'avait pas appelé, je ne l'aurais plus jamais revue. C'est étrange comme ça ressemble à de la culpabilité, mais s'en est pas. C'est plutôt de la rancoeur. Envers moi-même. 
- T'as passé treize heures dans ta voiture à traverser la Manche et la France tout entière pour venir ici, alors ne me sort pas que tout va bien. 
- J'ai jamais dit que tout allait bien. 
Je la vois du coin de l'oeil lever les yeux au ciel avec une ironie qui tire sur mes nerfs un peu plus. 
- Ouais bah vu la tronche que t'as j'avais deviné, merci. Et je suis certaine que c'est à cause de Tom, pas vrai ? 
Rien que d'entendre son prénom, je sens ma nuque se raidir. Ma mâchoire se serrer et ma gorge se nouer. Est-ce que ça va me faire ça à chaque fois maintenant ? Comme un effet secondaire de notre rupture ? 
- Pourquoi tu m'as appelé, Emi ? 
Je me force à poser les yeux sur elle en enfonçant mes mains dans les poches de ma veste. Je ne veux pas qu'elle les voit trembler. Je n'ai pas réussi à calmer les tremblements depuis que je suis partit. Depuis que j'ai commencé à remplir mes valises de toutes mes affaires. C'est comme-ci mon corps était en manque. En manque de quoi, j'en sais rien. De sommeil ça c'est certain, mais pas seulement. En manque d'explications peut-être. Ou en manque de... de lui. 
Les sourcils froncés de la brunette donne un air tellement stupide à ma question. Ses épaules se haussent et elle secoue brièvement la tête comme-ci elle n'avait pas la réponse à cette question pourtant simple. 
- J'en sais rien. Parce que... parce que j'en avais envie. Mais pourquoi tu me demande ça ? Depuis quand c'est aussi important que ça la raison de mes appels ? On s'appel tous les jours, Elie. 
Mon regard tombe à nouveau sur l'eau sous mes pieds. Les vagues commencent à engloutir la minuscule plage d'à peine trois mètres qui s'étend en dessous de nous, coincée entre deux tas de rochers. 
- C'est important... parce que tu m'as sauvée. 
Je garde les yeux baissés, frappée par le souvenir de cet appel. Frappée au même titre que les rochers sous mes pieds heurtés par les vagues. J'étais dans la voiture de Tom lorsqu'elle m'a appelée. Et j'étais sur les bords de la Tamise. Prête à me jeter dedans. J'ai pensé, pendant une seconde, que peut-être ça lui ferait du mal que je meurs dans sa voiture, en plein coeur de Londres. Je me suis dit qu'avec un peu de chance, voir la Tamise après ça lui rappellerait qu'il m'a perdu. Que peut-être ça pourrait le faire souffrir indéfiniment. Parce que j'ai terriblement envie qu'il souffre, autant que moi en tout cas. 
- Quoi ? Qu'est-ce que tu raconte là ? 
L'inquiétude dans sa voix est gonflée de colère. Parce qu'elle sait parfaitement de quoi je parle. Et c'est pour ça que je ne relève pas la tête. Je ne supporterais pas son regard. C'est plus facile de fuir. Et j'ai besoin de facilité là. Mais Emily déteste la facilité, et c'est l'une des choses qui m'énerve chez elle. Parce que ça la rend tellement meilleure que moi. Sa main s'accroche à mon épaule dans l'espoir de me forcer à poser les yeux sur elle. 
- Putain ne me dit pas que t'as voulu recommencer ? 
J'extirpe mon bras de sa poigne en gardant les yeux loin d'elle. Le ton de sa voix est suffisamment douloureux comme ça à supporter, alors lui avouer que oui, en effet, j'ai encore voulu mourir, et ça en la regardant droit dans les yeux c'est trop difficile. Mais elle ne laisse jamais tomber, malheureusement pour moi. Et ses ongles dix fois plus longs que les miens s'accrochent à ma veste pour me tirer vers elle. 
- Putain Elena ! Dit moi que t'as pas essayé de mourir encore une fois ! 
Mon regard tombe dans le sien, comme-ci j'avais maladroitement mit le pied dans une flaque d'eau froide, en chaussette par dessus le marché. Et la déception qui remplit ses yeux à ras-bord ne fait que souffler sur le tas de cendres qu'est devenu mon coeur, et disperser ce qu'il en reste. 
- Non j'ai pas voulu essayer. 
Je me défait de sa poigne d'un mouvement du coude, sans plus aucun coeur pour culpabiliser de lui faire autant de mal. Même ma capacité à culpabiliser est morte on dirait. 
- Cette fois j'ai voulu réussir. 
Son regard s'agrandit en un quart de seconde, comme-ci je lui avais craché au visage. Et heureusement que ma culpabilité à mit les voiles, au même titre que ma joie de vivre et toute autre émotions qui m'aurait servit à remonter la pante. Parce que là, au fond de ses yeux azur vient de naître un regard tellement horrifié et emplit d'incompréhension que j'ai l'impression d'être devenu un monstre. Et ça pourrait presque me blesser, si ma poitrine n'était pas vide de toute émotions. Je sais qu'elle ne mérite pas d'entendre ça, qu'elle ne mérite pas que je la blesse, mais c'est plus fort que moi. C'est comme-ci, j'étais venu ici juste pour en finir avec tous les gens que j'aime une bonne fois pour toute. Je la blesse elle, et après ce sera au tour de mes parents, et lorsque tout le monde me détestera, ce sera plus facile pour moi de partir. Ce sera plus facile pour eux de me laisser partir. 
Le bruit assourdissant des vagues attire de nouveau toute mon attention, et ça parce qu'Emily reste silencieuse. C'est dingue comme le silence me blesse autant que les mots depuis que Tom m'a hurlé toutes ces horribles choses. Après ça, le silence devient douloureux et perd l'apaisement qui faisait de lui quelque chose de bénéfique. Là, il ne reflète que ma détresse et ma solitude. Cette impression que personne ne peut plus rien pour moi. Ce silence, c'est le même que celui qui intervient lors d'un enterrement. Vous savez, ce silence au moment où le cercueil descend en terre, dans le trou où il va passer le restant de ses jours. Et bien, le silence qui me poursuit depuis que j'ai quitté l'Angleterre en est la parfaite copie. C'est comme-ci... j'assistais à mon propre enterrement. Comme-ci j'étais entrain de descendre dans mon trou, là où je vais passer le restant de mes jours. Seule et en silence. 
Et comme le cercueil qui descend en terre, je sens le regard meurtrit et colérique de ma meilleure-amie posé sur moi. Parce que c'est certainement la personne qui tient à moi autant que mes parents. Et je comprends qu'elle soit déçue. Je ne suis bonne qu'à décevoir de toute évidence. 
- Je suis désolé, Emi... 
- Parce que tu crois que c'est ce que je veux entendre ? 
Ma poitrine se serre et malgré qu'elle soit vide ça fait mal. Tellement que je suis forcée de poser les yeux sur elle. Et là, dans son regard, la déception a été vite remplacée par la colère. Et je ne suis pas sûr que ce soit mieux. 
- Ça t'as pas suffit la première fois ? 
Elle retire ses pieds du vide pour se tourner vers moi, assise à présent à califourchon sur le banc de pierre qui nous accueil. Un pied dans le vide, un pied sur la terre ferme. Comme-ci, inconsciemment, elle était prête à me suivre, peu importe l'endroit où je veux aller. Dans le vide, où sur terre. 
- Pourquoi t'as encore penser à mourir avant de penser à moi ? 
Cet excès d'égocentrisme me fait l'effet d'une gifle. Ça ne lui ressemble pas. Elle ne pense jamais à elle avant les autres, c'est quelque chose qui nous lie depuis le premier jour. Et c'est ce qui rend sa question tellement plus effrayante. 
- Putain mais pourquoi il faut toujours que tu cherche à fuir ? 
Elle me frappe le bras d'un coup de poing sans retenir sa force. Et étonnamment, elle a plus de force qu'elle ne le laisse paraître. 
- Aïe ! 
Elle recommence et je vois au fond de ses yeux qu'elle en a besoin. Ils brillent. À cause de ses larmes. Parce qu'elle m'en veut. Et ça fait mal de ne pas culpabiliser de lui faire autant de peine. Quelle ironie. 
- Je ne cherche pas à fuir. 
Je me frotte le bras en reposant les yeux sur l'horizon devant moi, et étrangement, la couleur de l'eau et la force de ses vagues n'est que le reflet de ma meilleure-amie. Ce qui n'aide pas du tout. 
- Parce que vouloir mourir c'est pas fuir peut-être ? 
Ma tête tombe en arrière, encore trop lourde de mauvaises pensées. De questions douloureuses dont je n'ai aucune réponses. Et de choix dont seuls les mauvais attirent mon attention. 
- Et passer treize heures dans une voiture à traverser la France sans dormir c'est pas fuir ça aussi ? 
Je pose les yeux sur elle en ressentant enfin quelque chose. De l'agacement pur et dur. 
- Ça fait bien une journée entière maintenant que je n'ai pas dormi, Emily, et tu crois pas que si je cherchais vraiment à fuir j'essaierais de dormir ? Ce serait tellement plus simple si j'étais inconsciente, tu n'imagines même pas. 
Elle me colle un nouveau coup de poing dans le bras avec plus de force cette fois-ci, laissant totalement tomber son sandwich. 
- Putain mais t'es sérieuse ? T'as pris la route pendant treize heures sans dormir ? Mais t'es inconsciente ou quoi ? 
Waouh ! Et un adjectif de plus à ajouter à la longue liste établie par Tom et sa pouffiasse. 
- Ouais, c'est exactement ce que je suis. 
Je me tourne vers elle en laissant un pied dans le vide au cas où l'envie de sauter devient plus forte. 
- Inconsciente. 
Elle fronce les sourcils avec un regard suspicieux. Et ça parce qu'elle détecte la colère dans mon regard plus vite que je ne suis capable de la ressentir. 
- Stupide. Manipulatrice et qui ne sait pas ce que c'est que de se crever au travail pour la gloire. 
J'hausse les épaules avec un air résigné. 
- Un pute quoi. Ou une salope, comme tu veux. 
Emily a un mouvement de recul, et la surprise qui marque son visage est rejoint par un regard horrifié. Ou plutôt, une lueur de pitié. Ce que je ne supporte pas et fini par reposer les yeux sur l'eau qui se déchaine sous mes pieds, au même titre que toutes les putains d'émotions négatives que je peux ressentir depuis vingt-quatre heures maintenant. 
- Une salope qui s'est servit du brillant Tom Holland depuis le premier jour. 
Un sourire nerveux prend possession de mes lèvres. Emplit d'amertume. De colère. 
- Tout ça pour sortir de sa vie merdique avec son petit copain merdique. 
Je souffle avec une exaspération exagérée, dans l'espoir de retarder les larmes qui montent jusqu'à mes paupières. 
- Je ne suis qu'une profiteuse. Un parasite. 
J'insiste sur chaque putain de syllabes de chaque putain de mots. Et malgré moi, malgré tout le contrôle que j'essais de garder, mes putains de larmes reviennent. Comme-ci elles étaient impatientes de dévaler mes joues pour finir leurs course dans l'océan. Comme-ci mon visage n'était pour elles qu'un putain de chemin vers la liberté. Et cette idée de liberté, de finir dans les vagues ne me semble pas si idiote que ça. 
- C'est ce que Tom m'a dit en tout cas. 
Le silence pointe à nouveau le bout de son nez. Et ce pervers recommence à m'étouffer, comme il le fait depuis que je suis partit. Je pose mes yeux embués de larmes sur Emily, et comme je m'y attendais, elle a l'air encore plus énervée que moi. Et c'est certainement parce que le chagrin empêche ma colère de prendre le dessus. 
- Dit moi que c'est une blague. 
J'ai à peine le temps de secouer la tête que mes larmes m'échappent. Et mon sourire triste n'allège pas ma peine, et encore moins la colère dans les yeux d'Emily. Mais comme à son habitude, et ça depuis des années maintenant, lorsque je ne vais pas bien, elle laisse tomber tout ce qu'elle fait, tout ce qu'elle ressent et ça juste pour me prendre dans ses bras. C'est dingue comme la chaleur de ses bras arrive à rassembler les cendres de mon coeur pour reformer un tout petit tas. Mais il est tellement brisé que même ma meilleure amie ne peut pas le réparer. Et au fond de ses yeux bleus, je vois bien qu'elle a comprit. Elle sait que mon coeur est mort. Qu'elle-même ne peut rien faire pour réparer ça. Et ça lui fait mal autant que ça la ronge de colère. 
- C'est à cause de cette photo avec le type du bar, c'est ça ? 
Je repose les yeux sur l'horizon, pas même surprise de l'entendre dire ça. Elle sait tout sans même que je n'ai besoin de lui dire. C'est pour ça que c'est ma meilleure amie. 
- Il ne m'a pas cru. 
J'hausse les épaules, comme-ci j'avais moi-même du mal à y croire. C'est encore trop dur d'y croire. C'est trop tôt. 
- Il ne m'a pas cru et il m'a dit que je me servait de lui depuis le début. Comme-ci... tout ce qui s'est passé depuis que je l'ai rencontré n'était qu'une putain de mascarade. Comme-ci tout l'amour que je ressentais pour lui n'était pas réel. 
Rien que de le dire à voix haute, ça fait mal. J'ai tellement de mal à y croire. Après tout ce qui s'est passé, je n'arrive pas à croire qu'il m'a dit ça. Qu'il m'a dit toutes ces horreurs. Comment il a pu vriller à ce point en quelques minutes ? 
La main d'Emily glisse sur mon bras en me sortant de mes pensées obscures. J'abandonne l'océan des yeux pour les poser sur elle. 
- Il m'a traité de salope. De parasite. 
Chacun de ses putains de mots est tellement douloureux que je peine à ouvrir la bouche pour continuer. Mes lèvres restent collées entre elles, refusant de me laisser répéter les mots horribles qu'il m'a dit. 
- Il a dit qu'il ne me croyait pas pour Timothée. Qu'il est persuadé que j'ai essayé de me servir de lui aussi, mais que Lily-Rose m'en a empêché. Il pense que tout ce qui m'intéresse c'est l'argent. 
J'efface les maudites larmes qui m'ont échappées, toujours pas consciente que ce que je viens de dire c'est réellement passé. Qu'il m'a vraiment accusé de me servir de lui, d'avoir essayé de me servir de Timothée. Et au fond de moi je sais que si il a douté de moi pour ce qui s'est passé avec Timothée, il a certainement douté de moi pour ce que Benjamin m'a fait. Et ça c'est pire que tout. Il n'a pas voulu avouer lorsque je lui ai posé la question, mais je sais qu'éviter cette question ça veut dire qu'il n'avait pas le courage de me dire la réponse. Et ça parce qu'il a douté de ma sincérité en ce qui concerne le viol que j'ai subis. Et le pire dans tout ça c'est que je ne peux toujours pas en parler à Emily parce que je n'ai pas eu le courage de lui dire. Elle ne sait rien de ce qui s'est passé avec Benjamin, et je ne peux définitivement pas lui dire maintenant. Ça lui ferait tellement de mal. Et je la blesse suffisamment avec mes envies de suicide. 
- J'y crois pas. 
Je frappe Emily du regard, surprise d'entendre ça. Le ton de sa voix me fait penser qu'elle ne plaisante pas en disant ça. Qu'elle ne croit vraiment pas ce que je viens de dire. Son regard froncé et suspicieux me fait mal. Comment est-ce qu'elle peut oser me regarder comme ça ? Douter de moi. 
- C'est impossible que Tom ait pu te dire ça. 
Putain mais elle doute vraiment de moi là ? Sérieusement ? 
- C'est déjà impossible qu'il ait pu ne serait-ce que penser ça, Elena. Il t'aime trop pour penser ça, comment est-ce qu'il aurait pu oser te le dire ? 
Elle secoue la tête, comme-ci elle refusait de me croire. Et je n'arrive pas à croire qu'elle refuse de me croire. Non, je peux pas encaisser ça. Pas elle. Elle a pas le droit de douter de moi. Pas maintenant, pas après ce qu'il vient de m'arriver putain ! Pourquoi est-ce que tout le monde doute de moi comme ça ? Est-ce qu'il se sont tous ligués pour que je me foutes en l'air ou quoi ? 
- Il m'a quitté, Emily. 
J'écarte mon bras de sa main compatissante dont la chaleur me donne le vertige. Et l'air grave dans son regard me fait monter en pression en deux secondes. 
- Il m'a largué putain ! 
J'ai crié si fort qu'elle a sursautée, et les gens qui passent près de nous aussi. Mais le regard curieux des passants j'en ai clairement rien à foutre. 
- Comment tu peux douter de ce que je dis ? 
La culpabilité dans ses yeux me confirme qu'elle a douté de moi. Elle aussi. Pourquoi tout le monde s'y met en même temps putain ? C'est quoi leurs délire là ? Me rendre dingue ? Ils veulent quoi au juste ? Que je me foutes en l'air ou que je finisses dans un asyle ? 
- Je doute pas Elena, c'est juste que... 
- Que tu l'idéalise tellement que tu doute carrément de moi ! 
Elle baisse les yeux en secouant la tête et je sais que ce n'est pas moi qu'elle essai de convaincre, mais elle-même. Moi je suis déjà convaincue qu'elle est dingue de lui. Je le sais depuis tellement longtemps que le jour où j'ai compris que j'étais amoureuse de lui, j'ai eu peur de la blesser. Sauf que maintenant, elle arrive à douter de moi à cause de lui. Il passe en priorité même avec elle. Putain mais pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il passe en priorité ? Tout le monde l'aime tellement qu'ils préfèrent le croire lui plutôt que moi. C'est dingue cet effet qu'il a sur les gens, et sur moi aussi. J'ai réussi à m'oublier complètement juste pour lui, et là ça touche ma meilleure amie maintenant. Comme une putain de malédiction. 
- Putain Emily, il m'a flingué le coeur ! Toutes les merdes qu'il m'a dit ont eu l'effet d'une putain de balle dans mon crâne, est-ce que tu réalises ou pas ? 
Je me rend compte que je viens d'hurler lorsque les passants s'arrêtent à notre hauteur, avec un regard curieux mais également inquiet. Je préfère les ignorer, sachant que si je les regardes c'est sur eux que je vais me mettre à hurler. 
- Mais Elena il va forcément... 
- Quoi ?! S'excuser ? Essayer de se rattraper ? 
Putain mais comment est-ce qu'elle peut être aussi aveugle ? Aussi persuadée que tout va s'arranger ? Mais rien ne va s'arranger putain de merde ! 
- Ma bagnole est pleine à craquer de toutes mes affaires, Emily ! Des sacs entiers qui contiennent toute ma vie passée avec lui ! Qu'est-ce qu'il te faut te plus putain ? Que je m'ouvre le bras droit ? Comme ça les cicatrices seront parallèles, ça fera tout de suite moins dégueulasse ! 
L'air horrifié sur son visage me force à détourner les yeux, et étrangement ça me met en colère. Elle a pas le droit de me faire culpabiliser d'avoir envie de crever juste avec son regard de chien battu. Et puis elle a même pas le droit de me faire espérer. Comment peut-elle oser me faire espérer que les choses vont s'arranger alors qu'elle n'a pas entendu un seul putain de mot de toute la merde qu'il m'a balancé à la gueule ? Me faire douter de ce sentiment de vide qui plombe ma poitrine. Putain mais je sais que c'est fini ! Je le sens. C'est vide à l'intérieur de moi. Et en même temps tellement lourd. C'est incompréhensible, en fait. Je suis à la fois tellement perdue et tellement sûr de ce qui se passe. C'est comme-ci... je refusais de choisir. Choisir entre faire le deuil de cette relation et me battre pour elle. J'ai le choix entre me laisser enterrer et espérer que ça s'arrange. 
Mais l'espoir c'est de la merde. Ça ne fait qu'ouvrir en moi un trou plus grand pour y laisser la place d'accueillir encore plus de chagrin. Parce que si je me met à espérer et qu'au final ça ne s'arrange pas, toute la place qu'aura prit cet espoir de merde va se retrouver vide, et le trou qui creuse ma poitrine ne sera que plus grand encore et tellement plus difficile à combler. Et puis de toute évidence, ça ne servirait à rien de se battre pour ressusciter quelque chose qui est mort. Ce serait espérer un miracle, et on sait tous que les miracles ça n'existent pas. Mais c'est tellement plus simple de tout reposer sur la foi, sur l'espoir. Parce qu'on préfère espérer un miracle plutôt que de se salir les mains pour qu'il se produise. Mais mon problème c'est que j'ai pas envie de me salir les mains, et que j'ai pas envie d'espérer non-plus. En gros... tout est foutu, quoi que je fasses.  
- Elena... 
Sa main glisse sur mon genoux et sa douceur me met hors de moi. Je saute de la pierre sur laquelle on est assise, ne supportant plus son attention pleine de pitié. 
- Arrête putain ! 
Je lui fais face au moment où elle se lève à son tour. Et aussi dingue que ça puisse paraître, j'ai envie de lui hurler dessus. Et ça arrive rarement avec elle. Mais là j'ai besoin d'hurler, vous comprenez ? J'ai besoin qu'elle comprenne. J'ai besoin qu'elle soit de mon côté. Sinon je vais m'effondrer. 
- Il reviendra pas, OK ? Et même si il essayait de s'excuser, ça ne changerait rien, Emi ! Ça ne changerait rien parce qu'il a douté de moi ! 
Mes yeux me brûlent, ma gorge aussi. Ma vision se fait floue, et la boule amer qui bloque ma gorge m'empêche d'hurler plus fort. C'est comme-ci tout mon chagrin, toute ma peine voulait m'empêcher de hurler ma douleur. Comme-ci mes propres émotions voulaient me faire imploser. Comme-ci elles cherchaient à me tuer de l'intérieur. 
- Il a douté de moi alors que je n'ai jamais douté de lui. 
Ma voix se brise avant que je ne finisses ma phrase. Et Emily l'a très bien remarqué, parce que son regard me renvoie le reflet minable de la pitié que je lui fait ressentir. 
- Et ça... ce doute qu'il a eu ne disparaîtra jamais. 
Je secoue la tête en refusant de laisser mes larmes couler. 
- Il a arrêté de me faire confiance... et ce sera toujours là, enfoui dans sa tête, et enfoui dans la mienne. Jamais... jamais ça ne redeviendra comme avant. Et ça parce qu'il a douté de moi. Il a douté de moi putain... 
Et comme à chaque fois, j'ai échoué. Mes larmes m'échappent sans mon consentement, cassant mon dernier mot, brisant ma dernière phrase. Et malgré ma folle envie de lui hurler dessus, je laisse Emily m'étouffer de ses bras. Et ça me permet de cacher mes larmes. De rester debout quelques minutes de plus. Mais j'en ai même plus la force. Je suis tellement détruite que j'ai l'impression d'avoir déjà disparue de la surface de la terre. Comme-ci il n'y avait plus de place pour moi, plus rien d'écrit, plus aucun futur à vivre. Sans lui, je n'ai plus rien. Et je l'ai toujours su. Mais maintenant que ça arrive, maintenant que la fin est là, je n'arrive pas à gérer. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Pourquoi il m'a fait ça. 
Une vibration inattendue s'invite entre Emily et moi. Je m'écarte d'elle en sortant machinalement mon téléphone, mais lorsque mes yeux tombent sur la photo qui apparaît sur l'écran, les tremblements de mes doigts reprennent de plus belle. 
- C'est Tom ? 
Je relève les yeux vers Emily sans même répondre. Et malheureusement pour moi, elle a lu dans mes yeux plus vite que je ne le pensais, et a anticiper le fait que je ne comptais pas répondre. C'est pour ça qu'elle a glissé son doigt sur l'écran pour répondre à l'appel à ma place. Mais le téléphone est toujours dans ma main, tout tremblant. Je baisse les yeux vers lui, et sans trop savoir pourquoi, peut-être par simple curiosité, je le met à mon oreille. Et étrangement, je n'entend rien. Aucun son. Juste une respiration. Et je n'ai pas besoin de me demander si c'est encore cette pouffiasse de Zendaya, parce que je reconnaîtrais cette respiration même si j'étais sourde. C'est Tom. 
- Where are you ? 
Le son de sa voix me paraît si étrange. Comme-ci ça faisait des années que je ne l'avait pas entendu. Et elle paraît différente sa voix. Comme-ci elle était cassée, brisée par des hurlements répétés. Mais aussi surprenant que ça puisse paraître, le ton de sa voix n'a rien d'inquiet. Il est agacé. Et je le sais parce qu'il se met à souffler, certainement contrarié que je ne réponde pas. 
- My mom called me, the house is empty, all your stuff is gone. Where the fuck are you ? 
Vous voyez, je vous l'avez dit. Il est plus énervé qu'inquiet, ça paraît évident. Et je ne comprend même pas pourquoi. Après tout, il voulait que je parte non ? Sinon pourquoi est-ce qu'il m'aurait hurlé toutes ces horreurs ? Personne ne pourrait rester après avoir entendu ça. 
- I left. Just like your new girlfriend asked me to. 
Un court silence s'installe, juste le temps pour moi de croiser le regard interrogateur d'Emily. 
- What the fuck are you talking about ? 
- Zendaya. 
Je n'ai pas hésité une seule seconde, et là c'est lui qui hésite. C'est lui qui redevient silencieux. Comme-ci il prenait le temps de réfléchir à une réponse. Mais son silence en est déjà une. 
- So you're accusing me of cheating on you, but you're actually cheating on me, right ? 
Le regard d'Emily s'écarquille tellement que je baisse les yeux pour ne pas être déconcentrer par sa surprise. 
- How long has it been going on between you two ? Why would you want to be with me if you were already dating this bitch ? 
- She's not a bitch ! 
Tiens... c'est étonnant, il n'a pas hésité cette fois. Et c'est douloureux. Tellement plus que d'avoir encaissé le doute de ma meilleure-amie. 
- Oh so now you're defending her ? Just because you fuck her when you're not with me ? 
- I'm not fucking with her... 
- Is that why you told me all this shit ? To make me leave ? So she could finally take my place ? 
Je me remet à crier plus vite que je ne le voulais. Mais c'est plus fort que moi. L'entendre la défendre après tout ce qu'il m'a dit ça me met hors de moi. 
- I'm not dating her... 
- Then why did she tell me I was a fucking parasite, hum ? That I was just using you ! She fucking told me to leave and never call you again or she would make you put your pretty hands on her fucking ass ! 
Un nouveau silence. Encore un. Comme-ci j'avais besoin de ça. Comme-ci j'avais besoin d'être étouffer un peu plus par ce silence de merde. 
- She's just worried about me, Elena. 
- She's worried about you ? Because now you're the one who's about to kill himself because his fucking heart just got burned to the ground ? 
Il ne répond pas tout de suite, et cette fois ce silence est mérité. Parce qu'il a comprit de quoi je parle. 
- What the fuck does that mean ? 
- You will soon find out, but I won't be here to talk with you about it.
Je relève les yeux vers Emily en écartant le téléphone de mon oreille, prête à raccrocher lorsque la voix de Tom hurle dans le téléphone. Et moi qui pensait qu'il resterait encore silencieux, pour ne pas changer. 
- You're just saying that to make me feel guilty, aren't you ? 
Putain je n'aurais jamais du remettre ce putain de téléphone à mon oreille. 
- So I can come back like I did last time ? But you can still wait for me to come back, Elena, because the guilt is yours to feel now, not mine ! So no need to play suicidal teenager, it won't work this time. I won't come back crying and apologizing, it's your turn to do it if you really care about me. Otherwise it will mean that I was right, that you were just using me. 
Les cendres de mon coeur semblent encore suffisamment fragiles pour me donner l'impression qu'il s'est enflammé une seconde fois, qu'il s'est mit à brûler jusqu'à ce que même les cendres disparaissent. Et le silence revient, parce qu'il a raccroché. Et putain ce que j'en peux plus de ce silence. J'en peux tellement plus que je finis par exploser ce putain de téléphone au sol, aux pieds d'Emily qui n'a pas bougé d'un cil. 
Les larmes tombent sur mon visage sans ma permission et me brouillent la vue. Pourquoi est-ce qu'il faut toujours qu'il en rajoute une couche ? Comme-ci il voulait à tout prit que je n'ai aucun espoir de m'en sortir.  
- Putain mais t'es sérieuse Elena ? 
Je baisse les yeux vers Emily qui est entrain de ramasser mon téléphone dont l'écran a littéralement exploser. 
- Tu peux pas détruire ton téléphone à chaque fois que ça ne va pas ! 
Elle se relève pour me faire face avec ce regard maternel qui m'énerve au plus haut point et dont je n'ai absolument pas besoin sur le moment. 
- C'est la première fois je te signal ! La dernière fois c'était Tom ! Et la fois d'avant Benjamin ! Pourquoi est-ce que j'aurais pas le droit de péter les plombs moi aussi hein ? Pourquoi est-ce qu'il faut toujours que tout ce que je fasse soit dénigrer tout le temps ? Comme-ci je n'étais bonne qu'à faire de la merde ! Mais comment tu veux que j'ai envie de rester en vie si personne ne me soutient putain de merde ! 
Au moment où je hurle mon dernier mot, une vague énorme passe par dessus le banc de pierre sur lequel on était assises et nous frappe de plein fouet. La froideur de l'eau me réveille brutalement. Comme-ci l'océan venait de me gifler. Une putain de gifle qui m'a été envoyée par l'océan lui-même. Comme-ci il avait voulu attirer mon attention. Comme-ci il l'océan venait de m'appeler pour le rejoindre. 
- Putain je suis trempée ! 
Mes jambes me conduisent d'elles-mêmes au banc de pierre qu'on vient de quitter, et j'ai tout juste le temps de poser un pied dessus que des bras me tirent en arrière. Si violemment que mes jambes me lâchent. Je me sens tomber sur le sol mouillé, et le visage d'Emily passe devant le mien. 
- Elena putain ! Il t'arrive quoi là ? 
Je m'accroche à son bras, n'ayant même pas la force de me relever. Et mes larmes me brouillent de nouveau la vue, et me prennent carrément à la gorge. Comme-ci mon chagrin essayait de m'étrangler. 
- Je veux juste partir... s'il te plaît... laisse moi partir...
J'ai à peine le temps de finir ma phrase qu'un vertige me bouscule. Même si je suis déjà étendue au sol, je m'accroche à Emily comme dans un dernier élan de survie mais je sens mes paupières se fermer. Ma tête devenir lourde. Et le noir prend toute la place, accompagné par un silence de plombs. Je ne sais pas si c'est à ça que ressemble la mort, mais c'est super désagréable tout compte fait. De perdre le contrôle. C'est étonnant comme notre corps essai de rester en vie jusqu'à la dernière seconde. Je pense que c'est ça qui rend le vertige désagréable. Parce que si mon corps ne luttait pas, si il se laissait porter par mon envie de partir, je me sentirais bien. Enfin en paix.  
- Elena ! Tu m'entends ?
Les échos lointains de la voix d'Emily me parviennent quelques secondes seulement. Et puis, comme je le voulais... je me sens partir. 

Unexpected 2 [FR/EN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant