Lorsque mes yeux s'ouvrent, c'est pour me laisser admirer le blanc terne du plafond au dessus de ma tête. Le néon éteint sur ma droite me fait immédiatement comprendre où je suis. Et la lumière tamisée de la pièce m'indique qu'on est encore en pleine nuit. Putain non... pas l'hôpital. Mais qu'est-ce que j'ai fais pour mériter ça sérieux ?
- Noah ! Elle se réveille.
Une voix sur ma gauche me force à tourner la tête et la raideur de ma nuque me fait regretter cet élan de curiosité. À ma grande surprise, la propriétaire de la voix n'est pas ma mère, mais ça y ressemble. Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu Alice. Je n'avais jamais fait attention à la couleur de ses yeux jusqu'à maintenant. Il sont verts. D'un vert si sombre qu'on pourrait penser qu'ils sont marrons. Et à peine croisent-ils les miens qu'elle se redresse immédiatement sur son fauteuil. Elle jette un bref coup d'oeil sur sa gauche, et je suis machinalement son regard avec une lenteur agaçante. Ma tête est tellement lourde que j'ai du mal à la faire pivoter.
- Vas-y doucement.
On pourrait croire que c'est à moi qu'elle parle, mais en tombant sur le regard glacial de mon père qui se tient au bout du lit, il est clair que c'est à lui qu'elle parle. Et ça n'annonce rien de bon pour moi, ça je peux vous l'assurer. Les bras croisés sur son torse, il se tient droit comme un piquet, on dirait presque un maitre d'école qui dévisage le plus perturbateur de ses élèves. Et en l'occurrence, il s'agit de moi. Rien qu'à son regard j'ai l'impression que l'engueulade à déjà commencée. Pourtant cette fois je n'ai rien fait. Du moins, pas que je m'en souviennes. La dernière chose que j'ai en mémoire... c'est le visage de Benjamin. Et je me demande bien pourquoi.
- Alors ? Comment tu te sens ?
Son ton est dur, comme-ci il ne cherchait pas à savoir comment je vais, mais à me donner une leçon. J'ai la mauvaise impression que ce qui va dire ensuite ce sera un "je t'avais prévenue". J'hausse les épaules avec plus de difficultés que je ne le pensais. Elles sont tellement raides qu'on dirait qu'elles sont faites de béton armé.
- Ça va...
Je me redresse pour m'asseoir, du moins j'essais, mais la raideur dans ma nuque se répand jusque dans mes poignets, et plus encore. La douleur se propage le long de ma colonne vertébrale et s'arrête dans le bas de mon dos, dans les hanches.
- Enfin presque.
Seigneur ce que ça fait mal ! Alice se hisse de son fauteuil d'un bond pour venir ajuster l'oreiller dans mon dos, et rehausser le dossier de ce lit d'hôpital inconfortable. Elle a toujours été gentille, mais là j'ai l'impression que c'est un peu trop. Comme-ci elle m'accorder une attention toute particulière. Comme-ci j'étais à l'article de la mort.
- Merci.
Elle esquisse un doux sourire, trop pincé pour être joyeux. Elle a l'air inquiète, et c'est moi que ça commence à inquiéter.
- Je vais aller chercher du café. On en a bien besoin.
Elle jette un dernier coup d'oeil à mon père, glissant une caresse sur son épaule en passant près de lui, puis fini par quitter la chambre. Cette main qu'elle a posée sur son épaule ne me semble pas super rassurante. On dirait qu'elle lui a demandé une seconde fois d'y aller doucement avec moi. Mais pourquoi est-ce qu'il aurait l'intention de m'engueuler au juste ? Je n'ai rien fais, pas vrai ?
- Tu te souviens de ce qui s'est passé ?
Je repose les yeux sur mon père qui a décroisé les bras pour s'appuyer aux pieds du lit. Son regard est tellement froid qu'on dirait que cette chambre vient de se transformer en véritable salle d'interrogatoire. Je vous laisse deviner qui est le suspect et qui est le flic. Je secoue la tête, consciente que je ne peux pas lui dire pour Benjamin. Je ne peux pas lui dire que je l'ai vu. J'ai moi-même du mal à croire que c'était bien réel.
- Une voiture a percutée la tienne. Le conducteur a prit la fuite en laissant le véhicule sur place, c'était une voiture tout juste volée. Sur les caméras des feux, on voit clairement que c'est lui qui t'a rentré dedans en grillant le feu rouge. Il venait certainement de voler la voiture et il a voulu se barrer le plus vite possible.
Merde... je me souviens maintenant. Je suis sortis de la voiture et je suis tombée.
- Dieu merci tu n'as rien. Aucune séquelles. Juste quelques égratignures à cause de la vitre qui a explosée, mais c'est rien de grave.
Je jette un oeil à mes mains par réflexe, mais elles sont intactes. Il parle certainement de mon visage. Je tâtonnes mes joues du bout des doigts et finis par sentir de petites coupures. Ça pique un peu, mais c'est supportable. Ça aurait pu être pire.
- Est-ce que tu as vu le conducteur ? Sur les caméras on le voit te rejoindre, il s'est penché sur toi et après il s'est enfuit en courant. On n'a pas vu son visage à cause de sa capuche, mais peut-être que toi tu l'a vu.
Mon coeur s'emballe en une fraction de seconde. Est-ce qu'il vient de parler d'une capuche ? Est-ce que ce serait...
- Benjamin.
Ma voix résonne jusqu'à mon père, et ça fait mal. C'est douloureux de prononcer son prénom après si longtemps sans l'avoir laissé glisser entre mes lèvres. Ce qui est d'autant plus douloureux, c'est le regard douteux de mon père.
- Pourquoi tu me parle de lui ?
La colère dans sa voix est dure à encaisser. J'ai du mal à savoir si elle m'est destinée ou si elle n'est là qu'à cause de lui.
- Parce que...
Il ne va jamais me croire.
- Parce que je l'ai vu.
Le sang-froid de son regard est lourd à supporter. Et son silence n'est que la confirmation de ce que je redoutais. Il n'y croit pas une seule seconde.
- C'était peut-être lui. Il avait une capuche, peut-être qu'il m'a suivit, peut-être que...
- Peut-être que t'étais juste défoncée et que tu as halluciné.
Quoi ? Putain mais j'ai pas halluciné ! Je suis pas folle, je sais ce que j'ai vu. Je suis sûr que c'était lui. Et il est parfaitement capable d'avoir volé une voiture pour me rentrer dedans.
- J'ai pas halluciné.
- Et tu n'étais pas défoncée non-plus peut-être ?
Ça y est, c'est partit pour l'engueulade ! Je me suis fait rentrer dedans et il arrive encore à m'engueuler, non mais j'y crois pas.
- Tes analyses de sang montrent que t'as pris du cannabis, et en taux élevé ! Putain mais qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez toi, Elena ?
Son hurlement résonne dans ma cage thoracique avec la même violence que lorsque Tom m'a posé cette question.
What the fuck is wrong with you ?
Sa voix résonne encore dans ma tête, comme l'écho d'une balle qui aurait heurtée la partie osseuse de mon crâne.
- J'ai juste mangé des cookies, OK ? J'ai rien fais de mal !
- T'as eu un accident de voiture !
Il frappe le pied du lit avec colère, à défaut de ma frapper moi.
- Et j'y suis pour rien ! C'est Benjamin qui m'a rentré dedans je te signal...
- Oh arrête de me parler de lui pour l'amour de Dieu !
Il délaisse sa position pour se mettre à faire les cents pas comme un lion en cage.
- Putain mais je te mens pas ! Je l'ai vu !
- Ce que t'as surtout vu c'est un mec parmi tant d'autres au milieu de la fête de drogués à laquelle tu étais avant de te retrouver ici !
Alors maintenant il m'accuse de m'être défoncée comme une junkie ? Sérieusement ?
- Tu croyais vraiment que je ne serais pas au courant ?
Aller c'est repartit ! Maintenant il va me traiter comme-ci j'avais quinze ans et que je vivais encore chez lui.
- Je savais que ce Miguel finirait par t'entraîner à une de ses raves party à la con ! Ça t'as pas suffit de te faire violer une première fois, il faut que t'ailles te défoncer pour laisser ce connard recommencer ?
J'en ai le souffle littéralement coupé. Est-ce qu'il est entrain de comparer mon viol à une leçon que j'aurais dû retenir ? Est-ce qu'il a conscience que c'est suffisamment douloureux comme ça pour ne pas avoir à entendre que c'est de ma faute ? Je suis forcée de prendre sur moi pour ne pas hurler au même titre que lui. J'ai eu ma dose de hurlement pour la journée, et j'ai pas l'intention de le pousser à me gifler comme ma mère l'a fait un peu plus tôt.
- La première fois c'était pas Miguel, c'était Benjamin.
J'avale ma salive plus difficilement que je le pensais, ma gorge est obstruée par une boule amer. Une boule de colère et de tristesse. Je dirais même de déception. Je suis tellement déçue et même dégoutée que mon père associe mon viol à une leçon que j'aurais à retenir. Comment un père peut penser comme ça d'une chose aussi horrible qui ait arrivée à sa propre fille ? Parfois j'ai vraiment l'impression que le flic en lui prend le dessus lorsqu'il perd le contrôle, et que ça fait disparaître toutes les émotions qui faisait de lui un bon père.
- Et je me suis pas défoncée, j'ai mangé des putains de cookies.
- Des cookies à la weed, tu parle d'une différence !
Il dérive le regard en passant une main sur son visage, comme-ci il venait de se rendre compte qu'il a perdu son sang-froid. Il essai de se calmer, ça se voit.
- De toute façon on a un problème bien plus gros que ce fils de pute. Il ne reste certainement plus que ses os maintenant, alors c'est pas ça qui va nous emmerder, crois moi.
Je supposes qu'il parle de Benjamin. En revanche, je ne vois pas quel problème peut être plus important que lui. Sérieusement, il est censé avoir disparu depuis plus d'un an maintenant, et je pensais vraiment que le jour où il referait surface mon père voudrait être le premier au courant. Pas qu'il resterait borné au point d'être convaincu qu'il est mort.
- Je l'ai vu, papa. Et c'était tout sauf un tas d'os.
- On réglera ça plus tard, Elena !
Il a fait volte face en hurlant ci fort que j'ai sursautée à même mon lit. Pourquoi est-ce qu'il est autant en colère ? Ce ne sont pas quelques cookies au cannabis qui le rendent aussi enragé quand même ? Il y a quelque chose qui ne va pas. Je ne sais pas ce que c'est, mais il est clairement sur les nerfs. Il est trop inquiet pour quelqu'un qui vient de me dire que je n'avais aucune séquelles. On dirait qu'il me cache quelque chose. Il s'arrête près de la fenêtre en jouant avec la chevalière à son doigt. Celle que je lui ait offerte.
- Je ne savais pas qu'il y avait de la weed dans les cookies, je te le jure.
Il me lance un bref regard par dessus son épaule, mais il est encore trop chargé en amertume pour que le calme soit revenu. Il m'en veut, et je suis sûr que ce n'est pas seulement à cause des cookies. Je jette un oeil à mes bras où une nouvelle perfusion à fait son apparition. Comme-ci j'avais que ça a foutre de l'arracher encore une fois. J'ai tellement l'impression d'être menottée avec ça au bras. Pourquoi il faut toujours qu'ils me foutent une perfusion ? Au moins ils m'ont laissés mes vêtements, signe que je ne suis pas là depuis très longtemps. Je porte une main à ma gorge avec l'intention de jouer avec mon collier pour me rassurer, lorsque le vide de ma peau m'arrache un battement de coeur raté.
- Mon collier... où est passé mon collier ?
Mon père se tourne vers moi au moment où je fouille le lit à la recherche de mon précieux collier.
- Qui me l'a enlevé ?
Je jette un oeil autour de moi, priant pour le retrouver sur la table de chevet.
- Tes affaires sont là.
Je me redresse pour tomber sur mon téléphone et quelques billets qui trainaient au fond de mes poches. Pourvu qu'il soit sur cette table. Je m'accroche à la barre métallique qui porte ma perfusion et me dresse péniblement sur mes pieds. Mes jambes sont complètement endolories, à tel point que je ne sens plus mes orteils. J'ai l'impression de marcher uniquement mes talons. Mais ça ne m'empêchera pas de rejoindre cette table.
- Qu'est-ce que tu fais ? Rallonge toi tout de suite.
Mon père se précipite vers moi au moment où j'atteins la table. Je m'appuie sur le coin en fouillant les objets qui m'appartiennent tous. Mon téléphone, ma carte bancaire, les billets qu'il me restait, il y a même mon trousseau de clés. Celui où la clé de la maison de Tom est accrochée. Mais je n'ai pas le temps de pleurer sur cette pauvre clé qui ne représente plus que le passé, il faut que je retrouve mon collier. Ce qui est totalement ironique car ce collier aussi représente mon passé, et plus encore. Un futur qui n'aura jamais lieu.
- Il n'est plus là.
Je relève la tête vers mon père qui m'attrape par le coude pour me soutenir.
- Mon collier n'est pas là.
- T'as dû le perdre dans l'accident, c'est rien.
Je m'écarte de sa poigne d'un mouvement colérique du coude.
- Non c'est pas rien ! C'est Tom qui me l'avait offert, il faut que je le retrouve.
Je fouille à nouveau sur la table, retournant absolument tout sur mon passage, mais il n'y a rien. Toujours pas de collier.
- Putain mais c'est pas vrai !
La main de mon père s'accroche à mon bras une nouvelle fois, et je suppose que c'est à cause du vertige qui me fait tanguer d'avant en arrière.
- Calme toi, ce n'est qu'un collier.
Ses yeux gris plantés dans les miens me mettent hors de moi.
- Putain mais tu comprends rien !
Je le repousse avec plus de force cette fois-ci, titubant en arrière, m'accrochant à ma perfusion pour ne pas tomber.
- Ce collier c'est tout ce qu'il me reste de lui. Si je l'ai plus alors j'aurais vraiment tout perdu.
Je secoue la tête, les yeux déjà noyés de larmes. La gorge déjà nouée, et la respiration déjà bloquée.
- Je peux pas le perdre... j'ai pas le droit de le perdre...
Le chagrin est revenu. Bien plus vite que je ne le pensais. Et malgré tout mes efforts pour le repousser, mon père me soutient à nouveau, ses mains accrochées à mes épaules.
- Calme toi, c'est rien. Il est sûrement tombé dans la voiture...
- Non, je suis sûr que c'est lui qui l'a prit !
J'acquiesce machinalement, comme-ci ça appuyé considérablement ma version des choses. Mais ça ne me fait passer que pour plus folle encore.
- Il me l'a volé, j'en suis sûr.
Le regard froncé de mon père me confirme qu'il ne me croit pas.
- Non, Elena.
Il secoue la tête en me laissant tenir debout par moi-même.
- Benjamin est mort.
Pourquoi est-ce qu'il refuse de me croire ?
- Non, je l'ai vu !
- Il est mort, Elena !
Il a crié tellement plus fort que moi que si je n'avais pas eu la barre de ma perfusion pour me maintenir debout, je serais certainement par terre. Il me tourne le dos quelques secondes, et je ne supporte pas cette ignorance. Je déteste qu'il me tourne le dos en pleine engueulade, parce que ça veut dire que c'est moi qui l'énerve. Que me voir le met hors de lui. Alors que pour une fois bordel j'ai rien fait pour mériter cette colère !
- J'ai pas halluciné, OK ? C'est pas les deux cookies que j'ai bouffé qui m'ont fait voir Benjamin putain ! Je l'ai pas inventé, merde !
Il fait volte face, un doigt accusateur levé vers moi.
- Ce n'est pas parce que tu l'a vu qu'il était bien là, Elena !
Il est vraiment obstiné, c'est pas possible ! Comment il peut douter de moi à ce point ? Et sur un sujet aussi important que ce connard !
- Pourquoi tu refuse de me croire ?
- Mais parce que t'es aveuglée par la colère !
Pardon ? Aveuglée par la colère ? Putain mais je suis pas en colère ! Enfin... non, je suis pas en colère. Je suis juste... triste. Bon OK, je suis peut-être un peu en colère aussi, mais c'est pas pour ça que je suis devenue aveugle au point à imaginer que Benjamin se balade dans Paris.
- Aveuglée ? Et en quoi je suis aveuglée exactement ? Je n'ai rien fait qui vaille la peine de me faire engueuler comme une gamine de quinze ans putain ! Tu voulais que je reste en vie, non ? T'avais peur que je me foutes en l'air une nouvelle fois, et alors que je me tue à rester en vie, tu arrive encore à me faire la morale ?
Sa mâchoire se serre, et pourtant il reste silencieux. Mais je vois bien dans son regard qu'il a envie de me hurler dessus. Et dans ma tête, cette phrase que je viens de prononcer résonne comme un murmure. Je me tue à rester en vie. C'est littéralement ce qui se passe en ce moment. Je me tue à rester en vie. Je crèves de chagrin, de colère et pourtant je suis toujours là, à respirer, à réfléchir, à pleurer. Comment on peut être en vie et se sentir mort ? C'est là que je comprends qu'être en vie, ça ne veut pas dire se sentir vivant. Exister, ce n'est pas vivre. Et putain il aura fallu que toute cette merde m'arrive pour que je le comprennes.
- Putain mais tu veux quoi de plus, merde ? Je suis revenue ici parce que sans Tom j'ai plus rien ! Et toi tu me fais regretter de ne pas m'être jetée dans la Tamise !
Ses yeux habituellement froids s'enflamment de colère. À tel point que leur couleur grise s'estompe sous le rouge de leur rétines.
- Et en quoi ça t'aurait avancée de te jeter dans la flotte hein ? Tu n'arrête pas de dire qu'on ne comprend rien, mais c'est toi qui refuse de comprendre, Elena !
Son doigt accusateur repointe le bout de son nez, et son regard est plus que colérique, il est inlassablement déçu. Comme-ci je n'étais toujours pas digne de confiance. Comme-ci tout ce que je fais ne lui inflige que déception et colère.
- Avant on s'inquiétait de te voir foutre ta vie en l'air avec un dealeur, et lorsque t'a finalement rencontré Tom, pendant un moment on a pensé que tu avais enfin trouvé quelqu'un de bien. Et puis il t'a foutu en l'air, on a failli te perdre pour de bon et il a fallu que je te laisse y retourner. T'es partis avec lui, t'avais l'air heureuse et je me suis même dit que peut-être j'avais eu tors à propos de lui. Que peut-être c'était un homme bon pour toi.
Il laisse sa main retomber lourdement le long de son corps, et pouffe d'un rire méprisant.
- Mais regarde toi aujourd'hui. T'es encore revenue complètement en miettes. Il t'as encore abandonnée, à croire que tu n'as vraiment aucune importance pour lui. Tu vois... Benjamin était le pire des fils de putes, mais avec lui au moins on savait à quoi s'attendre. On voyait clair dans son jeu, on savait qu'il n'était pas bon pour toi.
Il secoue la tête, donnant de l'intensité à son sermon.
- Mais Tom est un acteur tellement doué qu'il a réussi à nous berner ta mère et moi. Et le pire dans tout ça c'est qu'il t'as bernée toi. Il t'as fait miroiter une vie de rêve, t'as empêchée de suivre ta propre voie, et tout ça pour quoi ? Pour te laisser tomber au premier connard qui essaierai de prendre sa place ?
Il lève les mains au ciel, comme pour me dire "mais à quoi tu t'attendais au juste ?". Et il n'a pas totalement tors. Les étoiles que Tom m'as mises dans les yeux m'ont empêchés de voir le gouffre dans lequel je suis entrain de tomber.
- Et maintenant il te reste quoi ? T'es yeux pour pleurer. Il t'as fait passer dans toute la presse à scandale pour une putain de profiteuse, Elena ! À cause de lui, t'as plus aucune confiance en toi, plus aucune envie de vivre ! Et ça c'est pas de l'amour, d'accord ? Rendre quelqu'un dépendant au point à en oublier comment penser, comment respirer, comment vivre... c'est pas de l'amour, Lily. C'est de l'asservissement. Tout ce dont il avait besoin c'était un jouet, quelqu'un prêt à s'abandonner entièrement pour lui, et c'est ce que tu a fais. Mais t'es allais trop loin là. Tu t'ais tellement perdue que même nous on n'arrivent plus à te retrouver. Comment... comment tu peux penser une seule seconde que ça ressemble à de l'amour ?
Je secoue la tête, résignée à ne pas accepter ça. Je sais que c'est de l'amour. Je le sens au fond de moi. J'ai jamais ressentis ça pour personne, et encore moins pour Benjamin. Je ne suis pas esclave de son amour, je suis... Je suis juste... j'en sais rien, mais je sais qu'il m'aime. Ou du moins qu'il m'aimait. Qu'il m'a aimé à un moment, peut-être éphémère, mais je sais qu'il m'a aimé. Je sais qu'il y a eu de l'amour entre nous. Je le sais.
- Non... je l'aime. C'est de l'amour, je le sais.
- Pour toi peut-être. Mais pas pour lui. Ouvre les yeux bon sang !
Il m'attrape les épaules pour me secouer si fort que je me rattrape à la table pour ne pas tomber. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression qu'il me prend pour une dingue ? Pour une schizophrène bonne à enfermer. Je le repousse en m'aidant de ma perfusion pour rester debout.
- Mais ils sont grands ouverts putain ! Et je l'aime, papa ! À en crever, que ça te plaise ou non ! Et c'est pas parce que toi t'es capable d'aimer personne que c'est le cas de tout le monde ! C'est sûr que lorsqu'on regarde la façon dont tu a traité maman on comprend tout de suite ce que c'est que l'amour !
Je vois dans le regard de mon père s'ouvrir un peu plus, comme-ci je venais de le gifler, et je suppose que c'est l'effet qu'on eu mes mots sur lui.
- Tom n'est peut-être pas parfait... mais jamais, au grand jamais il ne m'a traité comme tu a traité maman. Comme-ci elle n'était bonne en rien, comme-ci tout ce qu'elle faisait, absolument tout n'était que de la merde ! Tu es peut-être un bon flic, parfois un bon père... mais t'as vraiment été un mari de merde, et tu le sais. Si tu avais arrêté de penser qu'à ta gueule juste une minute, alors peut-être que t'aurais compris qu'elle t'aimait comme une folle ! Peut-être que t'aurais compris qu'elle s'est sacrifiée pendant des années, qu'elle s'est oubliée juste parce qu'elle t'aimait ! Si ce que je ressens pour Tom c'est pas de l'amour, alors ce que t'a fais ressentir à maman c'est pas mieux. T'es vraiment pas un exemple en matière d'amour, alors s'il te plaît... arrête de croire que tes conseils vont me sortir de cette merde, parce que ça ne m'aide pas du tout.
À peine ma phrase achevée, je vois dans son regard toutes les fissures que je viens de provoquer. Et je jurerais que ses yeux sont noyés de larmes. Mais il a toujours été très doué pour les retenir. Plus doué que moi du moins. La dernière fois qu'il m'a regardé comme ça, c'était dans une chambre identique à celle-ci, après que je me sois ouvert le bras. Et là j'ai l'impression que c'est lui qui est ouvert. Que je viens d'ouvrir sa poitrine en deux.
- J'ai peut-être été un connard avec ta mère...
Il secoue la tête en baissant les yeux, ce qui n'est pas son habitude, et je comprend que c'est pour ne pas me faire voir que ses larmes ont débordées.
- Mais je l'ai jamais laissée tomber alors qu'elle te portait dans son ventre.
Il relève la tête, les yeux rouges. Le regard lourd d'une tristesse que j'ai causée, et dont je ne me pardonnerais certainement pas de si tôt.
- Pas comme ton acteur bidon.
Un énorme coup me frappe en pleine poitrine, et j'ai l'impression d'étouffer pendant de longues secondes, ce qui suffit à mon père pour me bousculer et rejoindre la porte.
- Attend, ça veut dire quoi ça ?
Je me tourne vers lui au moment où il ouvre la porte, et contre toute attente il s'arrête, mais ne pose pas les yeux sur moi. Il garde le dos tourné, et ça me blesse au plus haut point. J'ai l'impression de ne plus être digne de son regard.
- Ça veut dire que t'es enceinte, et toute seule par dessus le marché.
Sa voix résonne dans ma tête comme l'écho d'un hurlement en pleine montagne. Ça vibre dans mon cerveau. Et je n'ai pas le temps de réaliser ce qu'il vient de dire, ou même d'ouvrir la bouche que la porte se claque derrière lui. Jetant un silence tellement lourd dans la pièce que je suis forcée de m'accrocher à ma perfusion pour ne pas m'écrouler. Mes jambes refusent de me soutenir. J'ai tout juste le temps de me tenir au lit qu'elles se mettent à trembler, au même titre que mes mains. Je tombe à genoux, aux pieds de ce lit d'hôpital, au milieu de cette chambre sinistre. Et le silence est vite brisé par mes sanglots. Je ne les contrôles pas. Je ne contrôle plus rien du tout. Tout mon corps tremble comme-ci un violent séisme c'était glissé dans mon cerveau pour en prendre le contrôle, et je suis incapable de bouger. Je ne peux même pas me relever, et reste agenouillée sur le sol froid, mes larmes comme seule source de chaleur. Mes sanglots comme seuls murmures au milieu de ce silence froid et douloureux. J'ai l'impression qu'un torrent d'émotions m'a heurté de plein fouet. Je peux toutes les ressentir. La peur. La solitude. La tristesse. La douleur. J'ai mal. Tellement mal. Et en même temps, j'arrive quand même à ressentir de l'amour. De la joie. De l'espoir. Je n'ai aucune idée de comment gérer ça, toutes ces émotions en même temps. Je ne sais pas comment faire et je suis toute seule.
Putain de merde... je suis enceinte. Et je suis toute seule. C'est tellement ironique.
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Unexpected 2 [FR/EN]
Fanfic"- Elena, don't fucking do this !" Et nous y revoilà, encore une fois mon prénom accentué à la Britannique me retourne l'estomac. Mais cette fois ce n'est pas à cause de son accent, mais à cause de la raison pour laquelle il me court après en hurla...