Chapitre 33

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- Why you didn't tell me ?
Je redoutais cette question depuis le jour où je me suis ouvert le bras. J'ai toujours su que ce serait encore plus difficile de lui dire que de planter ce morceau de verre dans ma peau. Je garde les yeux rivés droit devant moi, parce que je n'ai pas la force de croiser son regard. Je sais déjà comment il me regarde en ce moment. Avec cet air de chien battu qu'il a lorsqu'il est déçu. J'ai pas envie de lui répondre. J'ai pas envie d'en parler maintenant, putain.
- You should have told me.
Je lui lance un regard noir, parce que c'est plus fort que moi.
- Maybe, but it doesn't matter now.
Son regard se fronce aussitôt, et je jurerais que la déception a laissé place à de la colère.
- What ? Of course that matters. We have to talk about it, Elena.
Oh ça y est, il a repris ce ton insupportable.
- Why ? Why do you care now ?
Il garde le silence pendant de longues secondes avec un air choqué scotché au visage.
- Maybe because I love you...
- Oh arrête avec ça, putain !
Je jette un œil à la porte en me rendant compte que j'ai haussé le ton un peu plus que prévu.
- If you really loved me you would never cheat on me.
- It's not fucking about ! We're talking about you, about what you did. You fucking wanted to die. You tried to kill yourself, we have to talk about it, whether you like it or not !
Lui aussi se met à me crier dessus maintenant, non mais super !
- You cheated on me and you really hope we'll talk about my desire to die now ? Do you think this is a good time to put this idea in my head again ?
Ses sourcils se fronces légèrement, et il en perd enfin l'usage de la parole.
- Because the first time you weren't here, that's why I did it. But just because you pointed your pretty ass here doesn't mean I can't do it again in front of your eyes. So some advice... stop bothering me with this.
Je le laisse faire genre d'être choqué et repose les yeux droits devant moi, parce que l'envie de gifler son joli visage est en train de me reprendre.
- Are you seriously saying you can do it again ?
Bon... à défaut d'avoir compris que je voulais pas en parler, il a au moins compris ça.
- Ouais, c'est exactement ce que j'essaie de te dire.
Je ne pose pas les yeux sur lui, bien trop énervée pour affronter son regard.
- But why you don't want to talk about it ?
- Because we're not fucking together anymore, Tom ! That means it's none of your business ! End of discussion !
Son visage se décompose, et il n'a pas le temps de dire quoi que ce soit qu'une silhouette apparait à la porte.
- Madame Martin ?
On lève la tête d'un même mouvement pour tomber sur une trentenaire qui nous scrute de ses yeux bleus. Elle nous adresse un sourire rayonnant qui contraste carrément avec celui de la femme qui nous a accueilli. Je me lève sans même jeter un œil à Tom qui m'a fait perdre le calme que je m'étais efforcé de garder pour ce rendez-vous.
- Bonjour.
Elle me tend sa main, que je sers nerveusement de mes doigts tremblants, en essayant de lui rendre son sourire. Puis, elle se tourne vers Tom, posté derrière moi et lui tend sa main à son tour.
- Bonjour Monsieur.
Tom lui serre la main avec un sourire pincé qui attire mon regard.
- Bonjour Madame.
L'entendre parler français me retourne le cerveau, je vous jure. Il pose les yeux sur moi en reprenant sa main, et je détourne immédiatement les yeux. Je peux pas le regarder sans voir la déception dans son regard. Et pendant un moment, j'ai l'impression d'avoir inversé les rôles. L'impression que c'est moi qui l'aie trompé cette fois-ci.
- Allez-y, entrez.
Je passe devant, suivit de près par Tom, lorsque la sage-femme désigne les chaises pour qu'on s'installe. Je m'assois sur la chaise de gauche, Tom sur celle de droite. Le bureau est plutôt grand, enfin la pièce, je veux dire. Au fond, sur notre droite, il y a une table d'examen, à moitié caché par un auvent couleur pistache.
- Bien, comment allez-vous pour commencer ?
Je pose les yeux sur Mme Levy qui s'est installé derrière son bureau, face à nous.
- Heu... très bien.
Elle pose les yeux sur Tom qui me jette un œil, parce qu'il n'a définitivement pas compris la question.
- Lui aussi, il va bien. Excusez-le, il... il ne comprend pas le français. Il ne parle que l'Anglais.
Elle hausse les sourcils avec une surprise dont j'ai l'habitude maintenant.
- Oh... OK, très bien. Mon anglais est un peu rouillé mais...
- Je me chargerais de la traduction.
Elle acquiesce en posant les yeux sur un carnet de notes devant elle.
- Bien, parfait. Vous avez déjà eu rendez-vous avec une sage-femme ou c'est la première fois ?
Lorsqu'elle relève les yeux vers nous, je peux déjà sentir le regard de Tom posé sur moi, dans l'attente d'une traduction qui n'arrivera jamais.
- J'ai déjà vu une infirmière, aux urgences. J'ai perdu du sang, mais apparemment c'était pas grave.
Elle note quelques mots sur son carnet et je dois avouer que c'est un peu stressant.
- Le col n'était pas ouvert ?
Je secoue la tête en jetant un bref coup d'œil à Tom qui me dévisage d'un regard froncé qui me met super mal à l'aise.
- Non, tout allait bien.
Elle acquiesce en notant à nouveau sur son calpin.
- Un épisode de stress peut-être ?
Mon cœur rate un battement. Je revois parfaitement Zendaya hurler qu'ils ont couché ensemble. Ma main s'abattre sur le visage de l'homme que j'aime. Puis Tom se déchaîner sur Timothée. Ma tête acquiesce doucement, et la sage-femme se remet à noter.
- OK, on va commencer par quelques petites questions, et après j'irais vérifier si le col est bien fermé, ça vous va comme ça ?
Elle relève la tête vers nous avec un sourire rassurant qui fait effet immédiatement. J'acquiesce à nouveau, lorsqu'elle jette un bref regard à Tom qui semble totalement perdu. Comme-ci il venait d'être parachuté dans cette pièce.
- Vous savez à combien de semaines vous en êtes ?
Heu... alors ça c'est une très bonne question. Je me souviens que fin février Tom et moi on était encore à Londres, et que l'hôpital m'a appelé pour me prévenir que je n'avais plus de contraception, donc la grossesse pourrait remonter de quelques jours auparavant, à l'avant-première de Cherry. Le mois d'Avril n'a commencé que depuis trois jours, donc je suis certainement à environ un mois et demi ? Non ? Merde j'en ai aucune idée moi !
- Un peu plus d'un mois, je crois.
- Vous avez la date de vos dernières règles ?
Bordel mais c'est quoi cette question ? Je jette un œil à Tom qui bien entendu ne me donnera jamais la réponse.
- Non, je... je ne m'en rappel pas.
Il s'est passé bien trop de choses entre l'avant-première de Cherry et aujourd'hui pour que je me rappelle la dernière fois où j'ai passé la semaine avec des crampes d'estomac à me vider de mon sang.
- OK, on vérifiera ça avec la prise de sang.
La prise de sang ? Ah non mais j'ai pas envie de passer mon temps à me faire piquer moi !
- Est-ce que vous consommez de l'alcool ?
- Non.
Je secoue la tête, ne me souvenant même pas de la dernière fois où j'ai bu un verre.
- De la drogue ?
- Non-plus.
Cette fois, en revanche, je me souviens parfaitement la dernière fois où j'ai pris de l'ecstasy sans mon consentement.
- Vous fumez ?
- Non.
Elle lève les yeux de son calpin en jetant un œil à Tom.
- Est-ce que le papa fume ?
- Heu... non.
Elle vient de dire... le papa. Fuck ! Je ne m'habituerais jamais à ça. Et puis, en passant, je n'ai jamais vu Tom fumer, en dehors d'un plateau de tournage, je veux dire. Je pose les yeux sur lui pour le surprendre à me dévisager avec un regard nerveux, comme un enfant qui aurait fait une connerie et qui attend de connaître sa punition. On dirait un élève dans le bureau du proviseur, je vous jure. C'est trop mignon, malgré le fait qu'il faut que je m'abstienne de trouver quoi que ce soit de mignon chez lui.
- Est-ce qu'il y a des antécédents dans votre famille ? AVC, phlébites peut-être ? Ou même cancer du sein, du col de l'utérus ?
Waouh, ça va trop vite pour moi là. Si j'avais parlé à ma mère de cette grossesse elle m'aurait certainement expliqué quoi répondre à ça, mais puisque je suis stupide, il faut que je me démerde toute seule.
- Et bien...
Je me gratte derrière l'oreille dans un tic nerveux que je ne peux pas contrôler.
- Non, enfin... je ne crois pas. J'en sais rien, en fait.
Elle lève la tête vers moi et m'adresse un doux sourire qui apaise mon angoisse.
- C'est pas grave, vous en fait pas. On en reparlera au prochain rendez-vous, vous aurez le temps de vous renseigner dans votre famille.
Le prochain rendez-vous ? Super... j'avais oublié que je vais devoir faire ça encore plusieurs fois avant de... bordel, je veux pas imaginer la fin de cette grossesse. Je ne suis clairement pas assez forte pour endurer un accouchement. Je n'ai déjà pas été foutu de supporter un mois séparé de Tom sans m'ouvrir les veines alors mettre au monde un bébé... oh la vache, je vais tourner de l'œil.
- OK, on va pouvoir regarder le col maintenant.
Et merde... ça non-plus, je ne suis pas sûr de pouvoir l'endurer régulièrement les huit prochains mois.
Elle pose son stylo et se lève de sa chaise, tandis que je sens la panique s'infiltrer dans mes veines comme un courant électrique.
- Heu... il faut que je me déshabille ?
Ses yeux bleus me retombent dessus, et je sens Tom me regarder lui aussi, avec la même panique que moi au fond des yeux.
- Juste le bas, ça ira.
Elle quitte son bureau, tandis que je sens l'adrénaline me gonfler les veines, glisser dans mes avant-bras pour rejoindre mes poignets et me raidir les mains. J'échange un regard avec Tom qui s'est entièrement tourné vers moi avec un air pas rassuré du tout.
- Is there something wrong ?
Je jette un œil à la sage-femme qui prépare la table d'examen, avant de me lever à mon tour en posant mon sac sur la chaise. Je retire mon manteau en croisant le regard de plus en plus nerveux de Tom.
- It's nothing, just an exam.
Il acquiesce légèrement, avant de me voir retirer mes chaussures et déboutonner mon pantalon. Son regard me tombe immédiatement dessus, et la panique est revenue.
- Do I have to come ? Are we going to see the baby ?
Je secoue la tête, brusquement super mal à l'aise de me déshabiller devant lui.
- No, it's not to see the baby. You can stay here.
Son regard se fronce, comme-ci il doutait de ce que je dis. Je jette un œil à la sage-femme qui m'attend patiemment.
- Heu... est-ce que je peux me déshabiller derrière le auvent, s'il vous plaît ?
Elle hausse les sourcils, et je jurerais qu'elle est surprise, décontenancée par cette demande.
- Oui, bien sûr.
Je jette un dernier regard vers Tom qui me dévisage sans comprendre ce qui se passe, avant de passer près de lui. J'ai pas envie de me déshabiller devant lui. J'ai pas envie qu'il me voit nue. Pas même pour un examen. Enfin, c'était sans compter sur sa main qui s'accroche à mon poignet comme un harpon s'accrocherait dans l'aileron d'une baleine.
- Wait.
Je m'arrête sur le champ, surprise par la chaleur de ses doigts sur ma peau.
- You don't want me to come ? To hold your hand or something...
- Non !
Il a un mouvement de recul, ce qui me fait prendre conscience que j'ai peut-être un peu haussé le ton. Il retire sa main de mon bras, et j'en profite pour prendre de la distance. Ça me brise le cœur de le laisser de côté comme ça, mais j'ai pas envie de lui donner l'occasion de me voir nue à nouveau, pas après ce qu'il a fait.
- Just stay here. Please.
Ce dernier mot est suppliant, et étrangement il semble comprendre ou du moins avoir compris pourquoi je ne veux pas qu'il vienne. Il baisse immédiatement les yeux, et louche quelques secondes sur mon pantalon ouvert, avant que je ne l'arrête en m'écartant de son champ de vision. Je rejoins la sage-femme qui me laisse me déshabiller à l'abri des regards, ou du moins d'un seul regard. Je m'allonge sur la table d'examen, pas super à l'aise d'avoir les jambes écartées devant une inconnue.
- Je vais commencez, vous me dite si je vous fais mal.
J'acquiesce en me crispant malgré moi. Pour ma défense, cet examen n'a rien d'agréable, mais Dieu merci elle fait vite.
- Bien, le col n'est pas ouvert, aucune raison de s'inquiéter.
Elle retire ses gants qu'elle jette aussitôt.
- Les pertes de sang n'était certainement dûes qu'au stress.
Je me relève pour me rhabiller aussi vite que je peux, tandis qu'elle replie le auvent, me laissant voir Tom à nouveau. Il a gardé la tête baissée, et ça m'attriste de le voir comme ça. Je rejoins ma place, mais la sage-femme m'interpelle avant que j'aie le temps de m'asseoir.
- On va enchaîner sur l'échographie de contrôle, si vous le voulez bien.
Je baisse les yeux vers Tom qui me dévisage déjà, certainement en attente de traduction.
- We'll be able to see the baby.
Il hoche la tête en dérivant rapidement le regard, étonnamment je jurerais qu'il est énervé, qu'il m'en veut.
- And can I come this time ?
Son regard me retombe dessus avec une lourdeur qui confirme mon hypothèse.
- Yeah, sure.
Il se lève, et c'est à voir son visage d'aussi près que je me rends compte qu'il n'y a même pas un mètre de distance entre nous.
- What was the exam for ? What did she say ?
Je déglutis difficilement, parce qu'il est compliqué de lui expliquer ce qu'elle a vraiment fait. C'est bien trop gênant, même pour lui.
- She just looked around to see if everything was alright. And it was.
Son regard se fronce, et d'aussi près, la couleur de ses yeux me paraît plus sombre que dans mes souvenirs.
- And why didn't you want me to come ?
Comment lui dire ? Je suis sûr qu'il connait déjà la réponse de toute façon.
- I didn't want you to see me naked.
Ses lèvres s'entrouvrent, comme-ci il s'apprêtait à rétorquer, mais il n'a finalement rien à dire. Il se contente donc de baisser les yeux d'un air déçu, mais pas déçu de moi, déçu de lui-même. J'en profite pour retourner m'installer sur la table d'examen à côté de la sage-femme qui a déjà allumé l'écran de son appareil. Mon cœur s'emballe déjà, alors qu'il n'y a rien d'affiché encore. J'ai peur, pour ne rien vous cacher. Peur de voir que le fœtus a évolué, que c'est du concret, qu'il n'y a plus aucun retour en arrière.
- Alors comme ça le papa est Américain ?
Je pose les yeux sur la sage-femme qui nous scrute tour à tour avec un sourire radieux. Le papa... bordel, faut qu'elle arrête de dire ça.
- Non, en fait il est Anglais.
Je jette un œil à Tom qui s'est posté aux pieds du lit, les yeux rivés sur l'écran de l'échographe. La nervosité dans son regard est décelable à des kilomètres. Ses mains sont jointes devant lui, comme-ci il se forcé à rester sérieux, presque solennel, pour ne pas céder à ses émotions. Sa mâchoire est serrée, tout son visage est crispé, et j'ai même l'impression de voir ses yeux briller. Si on ne se trouvait pas en ce moment-même dans cette salle tous les deux, je pourrais penser qu'il s'apprête à enterrer quelqu'un. C'est vraiment glaçant. Et le pire, c'est qu'il semble seul face à cette peine, à cette angoisse, alors que je suis là, juste devant lui.
- C'est formidable, bébé aura donc un mélange de culture.
Je repose les yeux sur la sage-femme, décontenancée par l'allure de Tom, et me contente d'acquiescer, incapable de savoir ce qu'elle vient de dire.
- Bien, vous pouvez relever votre T-shirt, et déboutonner votre pantalon. Je vais principalement me focaliser sur le bas du ventre vu la précocité de la grossesse. Le fœtus est encore trop petit pour arriver à hauteur du nombril.
Elle ponctue son explication d'un doux sourire. Je ne sais pas si cette femme à des enfants, mais si c'est le cas, je suis sûr que c'est une mère formidable tellement son sourire est rassurant. Tout le contraire de moi quoi.
- Vous pouvez vous asseoir aux pieds du lit, ce sera plus confortable que de rester debout.
Je jette un œil à Tom qui pose les yeux sur moi, semblant n'avoir rien comprit. Je décale mes pieds pour lui laisser de la place, et c'est en me voyant faire qu'il finit par comprendre. Il s'installe à côté de mes jambes, et le voir aussi proche de moi ça me met mal à l'aise. Et ça semble être pareil pour lui, si je m'en tiens au fait qu'on s'évite tous les deux du regard.
- Vous pouvez relever votre T-shirt s'il vous plaît ?
Oh merde, j'avais oublié ce détail. Je relève mon haut jusqu'en dessous de ma poitrine, attirant immédiatement le regard de Tom sur mon ventre. C'est super gênant. Je suis consciente qu'il a un peu gonflé, mais pas au point à ce qu'il en soit aussi surpris. Quoi que...
- Je vais commencer, attention ça va être froid.
Elle dégaine un tube de gel pour m'en badigeonner le ventre.
- Ahhh !
Bordel de merde, c'est froid ce truc ! J'ai à peine le temps de me faire au gel glaçant qui m'anesthésie le ventre que la main de Tom glisse sur la mienne.
- Does it hurts ?
La chaleur de sa main attire toute mon attention, j'en oublie même que la sage-femme a déjà posé son appareil sur mon ventre. Je secoue la tête pour lui répondre, lorsque ses doigts se serrent autour de ma main. Pendant de longues secondes, je suis absorbée par ses yeux presque noirs, assombris par le manque de lumière. Je n'avais même pas remarqué que les stores sont fermés. C'est la froideur du fil qui relie l'échographe à l'écran et qui passe sur mon bras qui me sort de ma contemplation. Je lève les yeux vers l'écran où ce qui est visible est à peine compréhensible. La sage-femme gèle l'image, comme-ci elle avait mis sur pause.
- Le bébé est juste là.
Elle désigne les contours d'une petite tache blanche, et je sens immédiatement les doigts de Tom serrer ma main. Je lève les yeux vers lui pour le retrouver scotché sur l'écran, la bouche à demi ouverte, comme-ci sa mâchoire ne tenait plus toute seule, les yeux grands ouverts, comme ceux d'un gamin dans un magasin de jouer la veille de Noël. Ses yeux brillent tellement que pendant quelques secondes, je jurerais y voir des étoiles. Cette fois, c'est moi qui serre sa main, subjuguée par l'émerveillement dans son regard. Ça le rend tellement beau.
- Oh... he looks like Casper the little ghost.
La sage-femme me jette un œil, comme pour avoir la traduction.
- Il a dit... qu'on dirait Casper, le petit fantôme.
- Oh...
Elle repose les yeux sur l'écran avec un sourire amusé.
- C'est vrai, il n'a pas tort.
Je pose moi aussi les yeux sur l'écran où effectivement, la tâche blanche censé représenter notre bébé à l'aspect d'une petite virgule, un peu comme Casper.
- En tout cas, tout m'a l'air normal, il semble très bien accroché, ce qui est une bonne nouvelle.
Je serre les doigts de Tom, et lève les yeux vers lui en m'en rendant compte. Il a déjà les yeux rivés sur moi, avec un air nerveux, nettement moins émerveillé.
- Everything is fine, the baby is OK.
Le soulagement dans son regard m'apaise instantanément. Pendant ces quelques secondes de calme, j'ai l'impression d'avoir fait un bond dans le passé, comme-ci il n'avait jamais rien fait de mal. Mais son regard retombe brusquement sur la sage-femme, avec un air nerveux qui a fait son apparition aussi vite qu'une étoile filante traverse le ciel un soir d'été.
- Is there only one ?
Mon cœur s'arrête à la seconde où il a terminé sa phrase. Pourquoi est-ce qu'il demande s'il y n'en a qu'un ? Putain il n'est pas sérieusement en train de parler du bébé ? Dite moi qu'il ne vient pas d'émettre l'hypothèse que je porte des jumeaux !
Je pose les yeux sur la sage-femme, à qui je m'empresse de traduire, non sans une certaine panique que je ne peux pas contrôler.
- Il... il demande s'il n'y a qu'un seul bébé.
J'avale difficilement ma salive en serrant la main de Tom dans la mienne de manière incontrôlable. Je vous jure que si elle me dit qu'il y en a actuellement deux, je lui brise les doigts.
- Oh parce qu'il y a des jumeaux dans votre famille ?
Putain de merde...
- Dans la sienne, oui. Ces deux petits-frères sont jumeaux.
Le regard de la sage-femme s'agrandit instantanément, tandis qu'elle reprend son appareil sans un mot pour appuyer son mon ventre, cherchant dans tous les sens possibles. Ça ne m'a pas l'air très rassurant cette réaction.
- Et bien on va regarder ça tout de suite.
Elle tâtonne à droite, puis à gauche, au milieu, puis encore à droite et fini une fois de plus par la gauche, et tout ça dans un silence de mort. Bon sang, je ne suis pas du genre à croire en Dieu, mais là je vous jure que je vais me mettre à prier tous les Dieux possibles pour qu'elle ne me sorte pas que je suis actuellement enceinte de jumeaux. Pourquoi est-ce qu'il a fallu que j'oublie ce détail ? Sérieusement, pourquoi est-ce qu'il a deux frères jumeaux lui aussi bordel de merde !
La sage-femme grimace, avant de secouer la tête.
- Non, je n'en vois qu'un.
La pression dans ma cage thoracique s'évanouie dans la seconde, et ma tête retombe lourdement contre la table d'examen. Bon sang... elle m'a fait flipper.
- Du moins pour l'instant.
QUOI ? Je relève immédiatement la tête en broyant littéralement les doigts de Tom dans le creux de ma main, mais ce dernier n'a pas l'air de le ressentir. Et c'est certainement parce qu'il ne comprend absolument rien, et que la panique n'a donc pas eu le temps de redescendre pour lui.
- À ce stade de la grossesse il est possible de voir s'il y a deux embryons, mais il arrive parfois que l'un deux soit caché derrière l'autre, et on le découvre que bien plus tard.
Mon regard s'agrandit à son maximum, et se pose sur Tom que je dévisage avec l'envie insatiable de l'étriper.
- What ? What's wrong ? Is there twins ?
- Pour ma part, je ne vois qu'une seule poche, et qu'un seul embryon, mais on va écouter le cœur pour être sûr qu'il n'y en ait pas deux.
Je repose les yeux sur la sage-femme, surprise qu'on puisse déjà entendre son petit cœur en train de battre. Tom serre ma main, avec la même nervosité que moi, tandis que la sage-femme appuie déjà sur mon ventre, avant de mettre le son en route. Mon propre cœur s'emballe, au moment exact où Tom pose sa seconde main sur la mienne pour la recouvrir entièrement. Je lève les yeux vers lui, sous les battements rythmés du cœur de notre bébé. Et croyez-moi ou non, il n'a jamais été aussi beau qu'à cet instant précis. Et malgré toute la haine que j'ai pu ressentir, la colère, la tristesse... là, à le regarder s'émerveiller devant les battements de cœur de ce bébé, je sens tout l'amour que j'ai pu ressentir pour lui m'envahir tel un tsunami inattendu. Ce qui est ironique lorsqu'on s'aperçoit que les battements de cœur ressemblent étrangement au bruit des vagues, nettement plus accélérés.
- Je n'entends qu'un seul cœur.
Je serre la main de Tom, et attire son regard sur moi, sans même poser les yeux sur la sage-femme qui vient de m'infliger une vague de soulagement énorme.
- There's only one baby.
Lorsqu'il pose les yeux sur moi, ses prunelles brunes sont noyées de larmes, et ça m'inquiète aussitôt. Comme-ci le tsunami d'amour s'était transformé en un ouragan d'inquiétude.
- What's wrong ? You're disappointed ? You wanted twins ?
Il fronce les sourcils l'espace d'une seconde, avant de secouer la tête, laissant quelques larmes lui échapper, et rouler sur ses joues.
- No...
Ses lèvres esquissent un bref sourire, trop bref pour n'être que seulement heureux. Il attire ma main à sa bouche pour déposer un baiser sur mes phalanges.
- I'm just happy to be here.
Il sourit encore, mais d'un sourire qui semble si triste que mon cœur se serre de chagrin.
- And I'm so sorry...
Sa voix se brise, ses paupières se ferment et il appuie ma main contre son front dans un sanglot d'une violence inouïe. Je me redresse en un quart de seconde, ne laissant pas le choix à la sage-femme de retirer son truc de mon ventre.
- Hey, ne pleure pas.
De ma main libre je glisse mes doigts à l'arrière de sa tête, et au contact de ses boucles, leur douceur m'électrifie. Ça m'avait tellement manqué de toucher ses cheveux.
- I'm so sorry baby...
Je caresse son crâne en essayant de croiser son regard, mais il garde les yeux clos, cachés derrière nos mains entrelacées. Je ne supporte pas de le voir comme ça. C'est plus fort que moi, malgré tout ce qui nous sépare depuis des semaines maintenant, je l'attire à moi pour le serrer dans mes bras. Il enfouie sa tête dans mon cou, et j'en fais autant près de sa nuque. L'odeur de sa peau, la douceur de ses cheveux qui caresse mes pommettes, sentir la chaleur qu'il dégage contre moi... bordel... ça n'a pas de prix. Et ça efface tout. Pendant de longues secondes, ça efface tout. Tout le mal qu'il m'a fait. Et ça fait du bien. Ça m'avait manqué. Il m'avait manqué... tellement putain.
- I love you.
J'ai senti ses lèvres se mouvoir sur ma peau, et son souffle chaud y déposer une fine couche de buée. Sa voix résonne dans mon tympan, comme un écho lointain. Comme un souvenir.
- Je sais... je sais.
J'ai répété ça comme pour m'en convaincre. Parce qu'une partie de moi le sait, mais une autre refuse de le croire. Et aussi, et surtout, parce que je suis incapable de lui répondre que moi aussi. Je n'arrive plus à le dire. Je peux pas lui dire que je l'aime aussi. Ce serait comme le pardonner, comme m'avouer vaincue. Et je veux pas. Ça fait trop mal rien que d'y penser.
Il s'écarte de moi, si doucement que je sens sa joue glisser le long de la mienne. Il plante son regard dans le mien, si proche de moi que je sens la chaleur de son souffle tomber sur mes lèvres. Mon cœur se met à trembler, ça fait trop longtemps que je n'ai pas été aussi proche de lui. À quelques centimètres à peine de son visage. Si proche que j'aperçois chaque petite tâche de rousseurs qui parsèment ses joues. Ses yeux bruns tombent sur mes lèvres, et j'en fais autant avec les siennes. C'est dingue ce séisme qui est en train de me secouer de l'intérieur. C'est comme-ci c'était la première fois qu'on se retrouve aussi près d'un de l'autre. La première fois que j'accorde autant d'importance à ses lèvres. On sait tous les deux que c'est pas le cas. Le goût de ses lèvres, je le connais par cœur. Son corps tout entier, je le connais par cœur, jusqu'à l'emplacement de chaque grain de beauté, de chaque cicatrice. Mais là... là putain ça me coupe le souffle.
Il ne se passe qu'une minuscule seconde avant que nos lèvres se touchent, et je dois vous avouer que je ne sais même pas si c'est moi qui l'ai embrassé, ou si c'est lui. Leur douceur... bon sang ce que c'est bon de l'embrasser. Je suis incapable de me décrocher de lui, incapable d'arrêter mes lèvres qui s'accrochent aux siennes comme-ci elles étaient sur le point de cesser d'exister. C'est lorsque mes dents attrapent sa lèvre inférieure que je prends conscience que je dérape complètement. Je m'écarte brusquement de lui, lui arrachant presque la lèvre.
- Aoutch !
Oh merde ! Je lâche sa nuque pour attraper son menton et examiner sa bouche.
- Sorry, sorry, sorry...
J'effleure sa lèvre inférieure du bout du pouce, soulagée de voir qu'elle n'a rien. Et c'est lorsque je croise son regard que je me rends compte de ce que je fais. Je lâche immédiatement son visage, et prend du recul, mais son regard ne me quitte pas.
- I'm the one who's sorry... I shouldn't have kissed you without asking your permission.
Il baisse les yeux en effaçant les larmes qui ont mouillés ses joues quelques secondes plus tôt. Alors c'est lui qui m'a m'embrassé... je croyais que c'était moi. J'avoue que j'en avais envie. Que j'ai aimé ça. Sentir ses lèvres, j'ai adoré. Mais je prends brusquement conscience que la dernière à avoir fait ça... c'était elle. Et ça me brise le cœur. Ça me brise les os, ça me... ça me fait trop de mal.
Je prends de la distance et fini par me lever avant lui. J'arrive même plus à croiser son regard. Putain j'aurais pas dû le laisser faire ça... je suis vraiment trop conne. 

Unexpected 2 [FR/EN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant