Chapitre 49

456 28 39
                                    

Tellement de choses se sont passées depuis qu'on a quitté l'appartement de ma mère. Et si peu à la fois.
Le lendemain on a enfin pu voir mon père, les analyses demandées par Alice n'ont rien donné. Et au fond de moi je pense que c'est mieux comme ça. S'il y avait eu une quelconque trace d'empoisonnement, je n'aurais jamais pu quitter Paris l'esprit tranquille. Même si, après avoir enterré mon père je ne suis pas sûr que mon esprit sera si tranquille que ça.
Je veux juste dire que... S'il avait été empoisonné, ça aurait été tellement plus dur de partir. Parce que, soyons franc, Benjamin aurait été coupable sans le moindre doute, et je me serais lancé dans une chasse à l'homme qui m'aurait certainement coûté cher. Tom aussi pense que c'est mieux comme ça. Il a voulu envoyer de nouveau ses gars à la poursuite de Ben, mais... Je ne sais pas pourquoi, il a finalement laissé tomber. Je pense qu'il ne veut pas nous causer plus de problèmes qu'on en a déjà. Je veux dire... Benjamin est couvert de cicatrices, il peut tout foutre en l'air en un claquement de doigt. Et moi aussi ça me fait peur. Je n'en dors plus la nuit. Je tourne en rond dans le lit, à tel point que j'empêche Tom de dormir. Je n'arrive pas à croire que rien ne sera plus comme avant. Que mon père n'est plus là. Que Benjamin peut décider d'aller porter plainte et de déclencher un scandale d'une minute à l'autre.
Je suis terrorisée. Pétrifiée par la peur d'une vie sans mon père et par la peur d'une vie sans Tom. Si Benjamin déballe tout... Je vais tout perdre. Et je ne sais pas si j'aurais le courage de survivre à tout ça.

Aujourd'hui, c'est le jour. Je ne dirais pas le jour J, parce que ce n'est pas un jour qu'on attendait avec impatience. Non... Aujourd'hui c'est le jour de la sépulture. Et j'ai l'impression que ces dernières quarante-huit heures sont passées en cinq minutes. Je suis tellement dans le brouillard que je n'ai pas vu le temps passer. C'est comme-ci il défilait à toute vitesse pour m'empêcher de prendre conscience de ce qui se passe.
J'ai pris une première claque lorsque j'ai été voir mon père au funérarium. Je suis restée bloquée près de la porte pendant de longues minutes. Ils ont pris soin de cacher partiellement le cercueil par un petit muret où des plaques commémoratives étaient installées.
À mon fils. À mon oncle. À jamais dans nos cœurs.
Le simple fait de voir la moitié du cercueil ça m'a bloquée. Et j'ai eu beaucoup de mal à avancer jusqu'à voir le haut de son corps. Son visage. L'homme allongé dans ce cercueil m'a semblé n'être qu'un pâle sosie de mon père. Il lui ressemble, mais... Les paupières closes, son regard à jamais éteint, à jamais perdu, j'ai refusé de croire que c'était mon père. Il était... Tellement calme. Presque paisible. Je sais que ça va vous paraître cliché, mais il semblait dormir. À tel point que j'ai attendu presque une heure entière à côté de ce cercueil, persuadée qu'il allait se réveiller. Mais ça n'est jamais arrivé.
Lorsque je l'ai regardé pour la dernière fois ce matin, avant qu'ils ne scellent son cercueil à tout jamais, il m'a semblé tellement différent du père que j'ai connu. On aurait dit... Une statue de cire. Le produit qu'ils lui ont injecté pour le garder présentable l'a rendu tellement bouffie qu'une fois de plus j'ai refusé d'admettre que c'était bel et bien mon père. C'est comme-ci on m'avait fait une mauvaise blague. Comme-ci on avait placé un mannequin dans cette boîte et prétendu aux yeux du monde qu'il s'agissait de mon père.
J'ai refusé d'y croire. Je n'ai même pas osé le toucher. J'ai seulement eu le courage d'effleurer ses cheveux rangés correctement sur le haut de son crâne, bien trop coiffés pour qu'il s'agisse réellement de mon père. Et sans même toucher sa peau, seulement ses cheveux, j'ai senti un courant d'air tellement froid émaner de son corps que j'ai failli tomber à la renverse. Il était... Glacé. Piégé dans ce cercueil réfrigéré. J'ai même pensé... Comme une idiote... Qu'il devait avoir si froid. Et pourtant non. Il ne sent plus rien désormais. Pas même ma présence auprès de lui.
Il y a une heure encore, il a refusé d'ouvrir les yeux. Et c'est la dernière fois que je l'ai vu. Ma mère m'a conseillé de ne pas assister à la fermeture du cercueil, mais comme à mon habitude, je ne l'ai pas écouté. Et j'avoue avoir compris pourquoi elle m'a donné ce conseil. Lorsque la planche de bois à recouvert le cercueil, j'ai eu l'étrange sensation d'étouffer. Comme-ci j'étais enfermée dedans à sa place.
C'est terrible. C'est terrible de voir ce cercueil se fermer avec mon père à l'intérieur. De savoir qu'il n'en sortira pas. Jamais. J'ai détesté ce sentiment de perte qui a suivi. Ce sentiment de fatalité. Je sais que ce cercueil ne s'ouvrira plus jamais. Que je ne reverrais plus jamais mon père. Je crois que c'est de loin la pire expérience de toute ma vie. Le voir disparaître dans ce piège de bois.

Unexpected 2 [FR/EN]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant