Soudaine rencontre

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— Je me prénomme Philippe de Nogaret et je suis un vieil ami de votre père, Mademoiselle de Schomberg, récita l'homme, et si cela peut vous rassurer votre tenue sied parfaitement à votre regard.

— Je vous remercie Monseigneur de Nogaret, fit poliment Anne-Sophie, avez-vous des nouvelles de père ? Il ne m'envoie des lettres que très rarement si ce n'est mère qui le fait.

— Très peu, je crois que ces derniers temps, il aide dans un village pour les malades. Il doit être prit par le travail. (Il prit une pause avant de reprendre) J'ai en revanche des nouvelles de votre mère, je suis passé dans votre demeure familiale lorsque j'étais dans les environs. Elle est toujours avec ses plantes (il ria doucement, accompagné d'Anne-Sophie), elle est en bonne santé, tout tourne pour le mieux dans votre domaine.

— C'est tout ce qui compte, conclu la jeune fille, et vous, votre famille se porte-t-elle bien ?

— Parfaitement bien, ma fille va se marier avec un duc du Sud voyez-vous, elle a l'air d'être heureuse avec lui, dit-il le visage songeur, et vous, une union de prévue ?

— eh bien..., bafouilla-t-elle.

— Navré de vous interrompre, mais je souhaite m'entretenir avec Mademoiselle de Schomberg, déclara une voix derrière la jeune fille.

Le Prince Laurent toisait durement le vieil homme en face d'elle et celui-ci passa sa main dans sa fine barbe en arborant un sourire en coin. Il se pencha à l'oreille de la demoiselle et murmura :

— C'est un bon parti que vous avez-là, ne l'oubliez pas.

Lorsque le vieil homme recula de quelques pas, le visage d'Anne-Sophie vira au cramoisi et elle écarquilla les yeux. Il pensait qu'elle et le Prince allaient se marier ? Elle voulut répliquer quelque chose, mais referma la bouche, ne sachant plus quoi dire.

— Salutations Monseigneur, déclara Philippe en effectuant une courbette, je vous la laisse, au revoir Mademoiselle de Schomberg.

Anne-Sophie salua une dernière fois l'ami de son père et se tourna vers le Prince.

— Vous vouliez me parler, mon Prince ?

— J'ai besoin de votre aide, Anne-Sophie.

La jeune fille recula en écarquillant les yeux. Premièrement, comment se faisait-il qu'il ait besoin de son aide ? Et deuxièmement, pourquoi était-il si sérieux pour l'appeler uniquement par son prénom ?

— Pourquoi donc ? Demanda timidement la jeune fille.

— Un incident qu'il ne faut pas ébruiter pour le moment, mais qu'il vaudrait mieux éclaircir, lui répondit-il en regardant les environs, veuillez me suivre.

Le Prince commença à se diriger vers la sortie mais Anne-Sophie l'en arrêta.

— Seuls ? S'étonna la jeune fille.

— Vous avez raison, je m'en vais quérir mon plus fidèle allié, rejoignons-nous dans le jardin, dans le bosquet de la Reine.

Puis, il fila en coup de vent. Que venait-il de se passer ? Pourquoi le Prince avait-il l'air sur ses gardes ? Etaient-ils espionnés ? Par qui ? Anne-Sophie vola deux pommes dans le panier à fruits et s'éclipsa discrètement de la salle en direction du lieu de rendez-vous.

Lorsqu'elle se retrouva enfin sur le lieu du rendez-vous, elle remarqua directement le magnifique pourpoint d'apparat bleu que les chiquetades légèrement brodées d'or rendaient plus somptueux. Cependant, elle constata vite la présence d'un second homme. Vêtu d'une longue cape de couleur sombre qui cachait partiellement sa tenue, il avait le regard rivé sur le petit rayon de soleil nommé Anne-Sophie, déboulant des allées adjacentes dans sa fabuleuse toilette d'un jaune éclatant. Il s'étonna de la trouver bien différente des autres Dames de la Cour, avec son teint hâlé, ses yeux gris rehaussés par un immense sourire éclatant et n'ayant certainement peu de problèmes de dentition. Cette dernière s'offusqua de le voir la dévisager ainsi. Elle était une dame, et il était inconvenant qu'un homme la détaille de la sorte. Mais très vite, elle se rendit compte que cet inconnu ne portait pas une chevelure aussi longue et bouclée que le Prince. Ses cheveux étaient même bien courts, contrastant avec la mode du moment, qui était aux perruques longues et bouclées. Anne-Sophie n'en avait jamais porté, ses cheveux bruns étaient naturellement longs et ondulés, elle trouvait donc que c'était inutile. Cependant, elle comprit vite que l'homme qui la toisait de haut ne faisait pas partie du cercle de Nobles qu'elle croisait quotidiennement. Une autre présence accapara son attention : une petite servante cachée dans l'ombre imposante de l'étranger. Elle n'était pas inconnue à Anne-Sophie car elle la croisait quelques fois en coup de vent dans les couloirs du palais. Elle s'approcha du petit groupe d'un pas qu'elle voulait souple et confiant, son long manteau crème traînant quelque peu sur le sol, lui protégeant la peau des rayons du soleil. Lorsqu'elle se posta à quelques pieds du Prince, celui-ci la présenta à ses deux amis :

— Je vous présente dame Anne-Sophie de Schomberg, (elle exécuta un rapide signe de tête légèrement méfiant aux deux personnes en face d'elle) Anne-Sophie, je vous présente Fil, de son vrai nom Filiberto Lucciano, un ami d'Italie et Amandine, une servante du Palais.

Fil s'évertua à s'incliner proprement tandis qu'Amandine lui fit une révérence bien trop longue pour le petit rang de simple dame d'Anne-Sophie. Celle-ci sourit gentiment à la servante qui le lui rendit. Elle croisa alors soudainement les yeux ambrés de Fil. Son sourire s'évanouit face à son imposant regard. Il semblait l'analyser, et la jeune fille avait l'impression qu'il lisait en elle comme dans un livre ouvert. Elle se sentit rapidement mal à l'aise en sa présence mais n'arriva cependant pas à défaire son regard du sien, trop curieuse de savoir ce qu'il s'y cachait.

— Quel âge avez-vous ? lui demanda-t-il soudainement sans même un accent.

Son regard restait ancré dans le sien, froid et indéniablement sans une once d'émotion. Sa question surpris Anne-Sophie qui recula de quelques pas, et ouvrit la bouche d'une manière outrée en fronçant les sourcils. Elle referma aussitôt la mâchoire lorsqu'elle ne le vit pas même tressaillir face à sa réaction. Il semblait réellement curieux. Le Prince posa sa main sur l'épaule de Fil en souriant et lui adressa un conseil :

— Allons mon bon ami, il ne faut jamais demander l'âge d'une femme, l'avez-vous oublié ? Ou peut-être cela ne se fait-il pas dans votre entourage à Florence ?

Mais Anne-Sophie ne se démonta pas face à cet homme manquant assurément de bonne manières.

— Dix-sept ans Monsieur Lucciano (elle s'appliqua à faire rouler le nom de son interlocuteur, elle savait parler Italien) et à l'avenir, j'aimerais que vous suiviez les conseils prodigués par notre cher Prince, lança-t-elle d'un ton méprisant, ce n'est pas comme cela que l'on converse avec une Dame.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant