A la lueur des chandelles

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Dans la nuit noire, un domestique armé d'un candélabre se déplaçait silencieusement dans les couloirs du palais. Il se dirigea tout naturellement vers les cuisines, où se situait le garde-manger principal. N'étant pas bien payé pour s'offrir des victuailles afin d'étancher sa faim qui lui broyait les tripes, il s'était senti obligé de voler ce que la famille royale et les autres Nobles n'avaient pas profité. Avant de commettre son larcin, le pieux jeune homme avait prié Dieu de le laver de ses futurs péchés et de lui pardonner cet acte qu'il considérait ignominieux mais indispensable. Après tout, personne ne le remarquerait, au vu de la quantité monstrueuse de nourriture disponible. Une grappe de raisin par-ci et un morceau de dinde par-là ne ferait pas la différence. Cependant, quelqu'un dans l'ombre des flammes le suivait d'un pas silencieux, animé d'un dessein bien plus sombre que celui de se remplir la panse. Le domestique ne l'aperçut jamais, jusqu'à-ce que l'inconnu se plantât devant la porte du garde-manger. Son visage restait dans l'ombre d'une capuche noire, où seul son menton était visible à la lumière des bougies. La main du domestique tenant le candélabre trembla, lorsque l'homme sortit de son long manteau une lame dont l'éclat luisait sous la lumière des flammes.

— Je...Je n'ai rien fait ! Bégaya le domestique, le visage terrifié.

Mais l'homme ne sembla pas en tenir compte et le poignard virevolta dans les airs si vite, que la victime n'eut pas le temps de sentir la douleur éclater dans son abdomen qu'il était déjà mort. Le candélabre s'échappant de sa main tomba lourdement au sol, les flammes éteintes par l'assassin. S'ensuivit le corps du jeune homme, s'écroulant lentement, dans une gerbe de liquide vermillon, tâchant le sol. Seul le bruit des déplacements de l'assassin résonna pendant quelques temps, puis un silence mortel et angoissant les remplaça. Le dernier bruissement fut celui d'un papier que l'on dissimule entre deux légumes.

A l'aube, un des cuisiniers royaux se retrouva nez-à-nez avec le cadavre pâle et sanglant du domestique, hurlant à s'en déchirer les poumons, jusqu'à ce que la garde royale évacue le corps vers les fosses communes.

**

Anne-Sophie fut réveillée à sept heures du matin afin de se préparer. Sa servante l'aida à s'habiller et à enfiler une robe moins volumineuse que la veille. Elle était bleue, décorée de quelques nœuds d'un jaune pâle, ornée de deux pans en dentelle blanche brochée au fil d'argent. Elle s'accrocha et non sans difficulté la fine chaîne en or autour de son cou, que sa mère lui avait offerte pour son dix-septième anniversaire. Sa servante lui proposa quelques paires de boucle d'oreilles mais elle les refusa.

Il était huit heures lorsque sa servante eut fini de la coiffer, et Anne-Sophie se précipita vers la chambre à coucher du Roi en essayant tant bien que mal de maintenir les perles dans ses cheveux bruns. Elle avait le privilège d'assister à son réveil et à sa coiffure, elle ne devait pas l'offenser en étant en retard. Elle savait qu'elle était entrée dans les bonnes grâces de ses souverains et en pénétrant en même temps que les autres courtisans, elle se posta proche de sa majesté la Reine qui la salua d'un regard chaleureux en hochant la tête. Anne-Sophie exécuta en revanche une petite courbette rapide, afin de lui témoigner toute sa gratitude concernant sa présence ici. Elle remarqua la présence des jumeaux princiers qui la regardaient de haut en bas, Louis d'un air méprisant et Laurent était plutôt surpris. Anne-Sophie se ressaisit et assista au réveil ainsi qu'à la préparation de Son Altesse le Roi, tout en sentant les regards insistants des deux Princes dans son dos.

Elle accompagna la Cour du Roi et traversa la galerie des glaces du palais, avant de s'installer dans l'immense chapelle de Versailles afin d'assister à la messe de dix-heures. Mais la jeune femme fut relayée au fond de la salle. Elle était peut-être une proche de la Reine, mais ne faisait pas partie de sa famille alors elle n'avait pas à être à ses côtés. Trois quart-d'heure plus tard, la salle désemplissait après que le Roi fut sorti le premier.

Une fois arrivée dans la galerie des glaces, elle remarqua que la foule était agitée, bien plus qu'à l'ordinaire. Elle s'approcha un peu plus des trônes en jouant des coudes et aperçu, sur l'estrade royale face à la foule, une grande femme au visage terne, encadré d'une volumineuse masse de cheveux bruns bouclés presque noirs, se tenir aux côtés de Louis de France sans grande expression, comme s'il s'y attendait. Derrière lui étaient assis la Reine, son époux le Roi Soleil, ainsi que Laurent de France. Ce dernier affichait un sourire narquois en regardant son frère. Se moquait-il de lui ? Elle entendit à ses côtés des murmures de dégoût et de haine. Anne-Sophie tourna légèrement la tête et repéra rapidement les trois dindes qui ne cessaient de critiquer la jeune femme aux côtés du Dauphin. Catherine et ses deux camarades avaient l'air affligées, ce qui ne manqua pas de faire sourire la jeune fille qui baissa légèrement la tête vers ses jupons avant de la relever en souriant, et de croiser le regard du Second Prince. Son sourire s'affaissa lentement et Anne-Sophie détourna rapidement le regard.

— Vous êtes ici afin d'annoncer devant témoins, l'union du Dauphin Louis de France, héritier de la Couronne de France et de la Princesse Marie-Anne de Bavière, devenue Dauphine de France ! Déclara le Roi après s'être levé de son trône en toute prestance. (La foule s'inclina devant les futurs mariés) La cérémonie se déroulera dans l'après-midi, après le banquet de bienvenue de la Princesse à treize heure ! Soyez prêts ! Conclu finalement le Roi.

La foule s'inclina une seconde fois et le Roi traversa la salle suivit de son épouse et de ses enfants. Tous les Nobles acclamèrent le couple de futur mariés à leur passage, puis se rangeaient à leur suite pour regagner au plus vite leurs appartements et se préparer pour le banquet.

A treize heures, tous étaient déjà présents au banquet et discutaient entre eux, exécutant de temps à autre des courbettes de salutation. Anne-Sophie était à peine arrivée que déjà, les trois dindes s'étaient précipitées à sa rencontre. « Quelle affreuse jupe ! » disait l'une, « et d'une couleur tout aussi abjecte ! » terminait l'autre. Anne-Sophie avait enfilé une toilette que son père lui avait acheté. La jeune fille porta la main à sa chaîne autour du cou, serrant une fois de plus les pans de sa jupe jaune soleil, ornée de volants en dentelle et de nœud en satin. Le tissu était brillant et Anne-Sophie trouvait que sa tenue lui faisait ressortir ses yeux gris. Même la servante le lui avait dit.

— Allons mesdemoiselles, il ne s'agit là d'un comportement digne de votre rang ! Gronda une voix grave, allez ! partez donc vous pavaner auprès de riches marchands !

D'un coup, les trois affreuses femmes se volatilisèrent en grognant et Anne-Sophie se tourna vers son sauveur. Il s'agissait d'un vieil homme qu'elle n'avait point vu jusque-là. Elle le remercia gentiment et voulu prendre congé mais le vieil homme la retint.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant