Premier corps

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Le trio s'était rendu, sans écouter les protestations d'Anne-Sophie, dans la pièce où avait été découverte la victime. La jeune femme n'avait toujours pas passé le palier de la porte qu'elle leur avait déjà tourné le dos. Fil devait presque la faire entrer de force, et Anne-Sophie manqua de perdre conscience lorsqu'elle sentit l'odeur nauséabonde de la décomposition. Elle se protégea le nez à l'aide d'un tissu. Comme à son habitude, elle tritura de sa main libre les plis de sa jupe pendant qu'elle découvrait la pièce autour d'elle. C'était une chambre de domestique à n'en point en douter. Anne-Sophie était bien loin du luxe des dorures et des tableaux que s'offrait le reste du Palais. Le peu de fenêtres laissait entrer de faibles rayons lumineux, plongeant la pièce par endroit dans l'obscurité. Il n'y avait qu'un lit, en piteux état. Une pauvre armoire rongée par les termites et pleine de poussière trônait contre un mur sans couleur. Enfin, son regard se posa sur la seule chose qu'elle aurait évité, la victime. Le corps sans vie d'une domestique jonchait le sol. Elle était encore habillée, couverte du fameux tablier de travail, les bras écartés au-dessus de sa tête. Le sang presque sec tâchait le sol de son énorme flaque qui dégoûta la jeune fille. Le sang avait dû s'échapper de l'énorme plaie au niveau de son abdomen, tâchant ses habits. Même si sa conscience lui criait de ne pas le faire, Anne-Sophie se risqua à détailler son visage. Sa peau grise faisait ressortir les yeux bleus révulsés de la victime. Son chignon était défait, quelques mèches rebelles étaient collées à son visage figé par la peur. Sa bouche tout aussi pâle était entrouverte et son regard terrifié fixait un point invisible au-dessus d'eux.

— Voici Céline Franchet, la vingtaine, sans parents ni famille, elle était la domestique d'un ambassadeur étranger, le Noble avec qui je discutais lorsque vous êtes revenus, récita le Prince imitant à la perfection l'illustre lieutenant de police La Reynie, Amandine l'a découverte, étant sa voisine de palier.

Fil détaillait le corps comme il le faisait si bien dans le passé. La plaie sur le ventre de la victime était peu profonde, mais surtout, bien calculée. Le tueur était un professionnel. Il n'avait laissé aucune trace sur le corps autre que la blessure mortelle.

— Je pense qu'il s'agit d'une dague, conclu l'Italien en retournant la domestique sur le dos.

— Comment en êtes-vous si sûr ? Questionna Anne-Sophie qui n'arrivait pas à détacher du regard l'immonde flaque pourpre.

— Si cela avait été une épée, la plaie aurait été bien plus large et profonde, expliqua-t-il, or elle est courte, finement coupée, mais toute aussi mortelle.

— Le tueur savait où frapper, en déduit le Prince, pour cela, il doit être instruit ou être assistant d'un médecin.

— Dans tous les cas, il s'agit d'un Noble ou d'un bourgeois tout du moins, conclu la jeune fille qui balaya du regard le reste de la pièce.

Elle cherchait tout ce qui aurait pu être un indice sur le tueur. Mais il n'y avait rien. Pas de lettres, pas de trace. Elle détailla les fenêtres. Aucune n'avait été forcées et elles étaient encore verrouillées. Le tueur a dû entrer par la porte comme pour y en sortir. De ce fait, la victime devait le connaître. Elle fit part de ses déductions à ses deux acolytes et le Prince lui promit de demander des explications à Amandine qui devait à cette heure travailler. Il sortit de la pièce en prenant soin de fermer la porte derrière lui, laissant la jeune femme et l'Italien seuls.

— Il a forcément laissé quelque chose ! S'agaça Anne-Sophie, s'il s'agit du Masqué, il a forcément laissé un indice pour son maudit jeu !

« A moins que l'indice lui-même ne soit Fil » pensa-t-elle en se remémorant leur discussion près de la fontaine. Elle frissonna et son regard se reposa de lui-même sur le visage de la pauvre domestique.

— Elle ne s'est même pas débattue, déclara Fil, vous avez raison, elle le connaissait très certainement.

Mais Anne-Sophie n'écoutait plus ses observations. Quelque chose l'intéressa dans le regard de la morte. Elle avait comme aperçu un éclat blanc tout à fait singulier. La jeune femme s'en approcha, trop tant elle voyait son reflet dans les yeux vitreux et sans vie de la domestique. Mais ce qu'elle avait vu comme une tâche blanche était un reflet de quelque chose au-dessus d'eux. Anne-Sophie releva prestement la tête, et un hoquet de surprise s'étrangla dans sa gorge. Fil la regarda et fit de même.

— Mon dieu, souffla l'Italien.

Un masque blanc était judicieusement posé sur une des poutres noircies et poussiéreuses de la pièce. Un masque blanc de théâtre dramatique qui paraissait les fixer de ses yeux vides, affichant un sourire dont on pourrait croire vivant tant il semblait s'amuser de la tête des deux acolytes. Anne-Sophie se redressait en mettant une main devant sa bouche surprise. Fil déplaça le lit sous la poutre, l'escalada puis se jeta agilement contre le bois pour récupérer le masque. Il retomba ensuite habilement au sol, en n'étant nullement gêné par sa lourde tenue.

— Un mot est inscrit à l'encre, déclara Fil, pour nous semblerait-il.

Il lui tendit le masque et Anne-Sophie détailla la fine écriture apposée à l'encre noire sur la porcelaine. Un matériau précieux, qui la confortait dans l'idée que ce n'était pas un simple mercenaire sans le sou mais un professionnel richissime.

« Le jeu commence, vous venez de trouver le premier corps encore intact ! Que le meilleur gagne ! »

Anne-Sophie frissonna. Se pouvait-il que le Masqué les voit en train de s'affairer à chercher des indices sur son identité ? Elle ne put s'empêcher de regarder les fenêtres, pour s'assurer de n'y voir aucun visage. Mais en tout cas, le Masqué savait que les deux acolytes trouveraient son cadeau. Il avait un coup d'avance sur eux et d'après elle, un autre meurtre ne saurait tarder à leur tomber sur les bras.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant