Nouveau meurtre

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Anne-Sophie se versait du thé, assise dans un des nombreux fauteuils de la pièce de sa chambre à coucher. Une enveloppe scellée d'un seau noir était positionnée près de la tasse fumante qu'elle venait de se servir. La jeune femme ne l'avait pas encore ouverte, et avait demandé à sa servante de lui faire parvenir du thé chaud. Puisque leurs échanges à sens unique avec le Masqué allaient être quotidiens, autant se mettre à l'aise maintenant. Les rideaux cachaient les rayons lunaires, et la pièce était éclairée par des bougies disposées sur tous les meubles. La lettre était déjà disposée sur la table avant qu'Anne-Sophie ne soit entrée dans sa chambre. La jeune femme avait assisté aux divertissements journaliers du Roi et avait accompagné tout du long Fil qui jouait habilement aux jeux d'argent. Elle avait d'ailleurs été très surprise de l'y trouver, assistant à une partie du Prince Laurent et il lui avait proposé de les rejoindre. Bon, elle n'avait pas joué, puisqu'elle ne savait pas les règles, mais cela l'avait enchantée de partager un moment où elle aurait été coutumièrement allée s'enfermer dans sa chambre. Cela l'avait amusée, même lorsque la misérable Catherine l'avait fusillée du regard quand Anne-Sophie conversait agréablement avec le Prince.

Après avoir trempé ses lèvres roses dans le liquide bouillant, elle reposa la tasse, et prit délicatement l'enveloppe des mains. Elle caressa du bout des ongles la fine écriture sur le papier et défit le seau. Anne-Sophie extirpa la lettre et la lut.

« Ma chère et douce Anne-Sophie,

Vous étiez en beauté ce soir, que dis-je, vous faisiez preuve d'un charme presque irréel. Aussi belle qu'intelligente. Une qualité que certaines de vos consœurs n'ont pas. Vous avez trouvé le masque n'est-ce pas ? N'était-il pas magnifique ? D'un blanc presque pur, comme votre âme, ma chère. Vous avez compris je l'espère, que le jeu commençait. Je suis sûr que vous et votre exécrable partenaire avez déjà des pistes, je me trompe ? Je ne vais pas m'en plaindre puisqu'il s'agit du jeu. Au contraire, je vous félicite. Vous ne m'impressionnez guère à vrai dire, puisque je n'en attendais pas moins de vous.

En définitive, je voulais vous prévenir qu'un autre masque apparaîtra, mais qui le portera ? Ne vous angoissez pas ma chère, sinon vous ne cesseriez de triturer vos magnifiques jupons ! Ce ne sera point vous le nouveau masque, du moins pas encore. Je vous réserve le plus beau de tous qui saura ravir votre visage si pur et enfantin et habillera vos sublimes yeux à la couleur d'un ciel triste.

L'acte a commencé, mais les masques ne sont pas tous tombés.

Votre tendre et dévoué Homme Masqué. »

Les mains d'Anne-Sophie tremblèrent en reposant la lettre sur la table. Son esprit s'échauffait. Il était présent ce soir-là, peut-être autour de la même table de jeu qu'elle. Et pourtant, la jeune femme n'avait rien remarqué de suspect. Un frisson d'angoisse la prit et elle renoua autour d'elle le sublime manteau de soie couleur crème qui recouvrait sa robe de chambre. Le Masqué semblait éprouver pour elle une admiration qui tendrait vers de l'obsession pour pouvoir détailler son visage et son regard aussi parfaitement. Il ne cessait de l'observer mais elle ne s'en était pas même aperçue. Il lui réservait un masque donc il voulait la tuer. Elle reprit sa tasse de thé encore chaud et le dégusta en laissant son regard songeur détailler la lettre. Demain, il y aura un nouveau mort. Peut-être un domestique ? Il y avait-il un lien entre toutes les victimes ? Le Masqué ne pouvait pas les avoir choisis au hasard, sinon pourquoi avoir opté si minutieusement pour Anne-Sophie et Fil comme étant ses principaux pions ? Après avoir fini sa tasse, elle la reposa délicatement sur la table, et replia précieusement la lettre dans son enveloppe. Elle la rangea avec la première qu'Anne-Sophie avait reçu. Puis, elle se débarrassa de son manteau de crème qu'elle jeta contre le fauteuil et se coucha dans le lit. Demain sera riche en émotion, elle en était sûre.

Le lendemain, ce fut Amandine qui réveilla Anne-Sophie. La jeune Dame n'avait presque pas fermé l'œil de la nuit, encore tourmentée par la lettre du Masqué.

— Ma Dame, le Prince et Fil vous attendent dans un salon privé, il semblerait qu'un nouveau meurtre nous soit tombé sur les bras ! l'informa la domestique.

Anne-Sophie voulut lui rétorquer qu'elle était au courant grâce à la fabuleuse lettre de l'assassin, mais elle se retint, de peur qu'il ne lui arrive quelque chose de bien trop cruel. Au fur et à mesure qu'Amandine aidait la jeune Dame à enfiler sa volumineuse toilette, Anne-Sophie ne put s'empêcher de contester cette visite matinale.

— Je dois assister au lever du Roi ! S'écria-t-elle pendant qu'Amandine lui piquait des perles dans son indomptable chevelure brune, je ne peux point assister à cette entrevue Amandine ! Et qu'en penserait la Cour ? Que je...je m'amourache de deux hommes en même temps ? Non, je ne puis m'y résoudre, ce serait manquer de respect à notre Roi et permettre aux membres de la Cour de me détester déjà bien plus qu'habituellement.

— Vous en êtes sûre Mademoiselle ? Questionna curieusement la domestique.

Anne-Sophie lui répondit à l'affirmative et la jeune blonde n'y trouva rien à redire et s'y plia. Elle s'engagea à rapporter le message aux deux hommes, après avoir coiffé la masse de cheveux bruns de la jeune Dame. Puis, Anne-Sophie se rendit vers la chambre du Roi en toute hâte, essuyant au passage quelques regards étonnés des autres membres de la Cour.

Fil attendait patiemment dans le salon privé de son ami le Prince Laurent, face à une large fenêtre donnant sur le jardin bien vite ensoleillé par les rayons matinaux du soleil. Anne-Sophie était visiblement en retard et le Prince ne daignait pas même l'honorer de sa présence. L'Italien soupira et ne put s'empêcher de jurer dans sa langue natale, sans se soucier d'être traduit par cette petite crapule d'Anne-Sophie. Depuis leur première rencontre, il savait qu'il ne pourrait la supporter. Son caractère de femme insensible et inatteignable l'exécrait au plus haut point. Et ne parlons point de ses manières de bourgeoise se sentant au-dessus des lois ! Fil n'aimait pas cette jeune fille teigneuse qui ne voulait en faire qu'à sa tête. Pour qui se prenait-elle à lui parler aussi hostilement ? Pourtant, il ne put s'empêcher de penser que ses airs hautains et ses provocations ne ressemblaient en rien à la femme qui s'était fait rabaisser par des consœurs cupides. Cette femme-là même qu'il avait prise dans ses bras tant elle pleurait à chaudes larmes. Son regard gris chagriné ne le quittait plus, même en enchaînant bouteilles sur bouteilles, se noyant dans l'alcool qui l'embrumait un peu plus chaque matin. Ces yeux tristes lui rappelaient Giulia. Il ferma les yeux en repensant à elle, son visage se dessinant dans son esprit. Ses merveilleux yeux gris en amande qui promettaient silencieusement milles et une nuit d'amour, sa douce chevelure blonde qui luisait au soleil...Il esquissa un sourire avant de rouvrir les paupières. Elle lui manquait terriblement, pourtant il savait qu'il ne pourrait plus jamais la revoir.

Le visage de Giulia s'évanouit dans ses pensées en entendant la porte du salon grincer, et son sourire se transforma en un rictus ironique lorsqu'Amandine l'informa de l'absence de la chère Mademoiselle de Schomberg. Il s'en était douté.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant