A cœur ouvert

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Les yeux ruisselants de larmes qu'elle n'arrivait pas à arrêter, la jeune femme ne se retourna pas à l'entente de son nom. Elle savait que Fil la poursuivait, mais elle n'était pas d'humeur à répondre à ses questions. La jeune femme se doutait que Fil ait entendu tout le flot d'insulte qu'elle avait écopé par Catherine et ses deux inséparables chiennes de gardes Marie et Isabelle. Pourquoi était-elle celle dont on devait sans cesse se moquer ? Elle accéléra le pas en tentant de fuir l'Italien, mais peine perdue, sa robe bien trop lourde la ralentissait en l'obligeant à faire attention pour ne pas s'emmêler dans les tissus encombrants. Fil arriva sans peine à la dépasser et à lui couper le chemin, lui ordonnant de s'arrêter et de se calmer.

— Veuillez me laisser tranquille Messire Lucciano ! S'exaspéra-t-elle.

— Il suffit ! Ne voyez-vous dont pas que j'essaie vainement de vous aider ? Lui répondit-il en levant les bras au ciel.

— Dans ce cas, si vous souhaitez m'aider, enlevez-vous de mon chemin !

— Et pour aller où ? S'entêta l'Italien.

La jeune femme ne répondit rien. Elle ne savait pas où aller parce qu'elle n'avait nulle part ailleurs où s'enfuir. Ce Palais maudit ne pouvait pas la laisser s'en aller, fuir ses chaînes empoisonnées qui la retenaient à la Cour où le nombre d'hypocrites et de charognards augmentait sans cesse. La jeune fille en avait assez ce monde qui ne voulait pas d'elle pour une raison qui lui était inconnue. Les larmes continuèrent à rouler sur son fin visage, sous le regard médusé de l'Italien. Heureusement pour eux, le soleil bien trop présent à l'extérieur avait fait rentrer toutes les dames n'ayant pas prévu leur ombrelles, et très peu jouissaient de ses rayons brûlants. Il fit un pas vers elle qui recula encore et il jura dans sa barbe.

— Nous ne devrions même pas nous parler, déclara la jeune femme en frottant ses mains contre son visage pour effacer les larmes qui coulaient encore.

— Au diable la bienséance ! Hurla l'Italien.

Alors qu'elle frottait ses yeux, elle sentit des bras l'entourer. Ses yeux s'écarquillèrent en réalisant que Fil tentait de la consoler. Elle agrippa son habit avant de se laisser à nouveau pleurer contre le torse de celui qu'elle exécrait le plus. Il caressa les cheveux bruns de la jeune fille en ne disant rien. Au vu de la réaction de la jeune femme, cela faisait bien trop de fois qu'elle se faisait rabaisser de la sorte. Lorsque le corps d'Anne-Sophie cessa de se secouer, il se défit de son étreinte et la dévisagea. Ses yeux et joues étaient rouges, des sillons mouillés brillaient au soleil et elle renifla.

— Je suis désolée, commença-t-elle, je n'aurais pas dû...Votre habit est désormais fichu.

— Oh je vous en prie, j'en ai bien assez pour me changer et le donner eu premier passant ! Ria Fil.

Il fut heureux de voir un demi sourire égayer le visage de la jeune femme. Il reprit contenance et détourna son regard, pour se poser sur les alentours.

— Cela fait combien de temps que cela dure ? Demanda-t-il

La jeune femme soupira, sachant pertinemment que de toute manière, elle n'aurait pas échappé aux questions de l'Italien.

— Bien trop longtemps, se risqua-t-elle à répondre vaguement, une envie qui lui passa au vu du regard insistant de son interlocuteur, depuis sept ans si ma mémoire est bonne. (Fil opina du chef comme pour l'inciter à continuer. Elle replaça une mèche rebelle derrière son oreille et soupira). Les trois femmes que vous avez vues, étaient les préférées du Dauphin. Elles savent tout faire : s'occuper d'enfants, la broderie comme des artistes...Tout ce qu'une Dame de leur rang doit savoir faire.

Fil vit une lueur d'admiration traverser le regard de la jeune femme, ce qu'il s'empressa de relever :

— Parce que vous, vous ne savez pas broder ?

Même s'il regretta quelque part cette question, Anne-Sophie afficha un sourire triste avant de reporter ses yeux sur ses jupes dont elle en triturait à nouveau les plis. Un fâcheux geste qu'elle avait tendance à faire lorsqu'elle se sentait mal.

— Pas aussi bien, je n'ai jamais eu leur talent, répondit-elle après une hésitation, je ne suis pas une femme qui fera honneur à sa famille avec un mariage fructueux. (Elle s'arrêta un instant et souffla avant de reprendre) ma mère a tout de même tenu à m'enseigner les rudiments, mais que voulez-vous, j'étais déjà d'une nature turbulente !

— Je vous imagine mal en enfant maléfique, coupa Fil en souriant.

— Et pourtant ! C'est là que mon don pour la comédie s'est développé ! (La jeune fille sourie mais il se décomposait en continuant) J'avais dix printemps lorsque je suis entrée à la Cour du Dauphin, et dès que ces trois petites filles de ducs m'ont vue, elles se sont jetées sur moi comme un jouet avec lequel elles s'amusaient sans cesse. Et ce encore aujourd'hui, vous l'avez entendu.

Fil comprit, au ton employé, qu'elle ne souhaitait pas lui en dire plus. L'Italien soupira et l'invita à rentrer à l'intérieur, prétextant les rayons brûlants de l'astre solaire. Fort heureusement pour elle, Catherine et ses sbires ne se montrèrent pas et les joues de la jeune fille devenait moins rouges tout comme ses yeux. Mais quand elle repensa aux révélations certes vagues sur son éducation Anne-Sophie ne put s'empêcher de se détester. Si Fil était le Masqué, pourquoi diable lui avait-elle raconté des passages de son enfance ? Pour une étrange raison, cet homme aussi étrange pouvait-il être lui avait démontré une autre facette de sa personne. Une version plus agréable que la première à laquelle Anne-Sophie avait dû faire face.

Ils rejoignirent le Prince qui discutait avec un Noble, ce dernier s'échappant en voyant l'étrange couple arriver. Laurent ne posa aucune question concernant le visage rougi d'Anne-Sophie, dissuadé par un regard noir de l'Italien. Puis ensemble, ils reprirent leur conversation autour du mystérieux meurtre. Mais Anne-Sophie écoutait d'une oreille distraite, concentrée sur la possible présence de Catherine et de sa promesse bien trop radicale à son égard. Même si la menace était aussi grande que la bouche de la mégère, il en résultait bien moins de ses actes et Anne-Sophie tentait de relativiser la situation. Fil comprit ce qui tracassait la jeune fille et tentait de l'inclure le plus possible dans la conversation, l'incitant à oublier la menace qui planait au-dessus d'elle lorsqu'elle était en compagnie du Prince Laurent.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant