La fête

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La fête battait son plein dans la galerie des glaces. Les musiciens enchaînaient morceau sur morceau, au bon vouloir du Prince héritier Louis de France. Après tout, la fête était en son honneur, aucun faux pas n'était accepté. La jeune Anne-Sophie, dans sa grande toilette aux couleurs d'un ciel d'été, restait près des fenêtres, à admirer le magnifique jardin à la française. Elle se retourna un instant en entendant des petits éclats de rire derrière elle. La jeune femme soupira en apercevant Catherine d'Aubusson de la Feuillade ainsi que ses deux camarades de toujours Marie de Royan et Isabelle de Macini, la dévisager comme une intruse. Depuis qu'Anne-Sophie faisait partie de la Cour de Louis de France, il y a de cela 7 ans, les trois filles ne cessaient de la tourmenter et de la critiquer. Un jour, Catherine l'avait humiliée devant le Dauphin en disant qu'Anne-Sophie ne savait pas broder, ce qui était inhabituel venant d'une famille de la Haute Noblesse. La jeune femme avait alors crié qu'elle s'en sortait très bien, mais Catherine l'avait défiée en lui ordonnant presque de faire une tenture sur le thème du Dauphin. Anne-Sophie savait qu'elle n'avait ni la compétence ni la patience pour réaliser une œuvre pareille et s'était alors tue. Catherine l'avait humiliée encore et encore et Marie n'avait cessé de tourner le couteau dans la plaie en lui rappelant qu'elle n'était bonne à rien pendant plus d'un mois. En se remémorant de ces évènements, une lueur triste traversa ses yeux gris.

Désormais, à chaque fois que les trois jeunes femmes passaient à côté d'elle, Anne-Sophie n'entendait que des moqueries et des absurdités sur sa personne. Mais elle ne répondait pas à toutes ces remarques, car elle n'avait pas été élevée comme cela. La jeune fille était polie, gentille et effacée. Elle s'ennuyait à la Cour, à devoir accompagner sans cesse le Prince héritier et ses amis partout où qu'il aille. Elle trouvait du réconfort quand elle se trouvait dans les jardins du palais et en compagnie des chiens de la Reine qu'elle voyait souvent. Anne-Sophie discutait beaucoup avec elle mais ne lui avait jamais parlé des humiliations qu'elle subissait. Elle n'en voyait pas l'intérêt. De toute façon, la jeune fille ne voulait pas devenir Reine de France aux côtés d'un époux tel que Louis de France ! Il était très charismatique certes, mais il ne lui inspirait aucune confiance, de plus, il encourageait Catherine à se moquer d'elle. Ça devait le divertir autre que les parties de chasse que son père menait.

Tout en regardant certains couples danser et le Prince Louis changer de partenaire, Anne-Sophie décida de s'éclipser dans les jardins. Elle n'aimait pas la danse. De toute façon, qui viendrait la voir ? Et puis elle connaissait les jardins mieux que personne, elle arriverait à semer ses possibles poursuivants aisément. Elle se détourna de la fête en lorgnant sur les amuse-bouche mais ne s'y attarda pas plus que cela et sortit en toute discrétion de la salle. Elle arpenta les longs couloirs symétriques et richement décorés du palais avant de se retrouver enfin à l'extérieur, face à la Fontaine de Latone, une brise légère caressant ses longues boucles brunes. Elle tourna à gauche pour traverser le Parterre du Midi et descendit les marches de l'Orangerie. C'était son coin préféré même si parfois, beaucoup de Nobles de la Cour se retrouvaient ici afin d'échanger sur des sujets diverses et variés. Elle croisa nombre de femmes de Haute Noblesse qu'elle salua avec respect. Même si certaines ne lui répondaient pas, Anne-Sophie ne s'en formalisait pas. Elle saluait par principe. Pourtant elle ne put s'empêcher de remarquer que les Dames s'échappaient en quelque sorte, de l'Orangerie. Il y avait comme un petit mouvement de foule discret qui questionnait la jeune femme. Anne-Sophie serra ses épais jupons bleus en inspirant aussi profondément que son corset le lui permettait, et continua de descendre les marches, non sans une certaine curiosité mélangée à de l'appréhension.

Pourtant, elle ne vit personne, jusqu'à ce qu'un mouvement rapide n'attire son attention, près des colonnes. Elle aperçut alors la copie conforme du Dauphin. Elle s'avança lentement, ses jupons traînant au sol dont elle s'efforçait d'épousseter tous les dix pas. Elle traversa les parterres et contourna le petit bassin décoratif, pour rejoindre le Prince héritier. Que faisait-il là, seul ? Anne-Sophie trouva cela fort curieux, mais au fur et à mesure qu'elle s'approchait, elle constata que la carrure qu'elle fixait n'était pas tout à fait la même que celle du Dauphin. Elle ralentit le pas, en se demandant si elle ne s'était pas trompée de personne. Et lorsqu'elle croisa le regard émeraude de l'homme, elle n'eut plus aucun doute. Louis avait les yeux marrons et non verts.

— Prince Laurent de France ! S'écria-t-elle presque, je...

— Vous vous êtes perdue, je suppose, Mademoiselle...

— De Schomberg d'Aumont de Rochebaron, compléta longuement Anne-Sophie, mais vous pouvez m'appeler Anne-Sophie, mon Prince.

— Bien, mais la fête n'est pas ici.

— Oh, pardonnez-moi, mais je suis partie de la fête, se confia-t-elle dans un excès de confiance.

— Vraiment ? (Laurent haussa un sourcil surpris) Vous faites pourtant partie de la Cour de mon frère si je me souviens bien.

— En effet, mon Prince.

— Alors vous devriez aimer toutes les extravagances dont il fait preuve non ? (En voyant qu'Anne-Sophie fuyait son regard il demanda) Que faites-vous à la Cour dans ce cas ?

— Je...J'y suis intégrée depuis mes 10 ans mon Prince, mais...je...

— Vous ne l'aimez pas.

— C'est légèrement plus compliqué que cela.

Anne-Sophie baissa le regard. Elle n'allait tout de même pas lui dire ce qu'elle subissait en permanence à la Cour, elle paraîtrait faible et sans honneur ! Elle se mordit la « zslèvre sans plus argumenter.

— Vous n'avez pas l'ambition de devenir un jour Reine de France ? Lui demanda le Prince Laurent.

Encore et toujours cette question. Elle voulait dire non, mais cela ferait déshonneur à sa famille. Elle serra plus fort les jupons de sa robe, et faisait tourner son cerveau à mille à l'heure pour trouver une excuse valable.

— Si bien sûr ! Je ne déshonorai jamais ma famille ! Je...

— Vous n'êtes pas sincère, la coupa-t-il.

Anne-Sophie resta clouée sur place, la bouche entrouverte. Elle détourna le regard, essayant de fuir celui du Prince perspicace et très observateur. Lui ne faisait que froncer les sourcils, tentant de percer les mystères de cette fille pas comme les autres. Il l'avait vue depuis bien longtemps qu'elle ne faisait pas partie du même monde qu'eux. Elle pensait d'une toute autre façon, agissait d'une toute autre façon. Elle devait sûrement passer l'intérêt des autres avant les siens, ce qui était rare à la Cour. Elle avait un titre, signe qu'elle était Noble, comme tous ceux et celles qui arpentaient le palais sans compter les domestiques, mais elle avait été élevée différemment. Sa mère était-elle roturière et son père Duc ? Ou bien l'inverse ? Était-elle seulement bâtarde ?

— Je...Bégaya Anne-Sophie le tirant de ses pensées, Vous avez raison mon Prince, je vais retourner à la fête.

Laurent haussa les sourcils et analysa son visage. Sa mâchoire était serrée et ses mains tordaient le pauvre tissu bleu de sa robe. Elle était angoissée. Pourquoi ? Encore un mystère.

Anne-Sophie se retourna en effectuant une courbette pour prendre congé du Prince, et repartit sur ses pas pour rentrer au palais. Mais elle n'en avait aucunement envie. Elle allait encore une fois croiser les trois pestes et ne cesser de se faire humilier en face des autres membres de la Cour. Qu'avait-elle fait pour mériter un tel traitement ? Était-elle si différente des autres ? Anne-Sophie savait qu'elle n'était pas d'une grande beauté telle que la magnifique Louise de La Vallière, l'amante du Roi d'après les rumeurs de la Cour. Était-ce pour cela qu'elle avait été mise à l'écart ? Elle soupira, en traînant les pieds à côtés des parterres de fleurs, se répétant le nom de chacune d'entre-elles.

— Laissez-moi vous accompagner, entendit-elle dans son dos, vous risquez de vous perdre une seconde fois.

Finalement, le Prince lui indiqua la destination sans pour autant l'accompagner jusqu'à la salle. Il était mal vu qu'un homme se retrouve seul avec une femme sans chaperon qui plus est. Alors, ils s'abandonnèrent bien avant de rejoindre la galerie et Anne-Sophie retourna à cette maudite fête rien que pour engloutir les derniers mets sur la table de banquet. Les divertissements ne se finirent qu'aux dernières lueurs du jour.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant