Mot des parents

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Après la messe, Anne-Sophie fut rejointe par Fil, visiblement désireux de s'entretenir avec elle. Mais la jeune fille cherchait depuis bien longtemps déjà un autre homme. Elle tenait fermement le tissu de ses jupons bordeaux broché de fils d'or, inspectant la foule afin d'apercevoir le doux visage du Duc de Beaumont, lorsque l'Italien l'aborda.

— Bien le bonjour Anne-Sophie (Elle lui adressa une minime salutation, sans même lui jeter un regard) Vous semblez chercher quelqu'un.

— En effet, acquiesça la jeune femme en détaillant toujours la foule du regard.

L'Italien voulait converser avec elle autour du Masqué ainsi que de leur découverte de la veille. Mais la jeune femme semblait préoccupée à autre chose. Chercherait-elle le Prince ? Cependant, en voyant le magnifique cosmos rouge dans ses cheveux, il chassa cette pensée en secouant la tête. Non, elle voulait revoir Thomas, le fidèle ami d'enfance du Prince. Dès leur rencontre, Fil avait remarqué avec quel intérêt la jeune femme écoutait les paroles du Duc. Il ne pouvait que se dire qu'elle en était tombée sous le charme. Malheureusement, elle n'était point la première, loin de là. Mais il se garda de le lui avouer.

— Si vous vouliez rencontrer Messire Thomas, il n'est point ici en ce moment, déclara l'Italien à l'attention d'Anne-Sophie plongée dans ses illusions romantiques.

A l'entente de son nom, la jeune fille se retourna vivement vers lui, les yeux grands ouverts.

— Comment saviez-vous que je le cherchais ? S'enquit-elle.

— Disons que vous semblez être dans les nuages, répondit-il en souriant.

La jeune fille rougit mais un sourire égaya son visage. Elle ne contredit néanmoins pas les propos de l'Italien et détourna le regard. Finalement, voyant le rayonnant visage de la jeune fille, Fil décida de ne point gâcher sa très belle matinée en l'encombrant de préoccupations qui pourraient faire disparaître sa joie. Les deux jeunes gens conversèrent donc autour du Duc un petit moment, jusqu'à-ce qu'un homme, se déplaçant comme un fol de Chaillot dans ses habits délabrés et accompagné de deux gardes royaux ne fasse irruption, faisant tourner toutes les têtes vers lui. Il ne sembla pas le moins du monde intimidé par tous les regards insistants et chuchoteurs de la Cour. Cependant, les yeux marrons du pauvre homme ne détachaient pas la silhouette de la jeune Mademoiselle de Schomberg. Cette dernière écarquilla des yeux lorsqu'il lui donna une lettre sans un mot, puis reparti, docilement raccompagné par les gardes. Un silence de mort régnait, où seul le frottement du papier et du sceau brisé faisaient écho. Tout le monde dévisageait la jeune femme qui n'était soudainement plus du tout à l'aise. Au fur et à mesure qu'elle lut la lettre, son corset devint beaucoup trop serré, lui comprimant la poitrine. Une douleur lui comprima la tête lorsqu'elle finit de lire et ne put empêcher deux petites perles salées dévaler doucement son visage que la jeune femme essuya rageusement. Elle murmura un petit : « Veuillez m'excuser » avant de partir en toute hâte vers sa chambre à coucher, laissant l'Italien abasourdi et inquiet dans son dos. Tout ce qu'il avait pu remarquer était une écriture très féminine, sur le dos de l'enveloppe : « A ma chère enfant ». Il espérait du fond du cœur que le contenu de la lettre n'était pas funeste, mais au vu de la réaction de la jeune fille, il était persuadé qu'il ne devait pas y figurer de bonnes nouvelles.

Amandine fut surprise de voir sa maîtresse débouler en pleurant dans sa chambre, les joues rouges et tenant un papier dans sa main. La domestique se précipita à son chevet, lui posant mille et une questions. Mais la jeune femme ne répondit à aucune d'entre-elles et s'avachit dans le petit fauteuil de sa chambre, serrant le morceau de papier à s'en blanchir les jointures. Elle observa, hébétée, Anne-Sophie arracher brutalement le cosmos rouge de ses cheveux et l'envoyer voler à travers la pièce, frappant le mur qui lui valut de perdre quelques pétales. Sa coiffure était maintenant fichue, des petits cheveux bruns s'échappant çà et là de chaque côté de sa tête, des perles tombant à chaque sursaut de chagrin de la jeune femme. Les fleurs qui ornaient sa petite chevelure semblaient faner et se ternir à vue d'œil, comme si la tristesse de la jeune femme déteignait sur la nature autour d'elle. Amandine ne comprenait pas. Elle était si joyeuse, si heureuse il y a à peine quelques instants. Comment une lettre pouvait détruire le si joli sourire qui rayonnait sur son visage ? Désormais, seuls la tristesse et le désarroi régnaient dans son regard, l'un faisant ruisseler un torrent de larmes et l'autre déteignant sur tous les individus autour d'elle. Ainsi, Amandine avait aussi envie de pleurer avec elle, voulant lui témoigner sa compassion. Anne-Sophie lui tendit la lettre, et Amandine sembla hésiter un instant mais parcourut les lignes, voulant comprendre l'origine du mal.

« Ma chère fille,

Votre dix-huitième année approche à grands pas, et je sais que vous détesteriez que votre Père et moi-même décidions de votre avenir. Cependant, le temps s'écoule bien plus vite que nous le croyons. Nous avons fait la rencontre d'un jeune homme idéal pour vous, issu d'une très bonne famille. Je suis sûre que vous l'aimerez. Sinon, songez qu'il s'agit-là d'un bon parti et qu'il pourra vous offrir ce que vous souhaitez.

Vous partirez dans deux jours, pour que vous puissiez ranger toutes vos affaires. Un cocher sera envoyé à Versailles pour vous acheminer jusqu'au domaine. La cérémonie se tiendra le vingtième jour de votre arrivée.

Votre Mère bien aimée. »

Amandine replia la lettre et dévisagea la jeune femme. Anne-Sophie allait se marier ! La domestique sourit d'un air rêveur, espérant qu'un jour cela lui arriverait. Peut-être, qui sait ? Un beau Prince viendra la sauver sur son bel étalon blanc descendu des cieux... Mais un sanglot bruyant la fit tomber de ses rêves éveillés. Amandine songea alors qu'Anne-Sophie pleurait de joie, seulement, pourquoi ne souriait-elle toujours pas, pourquoi éclatait-elle de plus en plus en pleurs ? Ce devait être le plus beau jour de son existence ! Lui permettre d'accéder à l'accomplissement de sa vie, s'occuper d'un foyer qu'elle chérirait dans les meilleures conditions ! Pourquoi Diable ne cessait-elle pas de déverser tant de larmes ?

— Je ne peux pas me marier ! S'écria Anne-Sophie hargneusement. J'aime déjà un homme !

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant