Découverte inopinée

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Edwige portait un large plateau où se tenaient les cinq tasses de thé demandées par Anne-Sophie. Cette dernière recevait des amies de Versailles ou du moins, celles qu'elle avait réussi à se faire après son mariage. La Domestique s'avança dans le grand salon d'apparat en s'approchant doucement des Duchesses et Comtesses aux alentours. Elle déposa une première tasse devant la sérieuse Duchesse de Rambugnory, récemment revenue d'Angleterre après avoir épousé un riche Lord. Sa fine robe émeraude et beige lui faisait ressortir ses yeux d'un bleu éclatant. Ses cheveux blonds coiffés méticuleusement lui affinait son visage pâle. Edwige fit attention à ne pas effleurer les manches bouffantes de sa robe pour ne pas renverser la tasse. Ensuite, elle déposa sa seconde tasse devant la bien en chaire Comtesse de Castebannes. Cette dernière, toute de pourpre vêtue, ne cessait de jeter parfois un œil sur la nourrice de ses trois petits garnements. Deux jeunes garçons et une petite fille engoncée dans un tas de taffetas rose orné de dentelles et de perles. Les quatre s'amusaient dans une salle adjacente, éloignant les bruits enfantins de leur discussion d'adulte.

— Ne savez-vous donc pas la nouvelle ! S'extasia la Duchesse de Chauvennes en prenant presque la tasse des mains d'Edwige.

Elle se focalisa sur Anne-Sophie, dont le thé fumant venait à peine de lui être servi. Elle agrippa la tasse d'une main ferme, faisant abstraction de la chaleur qui lui rongeait la peau. La Duchesse de Chauvennes plissa le regard pour continuer sa déclaration. Mais elle fut coupée dans son élan par la Comtesse d'Albeveron, grande amie de la Comtesse de Castebannes :

— Le Prince Laurent de France a été destitué de son titre !

La tasse faillit éclater dans les mains de la Maîtresse de maison tant elle la serrait. Ses jointures en étaient blanches, mais ses paumes brûlaient sous l'intense chaleur du thé. Elle finit par la prendre par la hanse et de la déposer sur une coupelle disposée sur la table d'appoint à ses côtés.

— Comment Diable cela se fait-il donc ? N'est-il pas de sang royal ?

La Duchesse de Rambugnory venait de poser les questions qui tournaient dans la tête d'Anne-Sophie. Son accent légèrement anglais lui valut des sourires qui la fit rougir mais la Comtesse de Castebannes lui répondit aussitôt sur un ton mystérieux :

— Une lettre aurait été adressée au Roi lui-même, mais personne ne sait quel en est le contenu.

— Pour que cela lui valut d'être disgracié, ce devait être affreusement interdit, ajouta la Duchesse de Chauvennes en esquissant un mauvais sourire.

Tandis que les quatre invitées s'exaltaient sur les multiples raisons qui auraient poussé le monarque à prendre une telle décision, Anne-Sophie se demandait si le Masqué n'était pas derrière tout cela.

— Qui a écrit cette lettre ? Demanda-t-elle en coupant leur discussion.

Un grand silence lui fit place, ce qui ne la rassura pas le moins du monde. Elle se senti soudainement analysée par ses amies de Versailles qui venaient souvent lui rendre visite.

— Eh bien cela, commença la Comtesse d'Albeveron, personne ne le sait.

Pour sûr. Mais Anne-Sophie avait déjà une idée de son identité. Serait-ce Fil ? L'aurait-il vraiment fait pour se venger de son ami, de l'ignoble dénonciation qui lui avait été faite ? Elle plissa le regard et ne prêta plus attention aux ragots que se racontaient les quatre autres femmes. Pourtant, Alphonse entra dans la salle la faisant sortir de sa rêverie.

— Le Comte de Rochefort, Madame, il demande à voir quelqu'un de la maison.

Anne-Sophie se leva droite comme un piquet, des frissons lui parcourant les bras. Thomas n'était pas présent mais était parti en ville pour affaires. Elle devait donc, en tant que maîtresse de maison, s'enquérir de la bonne installation de son nouvel invité pour le moins inattendu.

— Où l'avez-vous installé ? Demanda-t-elle de peur qu'il ne débarque dans le salon d'apparat ou bien sur les enfants de la Comtesse de Castebannes.

— Dans le salon de thé Madame, il demande une conversation privée.

— Amenez Edwige, exigea-t-elle.

Il lui fallait un chaperon, elle était mariée désormais. Même si elle n'appréciait pas grandement le Comte de Rochefort, elle avait constaté qu'il était très influent. Elle ne pouvait se permettre d'être plus désagréable qu'elle l'avait déjà été lors de leur première rencontre. Anne-Sophie lissa proprement ses jupons avant de laisser ses amies discuter entre-elles, non sans entendre quelques fois son nom. La Duchesse, accompagnée de ses deux domestiques, se hâtèrent voir le Comte. La Dame soupira avant d'arriver dans le salon de thé. Il était plus petit que le salon d'apparat et ne contenait qu'une méridienne et deux fauteuils face à face. Alphonse venait d'allumer la cheminée et les couleurs des flammes se reflétaient sur le pourpoint marron du Comte. Son élégante stature contrastait avec son visage fermé, presque agacé. Ses lèvres tiraient vers le bas, son nez se retroussait de temps en temps et ses yeux plissés semblaient la dévisager. Anne-Sophie effectua une courbette de salutation et le Comte se sépara de son large chapeau feutré.

— Monsieur le Duc n'est pas présent, dois-je lui transmettre un message ? Déclara-t-elle d'une voix qu'elle voulait confiante.

— Cela ne sera point nécessaire, fit-il, j'ai juste oublié un papier sur son bureau et j'aimerais le récupérer.

— Oh ! S'étonna la jeune femme, je m'en vais le quérir dans ce cas, souhaitez-vous m'accompagner ?

— Un de vos domestiques ne peut s'en charger ?

— Ils n'ont aucun droit d'accès à son bureau.

Anne-Sophie avait serré la mâchoire. A croire qu'elle ne pouvait se déplacer jusqu'aux appartements de son époux ! N'avait-il donc pas compris qu'elle et Thomas s'aimaient suffisamment pour se faire confiance ? Elle seule, autre que lui, était en droit d'entrer comme bon lui semblait dans son bureau. Et ce n'était pas pour plaire au Comte de Rochefort qu'elle allait passer pour une petite femme intimidée.

— Si vous ne souhaitez me suivre, vous pourriez faire connaissance avec les Duchesses et Comtesses dans le grand salon, Alphonse vous guidera.

— Sans façon, déclina-t-il en grimaçant.

Il finit par la suivre, Edwige sur les talons. Ensemble, ils atteignirent le dit bureau du Duc. Il était parfaitement rangé, la bibliothèque était pleine de documents dont elle n'avait pas demandé le propos. Elle aperçut immédiatement le morceau de papier, posé là sur le bureau en noyer. Anne-Sophie s'avança pour se positionner derrière le plateau, et attrapa le papier. Mais un tiroir à demi ouvert attira son attention. Elle aperçut quelque chose de noir mais un raclement de gorge lui fit détourner rapidement les yeux. Elle finit par tendre le papier au Comte qui la détaillait. Il vit que le sourire qu'elle affichait n'était que de façade. Cette femme était curieuse, et la voir s'attarder sur un tiroir comme cela ne prévoyait rien de bon. S'il avait été à la place du Duc, il lui aurait interdit l'accès à son bureau. Une épouse curieuse était synonyme de problèmes. Et des soucis, il en avait déjà assez à régler. Il la remercia et Edwige le raccompagna jusqu'à la porte. Une fois s'être « débarrassée » du Comte, Anne-Sophie remonta rapidement dans le bureau de Thomas. Quelque chose avait attiré son attention et il était bien connue que la jeune femme était dotée d'une insatiable curiosité. Elle oublia rapidement ses amies, qui devaient encore parler des trois enfants de la Comtesse de Castebannes. Une fois arrivée dans la pièce tant convoitée, elle s'approcha du tiroir mystérieux et fini de l'ouvrir. Un voile de culpabilité traversa son esprit mais il s'échappa aussi vite que sa curiosité lorsqu'elle aperçut le contenu. De la cire noire et un tampon gravé de deux masques de théâtre dramatique siégeaient là. Les mêmes que sur les lettres du Masqué. Effondrée, Anne-Sophie s'échoua sur le fauteuil de velours, les larmes inondant ses yeux tristes. Tout compte fait, elle aurait préféré ne pas savoir. Elle aurait préféré ne pas être curieuse.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant