Revanche

23 3 0
                                    


Pendant ce temps, Fil cherchait le Prince dans le dédale de Versailles. Il descendit les somptueux escaliers menant au rez-de-chaussée pour se diriger vers les jardins. Il arriva très vite devant la fontaine de Latone et chercha du regard le Prince dans la foule abondante d'ombrelles et de pourpoints colorés. Il ne vit nullement le bleu royal caractéristique du Prince et soupira.

— Si j'étais un Prince, murmura pour lui-même Fil, où irais-je ?

— Certainement dans l'orangerie, répondit une voix féminine dans son dos.

L'Italien se retourna vivement, surpris d'avoir eu une réponse qui ne venait pas de lui-même. Il croisa le regard gris amusé d'Anne-Sophie qui tenait de ses deux mains une bien gigantesque ombrelle blanche à franges, ornées de quelques pompons bleus. Amandine avait expliqué que le malotru d'Italien la désirait afin de discuter et Anne-Sophie avait aperçu au loin la silhouette caractéristique de Fil puis s'était empressée de le rejoindre.

— Même si ce n'est point vous que je cherchais, il est agréable de vous trouver, fit l'Italien tout en regardant aux alentours.

— Je vous donne aussi le bon jour Messire Lucciano, je me porte certes bien ces derniers temps mais... (Anne-Sophie jeta un regard à l'Italien qui ne l'écoutait décemment plus et continuait à observer les alentours) voyez-vous, je suis bien embêtée.

— Pourquoi donc ? Demanda distraitement Fil.

— Et bien, un homme d'une carrure similaire à la vôtre et ayant un léger accent italien s'octroie le pouvoir de m'importuner de ses lourdes paroles sans aucun sens.

— Quel malfrat, lâcha Fil qui regardait au-dessus de l'épaule de la jeune fille.

— C'est peu de le dire, affirma Anne-Sophie en souriant, mais savez-vous toutes les rumeurs qui circulent à son propos ? Elles ne sont pas très convenables.

Mais Fil ne répondit rien et posa une main sur l'épaule de la jeune femme qui le regarda d'un air mi curieux mi outré. Les yeux ambrés de l'Italien se posèrent sur le regard interloqué d'Anne-Sophie et elle eut l'impression que ce moment dura des heures. Cependant, Fil brisa le silence comme l'on éclatait une bulle en lâchant d'une manière légère :

— Pourriez-vous vous déplacer ? Le Prince est juste derrière vous et je souhaite passer pour le rejoindre, mais je vous demande de rester près de moi, nous avons à discuter.

— Oh, bien évidemment, s'enquit-elle en papillonnant des yeux.

La jeune fille détourna les yeux et s'exécuta, les joues rouges de honte. Fil passa près d'elle et lança abruptement, un demi sourire aux lèvres :

— Oh et puis, le portrait que vous avez dressé de moi me paraît bien plus que fidèle, il est parfait ! (Il approcha son visage du sien) D'ailleurs, ces rumeurs m'ont l'air fort intéressantes, et je serais ravi que nous nous entretenions sur ce sujet en privé, glissa-t-il, les pupilles brillantes.

Anne-Sophie écarquilla les yeux, mettant sa main devant sa bouche pour dissimuler le traître O surpris que formaient ses lèvres. Ce rustre avait donc écouté ce qu'elle disait à son propos ? Elle rougit, et un frisson de honte parcourut son échine. Elle suivit docilement l'Italien qui éclatait de rire devant son air agacé, jusqu'à rejoindre le Prince près des parterres du Midi, et qui se trouvait en charmante compagnie d'une femme plus âgée qu'Anne-Sophie, portant une longue robe volante bleu pâle aux froufrous fleuris et les manches se terminant en dentelle, le tout caractérisé par une masse importante de nœuds blancs en satin. Catherine fronça les sourcils et un air courroucé se dessina sur son visage en voyant la jeune brune s'approcher. Celle-ci ralentit le pas et tritura ses jupons, un tressaillement d'angoisse lui crispant les muscles. Son visage devint un masque froid et hautain, son regard gris perçant semblait lancer des éclairs. Mais Catherine ne montra aucun signe d'un quelconque tressautement et fut nullement déstabilisée par cette jeune fille sans éducation ni respect pour les hautes gens de la Cour. Anne-Sophie effectua une courbette de salutation rapide, et Fil secoua son chapeau emplumé.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant