Nouvelle victime

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Deux jours plus tard, Anne-Sophie n'avait pas eu de nouvelles de son partenaire incongru ainsi que du maître de jeu. Cependant, elle n'arrivait toujours pas à dormir, s'attendant à ce que du jour au lendemain, des meurtres soient commis. Il était treize heures et le Roi était attablé seul, à sa petite table carrée, entouré de toute sa cour. Comme à l'accoutumée, les demandes au Roi se démultipliaient et le valet royal s'acharnait à tout prendre en note, s'ébouriffant les cheveux avec la longue plume aux mouvements incessants. La Reine n'était pas présente, ce qui troubla la jeune fille, mais elle remarqua le nouveau couple héritier. Louis et Marie-Anne semblaient être heureux, ce qui n'enchantait guère les trois dindes qui ne cessèrent de fusiller le couple du regard. Anne-Sophie chercha du regard le Prince Laurent, mais ne l'aperçu pas tout de suite. Il était à l'écart, près du chambranle de la grande porte. Il avait l'air soucieux, au vu des plis sur son front. Lorsque leurs regards se croisèrent, la jeune fille lui adressa un sourire qu'il ne lui rendit pas immédiatement, et esquissa un léger rictus. Le sourire radieux se décomposa sur le visage d'Anne-Sophie lorsque Fil apparu aux côtés du Prince. Sa présence réveilla en elle ses préoccupations. L'Italien assistait au dîner du Roi ? La jeune Dame ne l'avait pas croisé jusque-là. Les deux jeunes hommes se mirent à discuter à voix basse, sans jeter un seul regard à Anne-Sophie. Fil aurait-il reçu une seconde lettre ? En parlait-il avec le Prince ? La jeune femme détourna le regard en sentant son estomac se tordre. Voilà qu'elle angoissait déjà. Elle se souvint de la conversation qu'elle et Fil ont entretenus il y a deux jours, et l'Italien lui avait assuré qu'il n'en toucherait pas un mot au Prince. Alors de quoi discutaient-ils ? Anne-Sophie était sûre qu'il ne s'agissait pas du magnifique soleil au-dehors. Le dîner du Roi se finit rapidement, au grand bonheur de la Cour qui s'échappait déjà vers leurs chambres afin d'y retrouver leur dîner. La jeune fille accéléra le pas afin de se retrouver à la hauteur des deux hommes encore en pleine discussion. Elle s'éclaircit la voix avant de s'incliner face au Prince.

— Mes salutations Messires, fit-elle.

Sa voix démontrait son angoisse, pourtant aucun de ses interlocuteurs ne semblaient s'en être rendus compte, sauf peut-être Fil et son incroyable sens de l'observation. Anne-Sophie n'adressa pas un regard à l'Italien, se souvenant de la manière avec laquelle il l'avait remballée lors de leur dernière conversation.

— Mon Prince, je vous trouvais soucieux, se risqua-t-elle à demander.

— Il y a de quoi, répondit-il les sourcils froncés, un meurtre est survenu cette nuit.

La révélation frappa Anne-Sophie dont le visage blêmit instantanément. Il était impossible pour elle que ce ne soit pas le Masqué ! Très vite, ses mains attrapèrent nerveusement les pans de sa robe qu'elle serra à s'en blanchir les jointures. Un geste qui n'échappa pas à Fil qui inspira fortement avant de froncer les sourcils.

— Vous allez bien Anne ? S'inquiéta le Prince, vous blêmissez...

— Je ne suis pas habituée à la violence, répondit-elle, un meurtre me fait tourner de l'œil...

La jeune femme remarqua le haussement des yeux de Fil vers le ciel. Elle serra la mâchoire et serra encore plus fort les plis de sa jupe. En réalité, elle n'avait pas menti. La violence la dégoûtait, ne comprenant pas en quoi son usage favorisait l'existence des autres.

— Le monde n'est pas aussi rose que l'on vous l'apprend n'est-ce-pas ? Railla l'Italien.

Même si la jeune femme voulait répondre d'une façon des plus inconcevable dans un lieu bien trop prestigieux, elle se força à se concentrer sur ses pensées. Soudainement, Anne-Sophie repensa au contenu des lettres de son partenaire et elle. A la fin de chacune était inscrite une phrase identique qui aiguilla les pensées de la jeune femme.

— Que l'acte commence et les masques tombent...murmura-t-elle pour elle-même (Le Prince jeta un regard interloqué envers la jeune femme puis vers Fil qui avait aussi l'air intéressé) Mon Prince, avez-vous vu la victime ?

Le Prince sembla dérouté par sa question. Cette jeune femme ne leur avait pas dit qu'elle détestait la violence ? Pourquoi demander des caractéristiques ? Laurent jugea qu'elle en savait bien plus que lui ou Fil sur cette affaire, cependant il ne fit aucune remarque.

— Oui, répondit-il en fronçant les sourcils.

— Bien, continua la jeune femme en s'enroulant une mèche de cheveux autour de son doigt et plissant le regard, il y aurait-il un signe caractéristique sur le corps ? Ou aux alentours peut-être ? Hasarda-t-elle.

— Je n'ai pas vu de signe particulier, répondit le Prince en essayant de se remémorer.

— Peut-on aller voir la pièce où le corps a été découvert ? Demanda Fil qui fit pâlir la jeune femme.

Le Prince, qui jusque-là n'avait rien dit, se douta fortement que quelque chose unifiait les deux personnes qui l'accompagnait. Quelque chose qu'ils ne veulent pas lui avouer. Il plissa le regard pour donner suite à la demande de son ami Italien.

— Quelque chose s'est passé entre vous deux, je me trompe ? Supposa Laurent en jaugeant son ami.

— Qu'est-ce qui vous fait dire cela ? Se moqua effrontément la jeune femme, enfin mon Prince ! Comment voulez-vous que je supporte une seule seconde un être aussi exécrable que cet homme ! Fit-elle en levant une main hautaine devant le visage du concerné.

L'Italien grinça des dents et fulmina des paroles insultantes dans sa langue. Anne-Sophie se redressa promptement, se dressant devant ce rustre d'étranger. Ses yeux orageux lançaient des éclairs et le rouge lui monta au joues.

— Retenez vos paroles ! Hurla-t-elle à son attention, je comprends parfaitement l'Italien !

Cette dernière, agacée des propos tenus par l'Italien, secoua ses jupons avant d'abandonner les deux jeunes hommes d'un pas décidé. Si Fil eusse été surpris par sa réaction, il n'en démontra aucune expression, aussi bien il ne fit que suivre Anne-Sophie du regard avant de la rejoindre. La jeune femme ne savait pas où elle allait, mais fulminait en traversant les somptueux couloirs du Palais. Elle se retrouva dans les jardins, où elle se dirigea naturellement vers la fontaine de Latone, voulant savourer le bruit des clapotis de l'eau et la fabuleuse odeur d'orange, loin de cet affreux personnage d'Italien.

— Je vous demande d'accepter mon pardon, déclara une voix dans son dos, je ne savais pas que vous parliez ma langue.

Anne-Sophie soupira, mais ne jeta pas un seul regard à l'Italien qui s'était nonchalamment adossé à la fontaine, tandis que la jeune femme ne faisait qu'admirer l'eau.

— Comment ? Ironisa Anne-Sophie en se redressant face à lui, semblerait-il que Messer Lucciano s'excuse ?

— Ne vous vous amusez pas de moi, très chère ! Rétorqua Fil en grimaçant, il semblerait aussi que je ne puisse dire tout ce qu'il me passe par la tête dans ma propre langue sans être jugé par une enfant telle que vous !

La jeune fille gloussa en portant une main à sa bouche. Elle afficha un air faussement outré en l'entendant l'appeler ainsi. Elle dévisagea un instant son regard ambré avant de se concentrer sur la fontaine. Fil fit de même, se tenant plus droit, les mains jointes dans son dos. Il avait l'air bien plus vieux dans cette posture, plus soucieux aussi.

— Vous aviez raison pour les domestiques Mademoiselle, reprit bien plus sérieusement l'Italien, il semblerait qu'il s'agisse de lui.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant