L'enveloppe

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Minutieusement et légèrement angoissée, elle écarta les rideaux, mais personne ne s'y était caché. Elle inspecta entièrement la pièce. Rien n'avait bougé ni disparu. Elle regarda la fenêtre et s'en approcha, inspectant l'encadrement, afin de savoir si la fenêtre avait été forcée et donc aurait ripé contre le bois, mais il n'y avait aucune trace. Seulement une enveloppe minutieusement scellée par un seau noir représentant deux masques de théâtre, l'un rieur et l'autre triste. L'expéditeur était sans conteste un professionnel. Il n'avait laissé aucune trace, mise-à-part cette curieuse enveloppe. Elle ne put s'empêcher de penser au morceau de papier trouvé dans le garde-manger. L'auteur de ces meurtres pouvait-il la contacter ? Anne-Sophie la prit avant de refermer la fenêtre. Au dos était inscrit son titre entier, d'une écriture particulièrement fine et appliquée. Elle alluma une bougie sur sa table de nuit. La jeune fille s'assit sur son lit et ouvrit délicatement l'enveloppe en veillant à ne pas trop détruire le seau. Elle y découvrit une lettre, décorée du même seau que l'enveloppe.

« Ma chère et douce Dame de Schomberg,

Il s'agit là de la première lettre que je vous adresse, mais n'ayez crainte, ce ne sera point la dernière. Voyez-vous, cela fait un temps que je vous observe et vous me paraissez fort intéressante, très chère. Je vous ai remarquée dans votre sublime robe d'or au banquet cet après-midi et je regrette que nous ne nous soyons pas rencontrés. Il se fait dire que vous êtes tombée malade, mais nous savons tous deux qu'il n'en est rien. A vrai dire, j'aurais bien aimé vous inviter pour une danse. Mais vous n'auriez pas accepté n'est-ce-pas ?

Je sais tout de vous, et vous rien de moi. Je vous sais d'une nature des plus curieuse mais aussi très intelligente. Vous savez amadouer n'importe quel homme avec votre talent inné de la comédie (comme vous me l'avez prouvé en trompant notre cher Dauphin).

Je vous propose donc un jeu : Découvrez qui je suis. Gagnez et vous sauverez des vies. Perdez et ce sera la vôtre ainsi que celle des autres que je prendrais.

Mais ne vous arrêtez point-là, ne finissez pas sur cette note qui sera, je le souhaite, des plus effrayante. Sachez que je vous admire autant que je vous hais. Ne courrez pas vous cacher dans le dos du Prince, il ne peut rien contre moi. Je vous observe, l'ayez bien en tête. N'oubliez pas non plus que je sais tout de vous. Mais je vous en prie, impressionnez-moi. Cela ne me fera que me divertir davantage au jeu que je me plairai de corser.

Que l'acte commence et les masques tombent.

Votre dévoué Homme Masqué. »

La jeune femme frissonna. Si cela était une farce, alors elle ne la fit point rire du tout. Et pourtant, la lettre était tellement bien écrite que cela soit inconcevable. Et cet homme — car il n'était point à en douter que c'était un homme – lui demandait de jouer. Enfin, il ne lui demandait pas, elle y était contrainte. Sa vie ainsi que d'autres étaient entre ses mains. Mais pourquoi jouer avec elle maintenant ? Et pourquoi elle ? Comment se faisait-il que cet étrange homme la connaisse aussi bien ? En était-elle proche ? Lui avait-elle une seule fois parlé ? Elle relut encore et encore la lettre comme si elle pouvait lui crier le nom de son expéditeur. L'écriture était la même que sur l'enveloppe. Bien écrite, droite et légère et légèrement calligraphiée. Un frisson lui parcourut l'échine. L'écriture était identique que sur le morceau de papier du Prince. Il était sans conteste un maniaque de l'ordre. Un lieutenant ? Un soldat ? Ou bien tout simplement un mercenaire. Comment pouvait-il être au courant de leur regroupement afin d'enquêter sur lui ? Toutes des questions sans réponses. Mais s'il était le meurtrier, pourquoi ne pas lui avoir écrit avant ? Attendait-il qu'elle soit mise au courant par le Prince Laurent et ses acolytes ? A moins que l'auteur de cette lettre ne soit parmi eux ?

Après tout, elle ne connaissait pas Fil, ce bougre d'Italien qui manquait cruellement de manières. Et même s'il peut être incroyable que ce dernier puisse écrire d'une si belle et poétique façon, il pourrait très bien cacher son jeu. Aurait-il pu s'informer à son sujet de sorte qu'il ne connaisse tous les recoins de sa courte vie ? Elle n'en n'était pas sûre, mais n'était pas non plus certaine de son innocence. Cet homme avait bien des choses à cacher et elle allait y mettre le doigt dessus. Sinon, comment se pourrait-il que juste après sa rencontre avec Fil, elle ait reçu une lettre ? Il y avait là un lien, elle en était sûre.

Pourtant, l'homme masqué avait affirmé se trouver au banquet et s'était désolé de ne pas la voir. Or, à ce même moment, elle était avec le Prince et ses alliés dans le Bosquet de la Reine, et n'est jamais retournée au banquet, puisqu'elle s'était enfermée dans sa chambre. L'auteur était-il au courant de son entrevue avec le Prince dans les jardins ? Elle relut une énième fois la lettre. Le mystérieux homme savait qu'elle avait menti au Dauphin, il devait donc se trouver près d'elle. A moins que ce ne soit pas un homme, mais Amandine ! Elle était là, depuis le jour même où Anne-Sophie avait posé ses premiers pas à la Cour du Prince en tant que jeune Dame et représentante de sa lignée. Elle était aussi là, lors de l'entrevue du Prince et aussi durant la comédie qu'elle avait joué devant le Dauphin. En revanche, la lettre semblait bien écrite par un homme, puisqu'il avait signé tel quel. Mais tout le monde pouvait se faire passer pour quelqu'un d'autre en utilisant un pseudonyme.

L'esprit d'Anne-Sophie cherchait vainement des réponses, mais elle ne souleva que davantage de questions. Il fallait se rendre à l'évidence, elle devait enquêter. Elle rangea soigneusement la lettre dans le tiroir de sa table de nuit. Demain, elle en parlera au Prince. Elle ne lui demandera pas de le démasquer pour elle, mais de l'aider. A moins qu'il ne fasse partie de la machination. Anne-Sophie soupira. Elle venait à peine de lire la lettre que déjà, elle ne faisait plus confiance en personne. Elle savait qu'elle ne pourrait compter que sur elle-même.

C'est avec l'esprit troublé et remplit de questions qu'elle s'affala dans son lit, soufflant sur la bougie pour l'éteindre et s'endormit difficilement.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant