La curiosité est un vilain défaut

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Deux semaines plus tard, à Fontainebleau.

Laurent s'était installé dans sa prison dorée. Très peu de domestiques l'avaient accompagné, à croire que le Roi veuille lui faire subir une solitude écrasante dans l'immense château. Le Prince Déchu était triste, éteint. Plus rien ne semblait vouloir l'animer. Il ne sortait plus de sa chambre à coucher, ne se déplaçait que très rarement et ce pour rejoindre son bureau adjacent. Il écrivait. Il pensait que laisser des traces pourrait prouver son existence, ses états d'âme, sa volonté perdue depuis qu'Amandine fut partie. Laurent tombait souvent malade. Les hommes de science qu'il recevait n'étaient pas les meilleurs du royaume. Parfois, il pensait que sa fin était proche. Qu'il ne verrait jamais le lendemain. Et peut-être qu'il s'en accommodait. Pour lui, il n'avait plus rien à perdre, alors mourir n'était qu'une passe. Une fin parmi tant d'autres. Mais il aurait aimé voir Amandine une dernière fois. C'était bien la seule visite qu'il aurait pu tolérer si seulement il n'y avait pas que les domestiques qui se bousculaient devant la porte de sa chambre. Il se sentait effacé, oublié de tout le monde.

Anita, une vieille domestique très gentille, entra dans son bureau en le saluant.

— J'ai besoin d'encre, déclara Laurent d'une voix éraillée.

Il lâcha sa plume pour river son regard vert sur le dos de la domestique qui s'attelait à la recherche d'encre dans un des nombreux tiroirs de rangement de la pièce. Il soupira et relut le paragraphe qu'il n'avait pas achevé. C'était un petit carnet de bord, le carnet de sa vie. Peut-être qu'il traversera le temps ?

— Voici Monsieur, désireriez-vous une nouvelle plume ?

— Non, celle-ci me convient.

Il ne l'avait pas remerciée, juste observée déposer le pot sur son bureau. Il était devenu exécrable, désagréable, impoli. Parfois arrogant. Peu de domestique le confrontait, car il était facilement irascible. Un rien pouvait le mettre en colère. Parce qu'il ne ressentait que ça. Il n'avait plus d'amour, de vie, de joie. Juste de la tristesse et la haine. Au début, il voulait se venger. Il n'était animé que par la haine et voulait faire payer Louis pour ce qu'il lui avait fait. Mais plus les jours passaient, plus Laurent se résignait. Il n'avait plus aucune influence, aucun pouvoir qui lui permettrait de mourir en paix. Un seul espoir subsistait tout de même, celui de retrouver Amandine. La tête à nouveau plongée dans le flou d'idées noires, il reposa précautionneusement la plume blanche sur son petit parchemin. L'encre s'écoula sur le papier, le tâchant. Laurent ne le vit pas, car il se leva et se dirigea dans sa chambre. Un repas chaud l'y attendait. Pourtant il n'avait plus faim. Il regarda la viande fumante pendant un laps de temps qui lui parut des heures, mais n'y toucha pas. Il s'allongea sur le lit et s'endormit dans un sommeil sans rêve.

*

Amandine ne croisait plus Anne-Sophie depuis plusieurs jours. Leur relation s'étant détériorée, elle n'osait pas même demander de ses nouvelles auprès des autres domestiques. Une fois, elle voulut parler avec Edwige mais finalement, se résigna. Amandine avait jugé bon de paraître invisible jusqu'à ce que l'affaire s'oublie. Elle vivait encore au domaine, même après ce qu'elle avait dit à la Duchesse. Elle n'allait pas s'en plaindre. Pourtant, depuis plusieurs jours déjà, Edwige ne cessait de raconter qu'Anne-Sophie n'était pas dans sa plus grande forme. Inquiète, Amandine avait écouté les messes basses dans la pièce commune de la dépendance.

— Plusieurs fois je l'ai surprise en train de pleurer, avait déclaré Edwige le regard peiné.

— Serait-ce Monseigneur le Duc qui l'aurait blessée ? Avait demandé une autre domestique.

Mais Edwige avait secoué la tête. Pour elle, c'était pour une tout autre raison. Elle avait raconté le soudain changement de comportement d'Anne-Sophie après avoir rendu le papier au Comte de Rochefort. Et ce après avoir jeté un coup d'œil dans un des tiroirs du bureau.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant