Le Duc de Beaumont

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Le Prince s'était enfui dans le dédale du Palais, voulant à tout prix faire disparaître ses soudains maux de tête. Il s'était donc faufilé dans un salon de jeu, entouré d'une dizaines de courtisans, tentant parfois de le flatter, sans succès. Le Prince n'était pas un homme dont on devait à tout prix se faire remarquer, il était du genre à apprécier ceux qui le méritaient. Les deux partenaires d'enquête l'avaient retrouvé à discuter dans un ensemble de méridiennes et de fauteuils pourpres. Laurent conversait agréablement avec un de ses amis étant arrivé il y a peu. Ils n'avaient pas eu l'occasion de se voir, à cause des préoccupations du Prince. Son ami, un assez grand homme, fin athlète et adepte de la chasse, fit la connaissance d'Anne-Sophie puisqu'il n'était pas inconnu de l'Italien. Anne-Sophie fut submergée par le regard bleuté de cet homme qu'elle trouva rapidement charmant. Le Prince l'avait introduit comme étant Thomas de Beaumont, un ami devenu Duc, qui avait grandi avec lui et était bien apprécié par toute la famille royale. Il était plus grand qu'Anne-Sophie, la dépassant bien d'une demi-tête, et avait une carrure digne d'un cavalier hors-pair. Ce qui l'intéressa fut le simple fait qu'il ne portait pas de perruque, mais sa chevelure blonde mi-longue semblait bien entretenue. Le Duc portait une rhingrave noire garnie de dentelles et de boucles de ruban ainsi que des hauts de chausses blancs. Son pourpoint léger toujours noir, avait des poches horizontales comme le voulait la nouvelle mode, et laissait entrevoir sa chemise blanche bouffante, dont les manches étaient décorées de dentelle, et sa somptueuse chevelure cachée par un large chapeau feutré orné de quelques plumes blanches et rouges.

— Mon Prince, intervint Fil au milieu de la conversation autour de la chasse, j'aimerais m'entretenir avec vous si vous me le permettez, nous avons grandement à discuter.

— Mes amis, si vous me le concédez, déclara le Prince en s'éloignant en compagnie de l'Italien.

Anne-Sophie se retrouva avec le charmant Duc qui lui proposa une ballade dans les jardins du Palais, voulant faire plus ample connaissance. La jeune fille déplora l'oubli de son ombrelle une fois dehors, les rayons solaires lui brûlant déjà la peau. De plus, elle n'avait pas préparé d'onguent pour en éviter les rougeurs. Mais le Duc l'empêcha de bougonner et lui mit son large chapeau sur la tête. Surprise, elle laissa échapper un petit couinement en sentant le poids sur sa tête, mais lança un chaleureux sourire au Duc.

— Comment allez-vous...

— Je ne crains point le soleil Mademoiselle, répondit le Duc.

Puis, ils s'élancèrent dans une longue promenade sous les yeux ébahis des autres membres de la Cour, étonnés de voir un chapeau masculin sur la tête d'une jeune femme.

Le Prince et l'Italien n'avait rien manqué du fabuleux spectacle que leur avait donné le Duc et la petite Anne-Sophie. Ils les avaient suivis du regard avant de reprendre leur conversation, comme si de rien n'était, chacun arborant un sourire en coin.

— Nous avons le lien entre les domestiques, commença Fil sur un ton banal, ne voulant pas attirer les soupçons des courtisans autour d'eux, il semblerait que l'homme que nous cherchons, ait peut-être vécu une histoire passionnée dramatique, où sa bien-aimée l'aurait trahi pour un autre. Il se vengerait donc sur d'autres couples.

— Intéressant...murmura le Prince.

Cette information aurait beaucoup restreint leurs suspects, mais toujours était-il qu'ils n'en avaient pas. Pas d'officiels en tout cas. Pendant que Laurent laissait libre court à ses pensées, Fil se senti épié. Il feinta de lisser les plis de sa cape pour regarder dans son dos. Son regard manqua de peu de croiser celui du Dauphin, qui les observait sans indiscrétion.

Tout de suite, l'Italien fit le rapprochement. Il avait beaucoup de fois surpris le Dauphin le dévisager. Même en compagnie d'Anne-Sophie qui avait soudainement prit peur près de la fontaine. Ses soupçons s'avéraient être appuyés par leurs découvertes. La chemise royale, les bijoux que bon nombre de courtisans ne pouvaient s'offrir en si grande quantité et le lit en noyer qu'avait inspecté Anne-Sophie. Le seul point qui ne semblait pas coïncider était l'attirance du Dauphin envers les hommes, de plus qu'Anne-Sophie et l'Italien avaient trouvés des lettres passionnées adressées à Antoine de Charbonneau. Ainsi peut-être les connaissances en médecine si précises que le meurtrier devait posséder. Le Dauphin ne semblait point être un homme de science.

Fil fit tout de même part de ses soupçons, silencieusement et vaguement au Prince, qui agita la main comme pour lui faire oublier de telles pensées.

— Enfin, je n'apprécie peut-être pas mon frère, contesta-t-il, mais il n'a point l'âme d'un meurtrier !

— Le connaissez-vous vraiment ? Demanda effrontément l'Italien, nous ne connaissons jamais véritablement ceux que nous côtoyons.

Le Prince fut agacé d'entendre de telles paroles, surtout venant d'un homme qu'il avait moins fréquenté que son propre frère, mais il n'en montra qu'un froncement de sourcils. Fil agita négativement la tête et soupira en fermant les yeux, montrant lui aussi son agacement. C'était le moment qu'avait choisi Catherine pour faire son entrée en scène et posa une main sur l'épaule du Prince qui ne cacha pas son étonnement. La sulfureuse Duchesse portait une épaisse robe à volants de dentelles d'un jaune criard à en faire pâlir le soleil lui-même. Elle portait des bijoux volumineux, n'avait pas exagéré sur le maquillage mais gardant tout de même ses joues rouges. Ce changement littéral stupéfia les deux hommes qui avaient davantage l'impression de se tenir devant une pâle représentation d'Anne-Sophie, bien plus âgée et beaucoup moins gracieuse. Catherine ne cessait de papillonner des yeux, tandis que Fil affichait clairement un masque de dégoût. Le Prince repoussa dignement la main de Catherine de son épaule mais elle tint à le tenir par le bras.

— Mademoiselle d'Aubusson ! s'exclama théâtralement le Prince, feignant la joie, nous vous donnons le bon jour !

— Ah mon Prince, fit-elle dans une courte révérence, savez-vous que vous m'avez atrocement manqué ?

L'Italien se retint de rire, et mina de tousser dans sa manche non sans tenter de dissimuler son éminent sourire. Non seulement cette femme voulait ressembler à l'intelligente Anne-Sophie mais elle tentait aussi d'imiter sa voix. A quoi pensait-elle donc ? Que Laurent allât bien plus vite s'intéresser à elle par le fait qu'elle se soit « costumée » tel Anne-Sophie ? Cette femme était donc bien plus sotte qu'il ne l'avait jugé. Fil voulait d'ailleurs laisser le Prince aux petits soins de la Duchesse et le voir se démener comme un diable dans de l'eau bénite le faisait sourire. Mais Laurent ne cessait de lui lancer des regards effrayés qui le dissuada de l'abandonner. L'italien roula les yeux au ciel et tenta de trouver une ruse pour le sauver des griffes de l'affreuse Catherine.

— Mon Prince, je ne veux point vous incommoder en si charmante compagnie, commença-t-il, mais il nous faut rejoindre le Duc de Beaumont afin d'échanger autour de notre accord.

Laurent sauta sur l'occasion pour se débarrasser une bonne fois pour toute de la collante main de la Duchesse de son bras. Il s'extasia sur son emploi du temps chargé et s'excusa auprès de Catherine puis fit un pas en avant pour s'enfuir avec l'Italien. Mais Catherine lui attrapa le poignet fermement pour le retourner vers elle.

— J'ai comme une fâcheuse impression que vous m'évitez, mon Prince, lança-t-elle en haussant un sourcil douteux et en lâchant sa prise.

— Vous croyez ? Lança innocemment le Prince en pinçant les lèvres et écarquillant les yeux, figeant son visage d'une expression de surprise qui amusa l'Italien.

Tout ce qu'il vit avant de tourner les talons, suivant Fil, fut le visage suspicieux de Catherine, les mains sur les hanches et le regard plissé.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant