Cachotteries italiennes

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Anne-Sophie se tenait droite, le regard franc face à Fil qui tentait maladroitement d'éviter la conversation. Celui-ci joua les surpris et s'étonna d'un tel comportement de sa part, ce qui accentua l'agacement qu'elle commençait à éprouver.

— Ne me dites pas que vous soupçonnez mon époux ? Murmura-t-elle un éclat de colère lui traversant les yeux.

— Je ne l'ai jamais pensé, déclara-t-il le plus simplement du monde, il nous observait, alors je me suis dévoué pour lui expliquer la situation.

Il mentait, Anne-Sophie remarquait que son index droit tapotait contre le pommeau de son épée. Et même si ses yeux semblaient sincères, elle ne le croyait pas.

— Vous mentez Fil.

Il fut désarçonné. La Duchesse le fixait intensément, le regard dur, les mains croisées sur son buste et un sourcil arqué. Elle attendait une justification plausible de sa part. Pourtant celle qu'il avait déclarée aurait pu fonctionner, mais il paraissait avoir sous-estimé Anne-Sophie. Elle était jeune mais si douée pour déceler les mensonges. Il reprit contenance et nia toute fabulation.

— Votre index ne cesse de s'agiter et votre regard est presque perdu dans le vague, tentant de se montrer sûr plutôt que mensonger, expliqua la jeune femme d'un trait en pointant sa main droite sur le pommeau.

L'italien se mit à rire doucement, lui laissant le temps de trouver une réplique cohérente. La petite était très intelligente et observatrice. Il se senti dépassé. Allons, lui Filiberto Lucciano, avait toujours été le meilleur dans sa catégorie mais le voilà révolu au second plan par une gamine ? Comment a-t-il pu laisser passer un tel indice comportemental ?

— Cessez de me prendre pour une faible d'esprit Messire Lucciano, s'agaça Anne-Sophie.

— Le connaissez-vous véritablement ? Demanda l'italien sans détour.

— Vous admettez donc de le soupçonner ! Vous avez osé ! S'exclama la Duchesse explosant de colère, n'avez-vous pas honte ? Êtes-vous envieux ? Pourquoi me demander une telle chose ? Je pensais qu'après mon séjour vous auriez changé mais ce n'était qu'illusion ! Vous êtes encore pire que je ne l'aurais pensé !

— Anne-Sophie ? Demanda Thomas qui s'approchait s'étant rendu compte du soudain changement de comportement de son épouse.

— Je me permet de vous dire Messire Lucciano, continua avec véhémence la Duchesse, que je ne vous connais pas véritablement non plus mais je vous ai pourtant fais confiance. (Elle fit une pause et le jugea, son regard colérique dans celui ambré et impassible de l'italien) Je regrette.

La jeune fille lui tourna le dos et tomba nez-à-nez avec son époux qui dévisageait méchamment Fil. Celui-ci n'exprima aucun ressenti tandis que le Duc passa un bras possessif autour de la taille de son épouse. Ce geste ne s'effectuait jamais en public mais le Duc voulait ouvertement marquer son territoire. C'était son épouse et plus aucun homme n'avait le droit de l'approcher sans sa présence. Pas même ses amis.

— C'était votre ami, cracha presque Anne-Sophie à l'égard de l'italien en mentionnant Thomas, mais vous l'avez jugé. Qu'avez-vous donc pensé de moi ?

Comme pour non seulement clôturer leur discussion mais aussi leur relation amicale, le couple traversa la pièce le dos droit sans jeter une seule œillade à l'italien. Ce dernier essuya des regards inquisiteurs et surpris des autres Nobles présents dans la pièce. Il soupira longuement, quelque peu étonné de la crise de nerf de la jeune Duchesse mais s'éclipsa de la salle. En croisant le regard du Duc, il avait eu un pressentiment plus que mauvais, comme si son arrivée au Palais, sa rencontre avec Anne-Sophie puis son mariage avait été manigancé. Quelque chose dans son regard démontrait une face cachée de sa personne, un autre visage bien différent qu'Anne-Sophie n'avait pas constaté. Du moins pour l'instant. Il regagna sa chambre, l'esprit vif, mais tout de même bouleversé du comportement soudain d'Anne-Sophie. Peut-être qu'il ne lui avait jamais montré, mais il l'appréciait véritablement. Il voulait la protéger d'un monde dont elle venait tout juste d'y mettre les pieds. Un monde cruel qui ne ferait qu'une seule bouchée de la jeune femme qu'elle était. Ce monde-là même d'où il était issu.

Anne-Sophie fulminait depuis déjà quelques minutes et Thomas ne réagissait pas plus. Ils s'étaient installés à l'ombre d'un arbre dans le jardin. La pluie avait cessé de tomber et le couple avait besoin de prendre l'air. Ce fut Thomas qui brisa le silence de plomb qui les entourait.

— Pourquoi vous êtes-vous emportée ? Demanda le Duc.

Anne-Sophie se vit dans l'impossibilité de lui mentir, et décida de tout lui dévoiler. Les lettres menaçantes et ses suspicions sur l'identité du Masqué. Elle lui faisait confiance, son cœur le lui disait. Si Thomas se montra de prime abord tout étonné et prêt à en découdre avec l'assassin, il finit par se calmer pour tenter de suivre les idées brillantes de son épouse. Même si Laurent lui avait maintes et maintes fois démontré l'intelligence vive de la jeune femme, en être témoin le surprenait tout autant. Seulement, à la fin de son récit, il ne put s'empêcher de lui faire remarquer une chose :

— Mais quelle est la place de Lucciano dans tout cela ?

— Il est mon partenaire, expliqua-t-elle pour la seconde fois, il...

— Non, corrigea-t-il, ce n'est pas dans ce sens-là. (Anne-Sophie haussa un sourcil inquisiteur lui demandant de continuer) Et s'il était suspect ? Le connaissez-vous davantage pour clamer son innocence ?

La jeune Duchesse ne répondit pas. Elle savait où il voulait en venir et ce n'était pas la première fois qu'elle doutait à ce propos.

— Mais qu'aurait-il à gagner ? Pourquoi maintenant ?

— Je pense qu'il a des choses à cacher ne trouvez-vous pas ?

Si. Bien trop à son goût. Pourtant elle ne répondit pas. Chacun avait ses secrets et à Versailles, il valait mieux ne pas en parler. Mais jamais elle n'avait eu le courage de poser des questions sur son passé. Alors que le Duc suggérait de creuser dans les méandres du passé de l'italien, la jeune femme se souvint de la lettre et l'unique qu'elle avait pu lire, destinée à Fil. Notamment d'une phrase gravée dans sa mémoire : « je détiens le plus noir secret de ta vie ». L'italien dissimulait une partie de son passé, une partie si sombre qu'Anne-Sophie ne pouvait se l'imaginer. Cependant, elle était sûre d'une chose : elle devait le découvrir. Une fois que la tâche sera exécutée, elle sentait que le fin mot de l'histoire ne se trouverait pas si loin. Jamais elle n'aurait pu avoir aussi raison.

Le tueur au masque de porcelaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant