Sept heures plus tard, ils y retournent.
Entre-temps, Demi a pu laver les vêtements du Maître, chercher de l'eau pour la journée, nettoyer ses quartiers, préparer son repas.
Cette fois il marche devant, trottine en traînant la jambe, pour égaler les longues enjambées du Maître.
Ils traversent le hall, puis longent les clapiers.
Demi tremble encore, mal à l'aise. Mais la présence du Maître, masse silencieuse et imposante dans son dos, le rassure, bizarrement.
Arrivés devant la porte de la chambre, il sort la lourde clé de la poche de sa tunique et la fait tourner dans la serrure.
Il s'efface pour laisser passer le Maître, puis le suit et referme derrière lui.
Ensuite, il se poste en retrait, près de l'établi et des seaux.
Le spectacle est pitoyable.
Numéro treize git, suspendue. De longs filets de sang gouttent de ses poignets et roulent le long de ses bras, souillant sa tunique, l'imbibant suffisamment pour couler sur ses jambes, jusqu'au sol, formant une petite flaque sombre.
Une odeur d'urine flotte dans l'air épais, expliquant la tache sur le devant de la tunique.
A moitié consciente, la prisonnière a la tête qui pend, le sac cache les larmes, la salive et la morve qui maculent son visage.
Sa respiration est sifflante, laborieuse.
Ses deux épaules sont déboitées, son corps pend dans un angle bizarre.
Demi détourne les yeux, se concentre sur les dalles de pierre froide, sous ses pieds.
Une sueur glacée coule entre ses omoplates.
Bourreau s'approche, tire son bâton de sa ceinture.
Demi ne peut s'empêcher de frémir, il se ratatine instinctivement, enfonce sa tête dans ses épaules.
Le bâton du Maître est unique. Nul ne peut s'y tromper.
Les Nettoyeurs portent tous la matraque de bois pétrifié, noire, renforcée d'un embout de métal.
La même que Demi doit porter, depuis qu'il s'occupe de la boîte numéro treize. Il n'a pas le droit de toucher avec sa main, uniquement se faire obéir par le bâton.
Demi se souvient très bien. On apprend rapidement à se méfier de cet accessoire, à lui obéir.
Celui du Maître est plus épais, garni de lanières de cuir qui, en séchant, l'on rendu plus dur, plus lourd. Il est rouge, comme la tunique du Maître, comme son épaisse ceinture de cuir, comme sa peau.
Demi rappelle son esprit à l'ordre.
Il ne doit pas penser comme ça.
Il ne doit pas penser tout court.
Il doit juste obéir.
Mais comme il veut quitter cet endroit!
Bourreau pose le bout de son bâton sur le plexus de sa proie, il pousse doucement. Elle frémit et un gargouillis aiguë s'échappe de sa bouche, étouffé par la cagoule.
Il se détourne et fait un signe à Demi.
Le bossu se presse vers la chaîne et la détache du mur. Il la laisse couler entre ses doigts; quand les pieds de Numéro treize touchent le sol, elle gémit de soulagement. Mais incapable de tenir sur ses jambes tremblantes, son corps s'effondre au sol.
Juste aux pieds de Bourreau.
Demi prend alors un des seaux d'eau et titube jusqu'à eux, en essayant de n'en pas renverser une seule goutte.
Il lève les yeux sur son Maître, avant de vider d'un coup le contenu du seau sur la boîte.
Ça pousse un cri, de surprise, de douleur, ça crache et relève la tête, cherche l'air sous le tissu mouillé qui se colle à son visage.
Bourreau attend, immobile, Demi aussi.
Finalement il se détourne, marche vers la porte.
Avant même d'y réfléchir, Demi pousse dans le dos de la boite avec son bâton, l'incite à se lever.
Ça geint et se redresse, se met à genoux.
Bourreau s'arrête et se tourne. Regarde.
Ça rassemble ses bras pendants en haletant de douleur, les coince contre son ventre. Puis déplie une jambe, pose un pied tremblant sur le sol de pierre et se hisse en rugissant.
Debout, ça tangue légèrement, sa tête se tournant à la recherche de plus d'air.
Bourreau marche jusqu'à la porte et l'ouvre.
Demi pousse la boîte de son bâton. Ça se met en branle lentement. Chaque pas est une torture, ça marche à moitié plié en deux, pour stabiliser ses bras, deux poids morts au bout d'articulations disloquées.
Ça pleurniche et ça hoquette, mais ça avance.
Bourreau les regarde passer devant lui, referme derrière eux et les suit.
Au bout du bâton de l'infirme, la boîte avance, traverse le long couloir aux clapiers.
Gros est là, l'air satisfait.
Quelques Nettoyeurs aussi. Les curieux veulent voir le Maître en action. Et la vision du bossu menant une boîte est un divertissement surprenant.
Ils lui font comme une étrange haie d'honneur, glaçante et malsaine.
Pendant que Demi reconduit la victime dans sa cage, Bourreau poursuit son chemin, quitte l'étage des tortures.
Demain, ils recommencent.
VOUS LISEZ
Le Bastion
FantasyUn lieu terrible, une prison sinistre : on y brise les corps et les âmes. Un système totalitaire qui fonde son pouvoir sur la magie. Une prisonnière qui ne cède pas. Un face-à-face dont l'issue est toute tracée.... Attention : cette fiction comport...