29. Numéro treize.

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Elle reprend conscience dans un lit. Un vrai lit.

Le moelleux du matelas, de l'oreiller qui soutient sa tête; la douceur des draps sur sa peau nue, sont comme un baume sur son corps supplicié. Un corps qui a été lavé et oint.

Elle inspire profondément, ses côtes sont douloureuses. Allongée sur le dos, elle n'est pas encore capable de bouger. Tout juste d'ouvrir les yeux.

La pièce sent le feu de cheminée, le parfum des fleurs séchées et une odeur de nourriture.

Son estomac se met à gargouiller.

Lentement, précautionneusement, elle se tourne sur le côté. Le jour se lève à peine, la pièce est baignée de la lueur des braises mourantes, et des doigts gris de l'aube.

Elle est seule.

Elle réussit à se redresser, prenant appui sur ses coudes tremblants.

Elle découvre la tunique, soigneusement recousue par Demi, étalée sur le coin du lit.

Elle l'enfile, puis entreprend de sortir ses jambes du lit.

En découvrant la nourriture sur la table, elle est prise de tremblements. Elle attrape un morceau de viande, une tranche de pain noir et se réfugie de l'autre côté du lit.

C'est là qu'ils la retrouvent, recroquevillée au sol.

Le voyage du retour se déroule dans un étrange brouillard, de fatigue, de douleur. Un sentiment d'irréel l'étreint.

Malgré le masque, elle hume avec empressement l'air qui les entoure.

Sentir les différentes essences de bois, l'humus, la rosée, la terre retournée, lui apporte un réconfort inconnu, inespéré.

Elle doit quitter sa transe quand la carriole s'arrête dans une secousse.

Demi la fait descendre.

Elle suit à peine l'échange entre le Maître et son esclave.

Puis le chariot repart. Au bout de quelques minutes, elle comprend qu'ils sont seuls.

La disparition de son gardien lui laisse tout d'un coup un trou béant au milieu de la poitrine.

Paniqué, son cœur s'affole, sa respiration devient sifflante.

Le Maître tire sur sa laisse, l'obligeant à se rapprocher. Marchant aveuglée sur un sol instable, elle lève une main.

Et sursaute quand les grands doigts glacés de Bourreau saisissent son poignet.

Il la guide et pose sa main sur le flanc du cheval.

Elle se calme immédiatement au contact de l'animal. Elle sent sa force et sa vitalité, son poil ras et doux, son odeur chaude et rassurante.

Il s'ébroue doucement, puis souffle, impatient.

D'une pression des cuisses, son cavalier le fait avancer.

La laisse se tend à peine, Numéro treize suit, se guidant grâce au cheval.

Ils suivent une piste étroite, elle a juste la place pour marcher à côté du cavalier.

Elle sent les plantes l'effleurer, c'est comme une caresse douce, rassurante.

Ses chaussons de laine bouillie foulent le tapis de feuilles mortes, s'enfoncent dans les flaques boueuses.

Elle profite de chaque instant, elle sait que c'est la fin.

Elle aurait aimé revoir la lumière du jour, sentir le pâle soleil blanc sur sa peau.

Les insectes qui zonzonnent à ses oreilles l'accompagnent sans la piquer, lui tenant simplement compagnie.

Cette pensée soulève le coin de sa bouche, elle réalise qu'elle est en train de devenir folle.

Elle ne sait pas combien de temps ils marchent. Elle perd parfois le fil, pendant de longs moments.

La fatigue et la douleur sont toujours les mêmes, mais c'est comme s'ils se tenaient respectueusement à l'écart.

Finalement le cheval s'arrête, et le Maître descend. Elle entend le crissement du cuir sous son poids, capte son odeur fauve quand il passe près d'elle.

La guidant par la laisse, il la conduit dans un petit bâtiment. Elle ne distingue pas grand chose sous sa cagoule, la luminosité a baissé. Mais l'odeur de bois, de cendres et de poussière lui confirme qu'ils sont à l'intérieur.

Il la fait encore avancer puis saisit ses poignets pour attacher ses fers. Elle devine au toucher un treillis en acier. Il fixe ses bras au-dessus de sa tête, et la laisse debout, face au mur, seule.

Elle entend ses pas décroître sur le plancher, la porte s'ouvrir et se refermer.

Il revient soudain, la faisant sursauter en claquant la porte.

En trois enjambées il est dans son dos, et elle commence à claquer des dents.

Pris de frénésie, il arrache sa cape et sa tunique. Elle entend un bruit de tissus qu'on manipule. Une main posée sur sa hanche, il la maintient, de l'autre il place son gland contre sa vulve. Il la soulève des deux mains et elle doit s'accrocher au treillis pour ne pas basculer en avant. Il la pénètre d'un coup, dur, gonflé. Elle crie, les larmes lui montent immédiatement aux yeux.

Il la plaque au treillis, s'y accroche lui aussi, ses doigts crochus recouvrant les siens.

Il se retire à moitié, se replonge en entier dans son sexe en grognant.

Il est profond, tellement profond.

Elle laisse échapper un hoquet quand il commence à bouger les hanches.

Il la laboure de plus en plus vite, chaque coup de boutoir l'écrasant contre les barres d'acier, faisant tinter ses fers et les chaînes.

Elle sent toute la chaleur de son corps qui la recouvre littéralement. Elle sent sa sueur brûlante, son souffle rapide sur son oreille et sa nuque.

Chaque mouvement la fait geindre, il va la fendre en deux. Elle s'étouffe dans ses larmes.

Il glisse une main entre ses jambes, frotte furieusement son clitoris.

Elle se mord les lèvres.

Il poursuit ses mouvements de va-et-vient, de longues minutes passent. Elle n'en peut plus, son bassin est anesthésié de trop de sensations, trop profondes.

Des vagues de nausée la menacent.

Il grogne plus fort, sa bouche se pose sur sa nuque, elle voudrait le supplier, elle ne sait pas de quoi : d'arrêter, de finir, d'en finir...

La morsure la surprend, elle est moins douloureuse que prévue.

L'orgasme qui déferle sur elle, au moment où le Maître jouit en elle, jouit d'elle, la laisse pantelante, vidée, dégoutée, désespérée.

Le BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant