26. Le Consul.

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Après plusieurs hésitations et une agitation tout sauf digne de sa fonction, le Consul choisit de recevoir Bourreau assis, derrière son bureau.

Il opte pour le statut imposant et sérieux de l'homme gérant de lourdes responsabilités.

Juste à temps.

Un coup discret est frappé à la porte.

- Oui!

Il répond sans lever les yeux, satisfait de son ton sec et anodin.

La porte s'ouvre sur son secrétaire, qui salue avant de se mettre de côté, laissant la place à Bourreau.

Le Consul finit de griffonner dans son journal de bord, tandis que la porte se referme après le départ du domestique.

Le Consul relève enfin la tête - bien plus tôt que ce qu'il avait prévu. Le guerrier rouge se tient immobile, devant son bureau.

Il lui fait signe de s'asseoir, mais l'autre ne bouge pas.

Le Consul réalise que rester assis à côté de son invité est une très mauvaise idée. La présence de Bourreau semble avoir rétréci la pièce.

Il se sent comme un écolier recopiant une punition.

Il choisit de se lever, et grimace au grincement aigu des pieds de son fauteuil sur la pierre.

Pour se donner une contenance, il se dirige vers le buffet, près de la fenêtre. Il débouche le flacon de liqueur de tourbe, l'agite vers Bourreau en invitation. Sans réponse apparente, il sert deux verres, et boit une gorgée rapide avant de s'avancer vers Bourreau. L'alcool, très fort, lui brûle la gorge. Mais la chaleur qu'il répand dans son ventre lui donne le courage nécessaire pour placer d'office le second verre dans la main de Bourreau.

- Bien. Il boit une autre gorgée, plus doucement, cette fois. Le Premier Mage de Justice nous a rendu visite.

L'approche directe est la bonne, cette fois, il a capté l'attention de Bourreau. Son regard froid est fixé sur lui.

- Nous avons de nouvelles consignes. Il faut produire plus, plus vite. On arrête les spécialisations, sauf pour les soldats.

- Plus de préconditionnement?

- Non, juste le protocole de base, plus vite ils cèdent, plus vite on les envoie. Des esprits vierges, quelque soit l'état du corps.

Bourreau hausse un sourcil et le cœur du Consul se met à battre plus vite.

- Il faut tout leur envoyer, les blessés, les estropiés, ils veulent tout, même...les morts. Il pourrait s'en tenir là, mais l'expression de Bourreau le pousse à se justifier.

- Une demande du Magistère....

Bourreau regarde fixement le Consul. Et pendant un moment, un moment seulement, ils partagent la même compréhension intime, celle que les Cohortes préparent quelque chose d'encore plus horrible.

Mais l'instant se dissout, laissant le Consul incertain de l'avoir vécu.

Bourreau hoche la tête, vide son verre et le pose sur le bureau.

C'est toute la chaîne de production qu'il va falloir revoir. Le nombre de raids, leur rayon d'action; recruter et former de nouveaux Nettoyeurs, aménager un autre couloir de la mort, réduire le protocole, peut-être. En tout cas, le faire évoluer.

Ils ont du travail.

Comme il se tourne vers la porte du bureau pour sortir, le Consul reprend la parole.

- Ah! Et euh...J'ai également reçu une demande du Manoir. Ils espèrent une livraison pour la fin de la quinquaine. C'est pour euh, une occasion spéciale. Enfin, si tu as un spécimen qui peut faire l'affaire, évidemment.

- J'en ai un.

- Parfait, alors je confirme. Il hésite. Merci de me tenir au courant des mesures prises pour répondre à ces nouvelles consignes.

- Bien sûr. Demain.

- Demain, oui, très bien.

Il y a un moment de silence où le Consul se demande ce que Bourreau attend pour partir, et s'il doit lui dire quelque chose pour le congédier.

Mais le guerrier rouge pivote vers la porte et sort, après un vague signe de tête.

Enfin seul, le Consul se précipite sur la fenêtre qu'il ouvre en grand, laissant l'air humide le rafraîchir.

Il se sert un dernier verre de liqueur et le siffle d'une traite.

Il déteste se sentir si vulnérable devant Bourreau. Le Mage l'a dit, le guerrier rouge est à son service, à lui! Il déteste cet endroit, il déteste son travail, et par-dessus tout, il déteste la peur que lui inspire Bourreau.

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