Le Bastion

13 . Gros.

Il aime les fins de journée. Leur travail accompli, les muscles douloureux à force d'avoir frappé, tordu, écartelé...

Avec ses deux mètres, Gros tient tout juste debout dans le couloir à clapiers. Ses boucles rousses, hirsutes, s'aplatissent contre le plafond.

Adossé au mur, il discute avec son équipe. Tous les Nettoyeurs ne sont pas là, deux chambres sont encore occupées.

Ils sont quatre réunis autour de lui, à lui faire leur rapport de la journée.

Pour une fois, cet abruti de Cogneur ne la ramène pas. Il fait profil bas et Gros se dit qu'il commence, enfin, à apprendre.

Ils ne voient pas le hall de là où ils sont, mais ils sentent la tension qui émane des gardes quand la porte s'ouvre.

Bourreau déboule dans l'espace d'un pas tendu.

Les Nettoyeurs se redressent.

Gros aperçoit le visage tétanisé et boursouflé de Demi, dans le sillage de son Maître.

Merde.

Bourreau se dirige directement vers Cogneur, ignore les autres.

Gros reconnait l'expression sur son visage, et une vieille sensation vient lui chatouiller la nuque. Celle qui précède le combat.

- Toi!

La voix de Bourreau est calme, claire, forte. Terrorisante.

Cogneur blêmit, jette un regard mauvais à Demi, qui est resté à l'entrée du cercle des Nettoyeurs.

- Tu as touché à ce qui m'appartient.

- C'est pas vrai, Maître, faut pas écouter le fouille-merde...

Bourreau le prend par la gorge, le plaque au mur d'une main.

Les autres s'écartent instinctivement, sauf Gros.

Bien, qu'ils n'en perdent pas une miette.

Le groupe regarde avec horreur Bourreau décoller du sol Cogneur, incapable d'émettre le moindre son, suffoquant. De la main gauche, il prend le crâne de l'autre, ses ongles noirs, pareils à des griffes, s'enfoncent dans sa chair.

Il appuie, serre, lentement, sereinement, et les autres reculent encore quand les yeux de Cogneur sortent de ses orbites, qu'un craquement écoeurant signale la paroi crânienne qui cède, écrasée, et qu'un jet de sang, de cervelle et d'os explose au visage de Bourreau.

Il garde quelques instants encore le corps de Cogneur en l'air, pendouillant comme une poupée de chiffon au bout de son bras.

Il le lâche brusquement et le corps s'affale contre la paroi, laissant de larges traînées de sangsur le mur.

Enfin il se tourne vers le groupe silencieux.

- Personne ne touche à mes affaires. Viens, Demi.

Il traverse l'allée entre les Nettoyeurs, figés au garde à vous.

Ils échangent un petit regard rapide avec Gros, il va y avoir un rappel général à l'ordre.

Il va aussi falloir trouver un nouveau Nettoyeur.

Bourreau gravit rapidement les marches, de ses grandes jambes.

Demi trottine avec difficulté derrière lui. Mais la nausée est trop forte, il s'appuie au mur et vomit copieusement, écoeuré par la scène à laquelle il vient d'assister.

Alors qu'il récupère lentement, glacé de sueur, il réalise que la Maître l'attend.

Il a comme un sursaut, crache et monte une marche.

Le Maître reprend sa montée.

Demi le suit.