27. Le Manoir.

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La porte de pierre, à la base du Bastion, n'est pas le seul moyen d'accès à la forteresse.

Depuis la cour entourée des remparts, une ligne de crête permet de rejoindre la terre, enjambant la rivière bouillonnante qui mouille le flanc Est de la falaise.

Tout juste assez large pour que deux chevaux y marchent côte à côte, c'est un accès facile à défendre. La porte reste néanmoins l'un des postes les mieux gardés.

Le Consul regarde par sa fenêtre le maigre convoi qui se met en route.

Bourreau ouvre la voie, monté sur cette carne noire comme l'enfer et méchante comme un blaireau enragé.

Pour une fois, il porte une longue cape noire, qui couvre ses ailes. Sa peau rouge ressort encore plus.

Derrière lui s'ébranle la carriole à deux roues, conduite par un soldat qui n'a pas l'air décidé à maltraiter le cheval de trait pommelé.

Sous l'auvent, à l'arrière, Demi vit son premier voyage hors du Bastion.

Il est tétanisé de peur et d'excitation.

On lui a fourni une courte cape brune, dotée d'une capuche, et de nouveaux chaussons. La cape aussi est neuve, sa laine tissée bien serré.

Numéro treize aussi a eu droit à une cape, plus longue, elle descend presque jusqu'au sol, et enveloppe sa silhouette maigre et décharnée.

Il regrette qu'elle ne puisse partager la vision de toutes les choses nouvelles qui les entourent, de profiter pleinement de cette sortie - peut-être la dernière.

Mais la cagoule ne l'a pas quittée depuis le départ de la cellule.

Le Maître ne l'a même pas regardée, quand Demi l'a amenée dans la cour, pour la faire grimper dans la carriole.

Les lourdes portes s'ouvrent sur la brume du petit matin, et le petit groupe s'engage sur la piste de crête.

Demi bascule franchement vers la peur quand il découvre les parois de roche à pic, de chaque côté de la route.

Route qui n'est qu'un chemin de pierres tassées, sur lequel leur frêle véhicule paraît encore trop gros.

Il décide de fermer les yeux.

Numéro treize est passée par bien des états, avant d'opter, finalement, pour un détachement stoïque. Elle ne s'interroge plus, n'essaie plus d'anticiper. Elle accepte, observe. Il fait d'elle ce qu'Il veut. C'est facile d'obéir.

Aveuglée, le bâton de Demi dans le bas de son dos, elle a monté les marches, ses mains entravées suivant la courbe du mur de pierre.

Comme elle grimpait, le filet d'air est devenu plus dense, plus réel.

Elle sent l'odeur du crottin avant même qu'on leur ouvre la porte donnant sur la cour.

Une fois à l'air libre, elle se retrouve grisée par les sensations, les odeurs. Elle trébuche, tombe et se cogne durement le genou.

Elle relève la tête, elle ressemble à une ivrogne.

Demi met une seconde de trop à la faire se relever. Pour lui aussi, tout ça est nouveau.

Elle sent la présence et le regard de nombreuses personnes.

Elle entend le cliquetis de l'acier des armes, le vent qui fait claquer les drapeaux rouges et noirs.

Elle sent l'odeur du feu, les relents d'oignon et de graisse venus des cuisines. Sa tête tourne à gauche, à droite, remontant chaque effluve.

Elle reconnaît le cuir huilé de la sellerie, le crottin, et l'odeur chaude et fauve des chevaux. Elle les entend mastiquer leur grain, s'ébrouer, même. La proximité des bêtes l'émeut au plus haut point. Les larmes lui montent aux yeux. Elle donnerait n'importe quoi pour s'approcher de ces animaux, sentir leur bienveillance, leur compagnonnage simple, sans calcul ni violence.

Le BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant