15. Numéro treize.

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A présent, il ne lui reste plus qu'à mourir.

C'est tout ce qu'elle est capable de vouloir.

Elle est au-delà de la douleur, au-delà du désespoir.

Elle aurait même cédé, supplié, embrassé les Cohortes et le Pouvoir Noir.

Elle n'a même pas pu.

Il ne lui reste que la mort.

Elle a mal, elle a soif.

Elle se réveille pliée dans sa cage, les jambes ankylosées, les genoux douloureux d'être restés longtemps pliés. Nue.

Elle se déplie doucement, en gémissant. Cogne contre le seau. Un peu d'eau s'en échappe, lui rappelant à quel point elle est assoiffée.

Elle se contorsionne, raide, maladroite. Plonge la tête dans le seau, sans vérifier la propreté de l'eau, et boit. De longues gorgées.

Elle se réveille à nouveau, la tête appuyée sur le bord du seau. Sa tempe est cuisante.

Lentement, avec des gestes très doux, elle palpe son corps. Ses flancs, ses épaules, son ventre.

Les plaies dues au fouet ont disparu. Il ne reste que des boursouflures plus ou moins épaisses.

Elle pose ensuite ses mains sur son cou, lutte contre l'accès soudain de claustrophobie.

Un souvenir lui revient soudain, lui laissant la bouche sèche.

Il a enlevé sa cagoule, il a vu son visage.

Et elle a vu le sien.

Un sentiment de terreur nauséeux lui remue les entrailles.

Elle se souvient seulement du visage du diable penché sur elle, grimaçant, ses yeux blancs et sa peau flamboyante.

Elle presse les paupières, même si elle n'y voit rien.

Elle s'entoure de ses bras, et commence à trembler.

C'est la soif qui la réveille.

Elle n'a aucune idée du temps passé à somnoler contre la pierre froide, le corps plié.

Elle n'a pas pensé tout de suite à économiser l'eau, habituée à vivre l'instant, au rituel qu'on lui a appris.

Ensuite, elle attend son gardien, celui qu'ils appellent Demi.

Tendue contre la grille aveugle, elle guette le bruit de la porte qu'on déverrouille.

En vain.

Elle attend suffisamment longtemps pour comprendre que le rythme est brisé, ça fait bien trop longtemps qu'elle attend.

Ensuite, elle n'attend plus rien, ni personne.

Elle récupère son urine dans le seau, et la boit à petites gorgées, comme le bien le plus précieux.

Les gargouillis de son estomac vide la réveillent.

Elle est si faible qu'elle serait incapable de bouger si Demi venait superviser ses corvées.

Mais il ne vient pas.

Elle est entourée depuis si longtemps de silence et d'obscurité. Même les cris des autres victimes ne lui parviennent plus.

Elle gît, sans force, molle, respirant avec difficulté.

Ils l'ont oubliée dans sa cage, elle va crever là, à petits feux.

Elle sombre dans une semi-conscience, n'arrive même plus à déglutir.

Elle délire, s'imagine dans le ciel gris, survolant la forteresse dont elle ne connaît pourtant que les cachots. Elle garde ce sentiment de quelque chose d'important dont elle n'arrive pas à se souvenir.

Quand la cage finit enfin par s'ouvrir, elle ne réagit pas, éblouie par le faible halo de la torche, qui traverse ses paupières closes.

Des mains la saisissent, sans douceur mais sans brutalité. On la sort de sa cage, elle repose sur le sol glacé du couloir.

On lui fait boire, à la cuillère, un liquide frais et amer qui ouvre sa gorge desséchée.

Puis on la range à nouveau.

Le même cérémonial se renouvelle plusieurs fois, jusqu'à ce qu'elle soit capable d'ouvrir les yeux, de tenir le gobelet et de boire seule.

Elle ne lève jamais les yeux mais elle reconnaît son odeur. Son gardien à la pate folle sent le savon et la peur.

Plus tard, il lui apporte son bol de bouillie d'avoine, le seau d'eau et la brosse. Et une nouvelle tunique.

Elle est à la fois soulagée de manger, et terrifiée à l'idée de ce que ça veut dire, que les séances vont recommencer.

Elle ne dort pas de la nuit, ou ce qui y ressemble.

Quand la cage s'ouvre le lendemain, elle tremble des pieds à la tête, nauséeuse, essoufflée.

Elle ne pourra pas le supporter.

Pas cette fois.

Demi lui enfile une cagoule.

Le BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant