9 . Demi.

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C'est une sombre routine. Demi ne l'aime pas.

Il n'aime pas descendre, à l'aube, à l'étage des tortures.

Il n'aime pas préparer cette salle qui le terrorise, laver à grandes eaux les taches de sang et de liquides divers sur le sol dallé.

Il n'aime pas nettoyer les instruments ignobles, maculés de matière.

Il n'aime pas être un geôlier, il n'aime pas punir, il n'aime pas - ne veut pas ! - faire de mal.

Pourtant, il s'habitue, et s'en veut de sa terrible lâcheté.

Aux corvées habituelles s'en sont juste ajoutées d'autres. Il s'est adapté, pour pouvoir tout faire, ne pas décevoir le Maître.

De fait, Demi dispose de longues périodes pour s'occuper de ses tâches ménagères, pendant les séances.

Il n'est plus obligé d'attendre derrière la porte, les cheveux se dressant sur son crâne dégarni à chaque cri s'échappant de cette pièce.

Il revient à l'heure des repas, cogne à la porte, un coup, et attend une bonne heure avant de retourner au premier étage.

Jamais il ne rentrerait dans la chambre pendant que le Maître officie. Jamais!

Il a toujours du mal à ne pas trembler, quand il entre enfin, au bout de la journée.

Il craint de renverser un seau, de provoquer la colère du Maître. Il est souvent en colère, en fin de séance. Il bout, tout son corps tendu, c'est terrifiant.

Les jours et les nuits passent, et Numéro treize n'a pas cédé. Ni de corps, ni d'âme.

Demi ne comprend pas, finit par lui souhaiter de ne pas se relever, d'en finir, de tenter sa chance dans les sables mouvants.

Car le Maître ne la tuera pas. Il est trop doué pour ça, il sait exactement ce qu'il fait, et jusqu'où aller, ou pas.

Mais Demi écarte rapidement ces pensées. Considérer la souffrance de la victime, c'est se replonger dans les affres de la sienne, de ce qu'il a vécu ici.

Et Demi ne veut pas.

Alors il s'occupe de ça.

Respecte les consignes strictes de son Maître.

L'hygiène, sur laquelle il est intransigeant.

L'interdiction de toucher ça avec autre chose que le bâton, de ne pas lui adresser la parole, de ne jamais échanger un regard.

De ne laisser personne d'autre que lui, Demi, s'occuper de ça, l'approcher ou la toucher.

Faire manger ça après la session de tortures, avant, ça vomirait trop vite.

Demi est pétrifié par cette logique glacée.

Malgré sa peur et sa lâcheté, il ne peut s'empêcher de lui lancer des regards, de temps à autre.

Ne serait-ce qu'en manipulant le sac, il est le seul à apercevoir son visage.

Il remarque les tatouages bleus sur son front et son menton, puis le sceau marqué dans la chair, juste sous l'oreille gauche. Le même que lui-même porte.

La marque de leur appartenance aux Cohortes.

A quoi bon lutter?

Elle garde toujours les yeux baissés, à présent.

Comme il a été malheureux de devoir la punir, pour un regard!

Mais les bribes de résignation et d'incompréhension qu'il a eu le temps d'y voir, l'ont tenu éveillé de longues nuits.

Le Maître a fait de lui un bourreau.

Cette révélation lui retourne les tripes. Alors, il y a pire que la peur. Il y a le dégoût de soi-même.

Et soudain, il comprend enfin pourquoi ça finit toujours par se relever, pourquoi ça ne se soumet pas.

Il comprend aussi que le Maître non plus, ne cédera jamais.

Le BastionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant