La mission était aisée, elle se décomposait en actions simples. Même pour une personne aussi peu organisée qu'Isidore. Entrer dans la boutique, commander assez à manger pour les deux repas du jour, peut-être également pour le petit-déjeuner du lendemain, payer ses achats, et revenir dans le grenier pour satisfaire sa curiosité en même temps que son appétit.
Le brun taciturne entra dans la boutique, répondit du bout des lèvres lorsqu'une voix féminine le salua, et s’intéressa à la vitrine froide. Il fronça les sourcils. Il restait beaucoup moins de choix qu’espéré.
Une tranche de cake jambon-carottes-petits pois. Mon Dieu, qui choisirait sciemment d’avaler ce genre de chose ?
Un quart de quiche au brocoli. Pour quelle raison saugrenue quelqu’un irait-il payer pour ça ?
Deux parts de tarte aux pommes. Une tartelette individuelle à la poire. Un carré de brownie au chocolat noir. Pas suffisant.
Les yeux d'Isidore inspectèrent la boutique, en commençant par la vendeuse, une jolie jeune femme avec un sourire accueillant. Ses cheveux mi-longs, plaqués de force sur le crâne grâce à du gel coiffant, se répandaient à l’arrière de sa tête en un halo frisé blond cendré, retenu par plusieurs élastiques. Les tables de bar vides d’un côté de l’échoppe ; de l’autre côté, près de la caisse enregistreuse située à gauche de la commerçante, un panonceau indiquait « Œufs du jour » et se tenait esseulé, peut-être honteux de son mensonge : aucun œuf à l’horizon.
« Excusez-moi, je comprends que tous les œufs ont été vendus ? demanda l’avocat en pointant l’inscription de l'index.
— Oui, Monsieur. Ce sont nos produits les plus populaires, toutes les boîtes partent généralement dans l’heure après l’ouverture. »
Le brun soupira, puis prononça : « Je voudrais toutes les tartes sucrées et le brownie, s’il vous plaît.
— Vous recevez à déjeuner ? J’espère que les pâtisseries plairont aux convives ! »
Les yeux fixés sur sa nourriture, Isidore marmonna : « Non, c’est pour ma survie en terrain hostile jusqu’à demain. »
La blondinette venait de contourner la vitrine pour servir son client. Sa main armée d'une pelle à tarte s’arrêta juste au-dessus des pâtisseries convoitées par Isidore.
« Hein ? l’entendit-il dire.
— Les gâteaux sont tous pour moi. Vous avez des chips, des biscuits, ou du pain ? quémanda-t-il de façon plus autoritaire que ne le permettait sa situation. Votre prix sera le mien.
— Hein ? »
Trois doigts sur sa tempe droite, le Parisien retint un soupir, tandis qu'une migraine – due à la faim, à la soif, et à la frustration – pointait le bout de son affreux museau.
« Pour des raisons personnelles, je me retrouve sans moyen de transport. Aucune livraison de nourriture n'est possible dans ce village, énonça-t-il sèchement pendant qu’il pensait « ce coin paumé ». Votre boutique est mon unique point de ravitaillement, jusqu’à demain au moins.
— Vous voulez vous nourrir de sucreries, de chips et de pain sec pendant deux jours ? s’inquiéta l’inconnue. Mais ce n’est pas sain ! Et vous ne connaissez personne dans la région qui pourrait venir aider ? »
Je ne vous ai pas demandé votre avis, pensa-t-il, le regard rivé sur la pelle à tarte qui s’était éloignée de la dose tant désirée de glucides rapides. Conscient de son alimentation déséquilibrée, et de son mode de vie aussi malsain que solitaire, Isidore releva les yeux, prêt à envoyer balader son interlocutrice. Au même moment, celle-ci s’exclama :
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Éclosion
Roman d'amourAvocat expérimenté, Isidore est un homme de la ville, allergique au milieu rural depuis son coming-out. La campagne lui donne littéralement des boutons. Or, d'une vieille tante avec qui le contact semblait rompu, il a hérité une maison située en Bou...