21 - Son gâteau au chocolat

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Un monstre familier se tordait dans son ventre. Bloquait sa respiration, étouffait son cœur. En plein milieu de la nuit, Isidore rouvrit les yeux. Non, non, pas maintenant ! La boule de stress habituelle, gérable, nichée au creux de son diaphragme, prenait de l'ampleur. Un frisson désagréable parcourut les épaules de l’homme pendant que l'affreuse créature s’agitait dans son estomac, remontait dans sa gorge. Bientôt, la situation deviendrait difficile à contrôler. La raison d'Isidore savait qu'hyperventiler était contreproductif. L’instinct poussait pourtant son corps à accélérer la respiration. Malgré sa grande expérience dans la gestion de ses angoisses, il se laissa engloutir pendant quelques secondes. Il se noya. Comme un poisson sorti de son royaume, il happa. Pourquoi ça m’arrive ici, maintenant ? Cette maison. Elle avait le chic pour lui retourner la tête ! Dans cette maudite campagne, l'avocat cuirassé de confiance, armé de condescendance, redevenait le jeune homme faible et abandonné qu'il avait été… qu’il n’était plus ! De douleur, de colère, Isidore serra les poings.

« Amour, calme-toi… Respire doucement, tout va bien… » Non, ça ne va pas bien ! « Isi, une inspiration, deux expirations… Tu m’entends ? Reste avec moi ! »

Dans l’obscurité, depuis un œil hagard, une larme de rage s’écoula. Ta gueule, Victor, c’est toi qui n’es pas resté ! Le rythme cardiaque d'Isidore s'accéléra davantage. Il inspirait beaucoup trop d’air, et pourtant ses poumons en manquaient toujours… Non, il fallait oublier ces stupides réminiscences ! Combattre son instinct. Une inspiration, deux expirations. Raisonner. Faute de pouvoir s'en débarrasser ou la dompter, aider la bête à se rendormir. Une inspiration, trois expirations. Tout va bien. Se mentir. Espérer que quelqu’un lui frotterait tendrement le dos, en lui présentant de jolis mensonges. Une inspiration, trois expirations. Tout va bien, Amour, respire doucement. Je suis là, tout va bien.

Deux crises en moins de trois jours… Pathétique ! D'un mouvement de l’avant-bras, l'homme essuya ses yeux et son front couvert de sueur froide. Plus calme, il but quelques gorgées à la bouteille d'eau posée à son chevet. Sous ses pieds nus, le plancher grinça. Dans la nuit, le loup s'avança. Une fois arrivé dans le couloir du deuxième étage, il alluma. Des ombres se tapissaient dans les recoins du grenier mal éclairé, auquel Isidore accéda grâce à la trappe redécouverte dimanche ; une éternité écoulée depuis ce matin-là. Agenouillé devant le carton contenant les témoignages du passé de mademoiselle Dumont, son neveu fut incapable de continuer les recherches. Changer d'avis. Pour cet indécis, cet enfant perdu, c’était assez récurrent. Il repartit dormir une poignée d'heures.

Le mercredi après-midi, Maé n’avait pas école. Sa mère insistait pour qu'elle fît ses devoirs, alors elle obéissait tous les jours. Généralement, ça lui prenait vingt minutes à tout casser. Elle n'était qu'en classe élémentaire, après tout. Avant l’heure du goûter, la fillette sortit en courant rejoindre ses amies les volailles. Entouré d'une demi-douzaine de visiteurs, son père commentait le cycle de ponte des poules. Les touristes se réjouirent de l’arrivée prochaine de poussins. Certains photographièrent en silence les futures mères installées dans leurs nids, dans un coin du grand poulailler central. Quand la petite carotte, avec Cocotte dans ses bras, passa à côté du groupe, un murmure attendri s’éleva : on fondait devant tant de mignonnerie. Maé savait que sa présence boostait les ventes de produits dérivés dans le magasin de ses parents. Alors, de temps à autre – même si sa mère la grondait gentiment de débarquer en trombe dans la boutique, même lorsque son père lui proposait d’autres activités – l'enfant préférait rester à proximité. De plus, les poules constituaient sa compagnie préférée !

Un nouvel ami pour Maé était apparu dans la propriété voisine. Elle appréciait de parler avec lui. Et quand elle criait sans prévenir, il sursautait en couinant… c’était drôle ! Maé s'amusait à surprendre le voisin, pour provoquer ces réactions cocasses, tellement rares chez les adultes ! Malheureusement, depuis quelques jours, Cédric ne semblait plus vouloir sortir de la maison. Il lui manquait beaucoup. La petite carotte était bien contrariée ! Elle décida de prendre les choses en main.

« M'man, j'peux aller porter du gâteau à Ced ?

— Euh, oui… Bien sûr, chérie. Mais ne reste pas trop longtemps à l’embêter chez lui.

— Donne-moi du gâteau choco !

— S'il te plaît, rectifia Léna en emballant deux parts de fondant au chocolat.

— S’il te plaît, Maman, chanta Maé. Merci.

— Tu n'en auras pas d’autres pour le goûter, hein ! rappela la mère pendant que la fillette partait pour sa commission.

— Oui, M’man !

— Et n’oublie pas de laver tes mains avant de manger ! recommanda la blonde à sa petite carotte qui s’éloignait rapidement.

— Oui, je saaaais, Maman ! »

On tambourina à la porte d’Isidore pendant qu'il était plongé dans la rédaction d'un article pour une revue juridique. « Ced, t’es là ? » Sans réponse de sa part, l'appel se répéta, plus fort, avec une nuance : « T'es là ? On prend le goûter ensemble ? » Quelques secondes plus tard, la voix devint encore plus bruyante. Il semblait même qu'on cognait le bois à grands coups de pied. « J’ai du gâteau fait par ma maman ! T’en veux ? » Sans savoir si l'appel de son ventre dépassait sa crainte de voir son entrée démolie – ou si c’était l’inverse – Isidore ouvrit.

« Salut, ça va ? chanta l’adorable enfant qui menaçait de détruire sa porte peu avant.

— Merci, et toi ?

— Je vais bien ! Pourquoi tu réponds pas à ma question, toi ? »

Isidore hésita deux secondes avant de demander, surpris : « La réponse t’intéresse vraiment ?

— Ben oui. Sinon, je demanderais pas.

— C’est… tellement simple, présenté comme ça, soupira l'adulte habitué aux politesses ineptes.

— Je comprends pas ce que tu dis… »

L’avocat frotta son front et lâcha un rire nerveux. Plus détendu, il s'adressa ensuite à sa minuscule voisine, avec un sourire : « Bonjour Maëlle. Je suis un peu fatigué, mais ça me fait plaisir de te voir. Merci pour le gâteau. Tu veux entrer ? Je vais chercher des assiettes.

— Faut se laver les mains avant de manger ! recommanda la fillette en essuyant ses pieds sur le tapis avant de franchir le seuil.

— Oui, bien sûr. »

Le rire d’Isidore résonna pendant qu'il se rendait à la cuisine.

ÉclosionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant