« Parfois, les miracles se produisent parce qu’on y croit » répétait régulièrement Gilles depuis que Léna le connaissait. Il crut en avoir une nouvelle preuve après l’accident du taxi créé par Nassée. Par chance, le conducteur n'avait subi aucune séquelle physique. Les dégâts sur son véhicule seraient pris en charge par les assurances. Cependant, les poursuites judiciaires, suivies d'une forte amende, étaient encore possibles en ce qui concernait l'arbre blessé devant la maison de Cédric. Le platane étant propriété publique, des employés municipaux étaient intervenus pour enduire son tronc d’une substance protectrice. Puis, pendant plusieurs jours, les Lécapène avaient craint les conséquences supplémentaires à leur encontre, à cause des errements de leur poulette.
Le mercredi après-midi, moins d'une semaine après l’incident, un appel provenant du secrétaire du Maire informa le propriétaire de Nassée de la décision : une famille, dont la ferme pédagogique participait à la relance du tourisme dans la ville, voire dans la région, ne serait pas punie pour une petite erreur. Cependant, on leur recommanda de prendre les mesures nécessaires ; on ne pardonnerait pas une deuxième fois. En sortant installer une clôture grillagée plus haute autour de sa propriété, Gilles sourit et conclut : « Les miracles viennent à ceux qui y croient. »
De son côté, Léna apporta à Cédric une part de la tarte avec les premières fraises de la saison qu'elle venait de préparer. Étant donné la coïncidence temporelle – quelques heures après le dîner de la veille pendant lequel Tom avait évoqué, sans arrière pensée, le souci devant leur invité – la jeune femme doutait que le miracle du jour fût créé par la foi naïve de son époux. À Cédric, elle n'annonça pas la bonne nouvelle. Pour respecter la discrétion de son éventuelle intervention, Léna ne remercia pas non plus son voisin. Avec un sourire irrésistible, elle parla uniquement de son beau-frère. En détournant le regard, le brun balbutia des banalités sur les qualités de Tom. Il sembla insister avec résolution sur la simple amitié qui se développait entre les Lécapène et lui-même.
« La vie nous réserve de belles surprises ! Parfois, il faut se lancer dans le vide sans filet ! conseilla Léna avec un sourire plein de dents, qui déclencha un léger haussement de sourcils de son interlocuteur.
— Merci pour le gâteau, répondit Isidore, avec sobriété, et sans aucun lien avec la phrase précédente.
— Bonne dégustation, Cédric ! Bon après-midi !
— Merci. À vous aussi. »
En refermant sa porte, Isidore se demanda si sa voisine avait sous-entendu des choses spécifiques. Il décida que l'habituelle ineptie de Léna venait encore de frapper et qu'il fallait simplement l'ignorer. Cette jeune femme ne cessait de déstabiliser l’avocat : parfois, il avait le sentiment d'avoir trouvé son alter ego féminin – ce qui emplissait son esprit d'une douce sérénité – et parfois, elle lui donnait envie de s’enfuir. Vite. En hurlant de terreur.
Dans la cuisine, Isidore s'installa pour entamer la première bouchée de la tarte aux fruits. Au même moment, dans le salon, son téléphone personnel vibra sur la table basse. L’écran en veille s’alluma pour un instant et afficha le prénom « Ash » suivi du message « Le Préfet se réjouit de te revoir dimanche pour votre tennis et confirme : problème réglé ».
Un peu plus tard, la petite carotte invita sa victime préférée à jouer avec elle. De bonne humeur, l’adulte si guindé la semaine précédente répondit : « D'accord, mais pas trop longtemps. Ta mère me dit que tu négliges tes devoirs en ce moment. » Ils s'assirent sur le gazon pour une partie de Mikado en plein air. Pendant qu'Isidore tentait de retirer un bâtonnet particulièrement retors, Maé demanda : « Tonton et toi, vous êtes amoureux ? » De surprise, l’avocat lâcha le morceau de bois et rata son tour. Il préféra ignorer l’étrange question de l’enfant. Elle insista : « T'es son amoureux, ou pas ?
— Ou pas, fit-il d'une voix neutre.
— Ah dommage, je croyais. Comme vous vous tutoyez, maintenant, et tout…
— Pourquoi « dommage » ? Et il n'y a pas de « et tout » !
— Quand les adultes se tutoient, c’est qu'ils sont proches. Et si vous vous mariez, tu serais de ma famille, ce serait trop bien ! »
Face à la carotte si chou, l’avocat ne put retenir un sourire attendri. Qui disparut quand elle enchaîna : « Je suis sûre que tu me mens et que c’est ton amoureux.
— Maé, ton oncle et moi sommes amis, déclara-t-il fermement, lassé par la conversation en boucle. C’est tout. Rien d’autre.
— Vous avez commencé comme Kyle et Lucia.
— Qui ?
— Des copains de ma classe. À la rentrée, Kyle était méchant avec Lucia. Il lui a même tiré les couettes ! Alors j’ai donné un coup de pied dans le tibia à Kyle ! Il a pleuré, mais il a rien osé dire à la maîtresse. C’était trop la honte de se faire taper par une fille ! Et après, il a commencé à être gentil avec Lucia. Il lui a même donné des bonbons la semaine dernière ! Lulu m'a rapporté ce matin qu’il l'avait embrassée sur la joue. Comme elle l'aime bien, elle l'a laissé faire.
— Hein ? fut le seul son qui passa les lèvres de l'adulte estomaqué.
— Tonton m'a dit que tu étais désagréable avec lui au début, mais que maintenant, t'es sympa. C’est comme ma copine Lucia et son amoureux. »
Un marmonnement blasphématoire répondit à Maé, qui adressa de grands yeux réprobateurs à Isidore, en déclarant : « Papa m’interdit de répéter des gros mots. Je lui rapporterai pas ce que je viens d’entendre, mais c’est pas joli, joli, Ced ! Il ne faut plus utiliser ces mots ! »
NDA : Je ne tiens pas à donner une réponse claire à propos de l’histoire du Maire, du Préfet, et du « miracle », interprétez ce passage comme vous le préférez. Et bravo aux personnes qui ont reconnu les prénoms de Kyle et Lucia !
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Éclosion
RomanceAvocat expérimenté, Isidore est un homme de la ville, allergique au milieu rural depuis son coming-out. La campagne lui donne littéralement des boutons. Or, d'une vieille tante avec qui le contact semblait rompu, il a hérité une maison située en Bou...