32 - Vos priorités

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Avec une décennie de métier au compteur, l’avocat était habitué aux procès difficiles. Cependant, il n’avait encore jamais dû plaider contre sa propre cliente.

Les frères Lécapène étaient peu intervenus pendant la conversation, mais leur seule présence semblait renforcer Léna dans sa position. Elle n'écouta pas le plan d'Isidore, fit semblant de lire les chiffres qu’il avait préparés, avant de refuser poliment. Alors le brun batailla ferme et obtint une audience privée. La rhétorique qui avait convaincu la jeune femme : qui serait capable de cuisiner et décorer les gâteaux dont il était question ? Qui investirait sa maison dans l’affaire ? Laquelle possédait les excellentes recettes ?  Et lequel apporterait les clients ? Aucune de ces questions n’avait pour réponse « Gilles » ou « Tom », quel que fût la sympathie qu'Isidore éprouvait pour eux deux, ou l'amour que Léna leur portait. Puis le coup décisif fut porté : « Es-tu sûre de ne pas regretter plus tard une opportunité que tu as repoussée sans même l’étudier ? »

Isidore et son éventuelle future associée s'enfermèrent dans une pièce. Restés au dehors, les deux roux se fixèrent avec embarras. Ni l'un ni l’autre n'avait voulu imposer une décision à Léna. L’affection qu'ils lui portaient les avait simplement poussés à une surprotection de mauvais aloi. Cependant, par fierté, ils refusèrent de reconnaître qu'ils avaient eu tort. Alors ils se trouvèrent un prétexte : le projet de Cédric était tout de même très risqué ! Quand ils entendirent des éclats de voix à travers la porte close, les frères prirent peur. Pas pour Léna, pour l’homme face à elle. La petite blonde pouvait être impitoyable quand elle s’énervait. Ses mots pouvaient trancher plus sûrement que des couteaux. Pauvre Cédric !

De l’autre côté de la porte, les deux parties négociaient durement. Léna avait commencé les hostilités en déclarant qu'elle ne pouvait pas risquer de finir avec des dettes. Avec un sourire satisfait, Isidore contra : « En lisant vraiment ma proposition, tu aurais vu les détails pécuniaires de l’opération. Je suis le seul qui assumera les risques, quels qu'ils soient. »

Léna fronça les sourcils. Elle persista : « Je n’ai aucune expérience et tu veux faire de moi la gérante.

— Une formation rapide sera nécessaire, bien sûr. Je la financerai, ça fait partie de mon investissement. Tu auras le temps de la suivre pendant la phase préparatoire, qui consiste à monter les dossiers, faire la publicité de nos produits, agrandir la cuisine de la boutique ici, créer le site internet de notre marque… Je suis persuadé que tu n’auras aucun mal à assimiler quelques notions de gestion de petite entreprise.

— Tu veux ouvrir une boutique dans les beaux quartiers de Paris, dans deux ans. Qui s'en occupera ?

— Un seul directeur qui saura aussi tenir la caisse. Je recruterai cette personne si nous faisons le chiffre d’affaires prévu. Il n'y a pas besoin de payer beaucoup de personnel, ni de louer une grande surface : cette boutique sera une simple vitrine pour tes gâteaux. Ils y seront disponibles en très petite quantité, pour en garantir la fraîcheur et l’exclusivité. Ils y seront vendus beaucoup plus cher qu’à la boutique ici. Les personnes intéressées sauront où aller pour les acheter à un prix abordable. Ça boosterait en même temps la fréquentation de votre ferme. Ceux qui ne veulent pas se déplacer pourront commander en ligne ou en boutique, pour se faire livrer, soit à la boutique à Paris, soit à domicile. »

Agacée, la jeune femme claqua de la langue. « Comment aurais-je le temps de gérer une entreprise, faire des gâteaux, et tenir la boutique ici ? C’est infaisable !

— Dans la configuration actuelle, en effet. Il faudra rapidement recruter une aide pour tenir la caisse de votre boutique.

— Tu as réponse à tout. Et ta réponse à tout requiert de l'argent !

ÉclosionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant